- Et qui siègerait dans cette commission ? Répliqua simplement Armand laconique à la remarque de Neela. Elle n’était pas idiote, loin de là, mais en l’état, la démarche serait bien inutile. Le fruit qu’était leur administration était bien trop pourri. Qui trempait dans ces massacres, ces magouilles ? Il n’en dit pas davantage.
Min-Oh embraya alors pour évoquer l’intégration exemplaire d’Ela. Le regard sombre du Colonel dévia sur cette dernière. Il ignorait que les deux autres invités connaissaient aussi ses origines et son passé. Il ne fit aucun commentaire à sa réponse. J’ai cru perdre l’esprit. Il entendait ce qu’elle sous-entendait. Il se fit la réflexion – une seconde - qu’il aimait définitivement les femmes avec de l’esprit. Il ne répondit rien cependant sur la perche lancée par la future mère. Il ne débattrait pas ce soir sur l’emploi des femmes. Ni dans un sens ni dans l’autre. Ce silence en soi était peut-être éloquent. Un fervent New Eden ne se serait certainement pas privé d’émettre un commentaire sur son nouvel emploi de Maman.
- Avant quoi ? Demanda-t-il très franchement à la dernière question de l'architecte. Il n’y avait pas de transition simple et c’était bien ce qui avait permis à cette gangrène de se propager autant. A leur communauté de plonger petit à petit dans l’indifférence générale. Le quadragénaire échangea un regard avec le couple. Notre ambition est toujours de préserver la vie, humaine. D’offrir la sécurité, la santé. De protéger les nécessiteux. Pour moi, elle n’a pas changé.
La formulation pouvait prêter à confusion. Pour moi : à mes yeux, pour moi : dans mon cœur.
Armand s’occupe avant lui de corriger son épouse et si Min-Oh lance un regard à Neela pour l’enjoindre à lâcher le sujet, il n’aurait pas eu meilleur argument. Elle est meilleure à présenter les qualités de son amie. Le médecin est tout à fait concentré sur Ela à présent. Architecte, avec un discours lissé, et Daisy à interroger à son sujet. Parfait. Peut-être qu’avant la fin de l’année il aura une vague notion de ce qu’il devrait penser à son sujet.
Elle déporte à son tour la conversation loin d’elle et Min-Oh glisse un regard à Armand. « Il y avait moins de civils, à nos débuts. Je suppose que ça rendait les choses plus simples à surveiller. » On ne le prendra pas à remettre en question la sainte armée qui les entoure. Un acquiescement de plus, il se contente d’attraper son verre d’eau. « Je vous prie de croire que les dérives de certains ne met pas en danger l’éthique de tous. »
Ne reste-t-il vraiment personne capable d'enquêter objectivement sur d'autres pour être sûr de ne pas mettre un pédocriminel à un poste important ? Entre autres. Neela se garde de rajouter la liste des autres crimes qui peuvent exister, le plus important ici, quand on omet l'hypocrisie de certains représentants, aux yeux de Walla Walla : ceux sont ceux perpétrés sur les enfants. Je suis persuadée que vous connaissez vos hommes, vous pourriez me donner quelques noms de personne que vous estimez suffisamment fiable pour ça, a-t-elle besoin de donner des exemples ? En premier lieu, évidemment qu'elle aurait parlé de Mason. En d'autres circonstances en tout cas. Mais Elijah Hawksley ? C'est le premier nom qui lui vient. De même, Ezekiel Ortega a montré qu'il ne soutenait pas du tout cette manière de faire. Qu'elle soit votre est louable, mais un tri dans ce panier de pommes a sans doute besoin d'être fait, vous ne pensez pas ?
Oh elle provoque. Et elle peut aussi sentir le regard lourd de son époux. Non, elle n'a pas bien compris sa demande. Faire profil bas ? Rester discrète ? Allons bon, elle est là justement pour estimer si le futur Général Phillips est dans la lignée des autres ou s'en démarque ! Ses mots, affirmés avec sérieux, laissent penser la deuxième option. Et puis vous êtes bien avare en détails, tous les deux ! S'exclame-t-elle avec un grand sourire amusé : Les débuts ont sans doute été comme partout ailleurs, la nouveauté des évènements et la violence de ces derniers ont permis à des personnalités de ressortir. Et qu'est-ce qu'il y avait à dire ? Ils faisaient exactement ce qu'il fallait pour qu'on survive tous. En fait, à bien des égards, nous étions juste un groupe des plus ordinaires, comme il doit en exister de nombreux qui n'ont pas été rallié ici, ajoute-t-elle : Ce n'est évidemment plus le cas aujourd'hui, tu peux le constater par toi-même, elle l'a vu de ses yeux. Même tout ce qui n'allait pas.
« La paix, Colonel. Ne vous ai-je pas déjà dit que je croyais en vos valeurs ? » Louvoie-t-elle, alors qu’à table Armand se tend sur ce qu’il pense être une attaque contre ce qu’il défend. Cette conversation n’avait pas eu lieu autour de cette table mais, elle le croyait et elle ne reviendrait pas sur opinion. Le Docteur Min-Oh n’est pas moins avare en informations, lui non plus. Se méprisaient-ils à ce point sur sa question ? Mais Neela reprend bien vite la parole sur un ton plus léger, même si ses paroles étaient plus conséquentes qu’il n’y paraissait à vue d’oeil.
C’est à ce moment précis que Sylvia débarque pour venir prendre leurs assiettes, annonçant le plat principal. Une volaille aux petits légumes, si ce n’était pas aussi appétissant que révoltant quand on connaissait les misères des autres districts ? Ela même a du mal à continuer à feindre le ravissement. « Merci, Sylvia. » Dit-elle, sincèrement. Puis elle se retourne vers ses convives en les invitant à manger.
Elle réfléchissait aux dernières paroles de Neela, cependant. « Les débuts ont été chaotiques pour tout le monde. Personne n’aurait pu nous préparer à tout cela. » Dit-elle, en regardant un peu dans le vide quelques instants. « Chacun a fait comme il a pu, avec les moyens dont ils disposaient alors, que ce soit nous dehors ou vous. » Continue-t-elle. Armand savait pertinemment qu’elle évoquait les Remnants, à demi-mot. « Il y a un avant et un après, Colonel. Je veux dire : au début de tout ça. Il y a eu la survie et puis pour des communautés comme celle-ci : la prospérité. » Et ses dérives. Les Remnants étaient loin de n’avoir rien à se reprocher. « Alors oui, je vous demandais comment c’était avant quand rien de tout cela n’existait encore : la sécurité, le confort, … la paix. Alors, ne voyez pas ma question comme une attaque personnelle, je ne remettrai jamais les erreurs de quelques uns sur les épaules de tous ici. D’autant qu’il me semble qu’à cette table, nous sommes tous à partager et à défendre l’intégrité, l’éthique et les croyances de chacun. Temps qu’il reste quelques branches saines, l’arbre peut encore être sauvé, n’est-ce pas ? » Amène-t-elle, avec un sourire plus doux. Dans son regard, une fine intelligence. Neela se demandait sûrement encore de quel côté se battait le Colonel, Ela avait l’assurance de le croire sur le bon chemin.
If I could start again, A million miles away I would keep myself, I would find a way.
Armand n’avait pas poursuivi les requêtes de Neela sur sa commission. C’était parler dans le vent, elle n’avait aucune chance de se tenir demain, et il n’irait pas nommer à la jeune femme ses personnes de confiance. Ça ne la regardait pas.
- Mais le tri est déjà en train de se faire, n’est-ce pas ? McCoy, Newman, O’Connell également par la force des choses. Il n’aimait pas son sous-entendu. Il la dévisagea. Vous n’avez pas l’air adepte de la présomption d’innocence. Vous devriez faire attention à ce que vous dites. On pourrait croire que vous cherchez à accuser d’autres responsables. Comme Hale. Ou lui-même quand il serait nommé à son tour Grand Général ? L’Adonaï ?
Il s’était tendu. Il n’était pas venu à ce diner pour se retrouver dans des débats révolutionnaires. Il évitait précisément ces derniers, depuis près de deux années, en dehors de ses discussions avec Mason, ce n’était pas pour copiner avec des pseudo-rebelles et se faire griller à dix mètres de la ligne d’arrivée. Ses yeux sombres se posèrent sur Ela. Devait-il regretter le départ de Luther et Tara ? Il prit une inspiration. Il voulait leur laisser une chance.
- Avant, il y avait la mort, comme partout, répondit-il à l'israélienne. Il n’y avait plus de Dieu. Plus d’objectif, ni de Guide, pour la plupart d’entre nous. Et sans objectif, sans envie surtout, on ne battit rien, vous ne croyez pas ?
En cela, Richardson était véritablement spécial et il aimait souvent à le rappeler. En quelques années, à partir de rien, il avait fédéré ces centaines et des centaines de gens. Il avait inspiré les foules pour se surpasser. Armand l’aurait vénéré des dizaines d’années s’il n’avait pas tout bonnement… vrillé ? Il posa son regard un instant sur l’hôtesse de maison, attaquant sa volaille. Il se demanda ce qui avait réellement motivé les Remnants au début de ce chaos ? Comment le groupe s’était formé ? Ce dernier gardait pour lui encore tellement de zones d’ombre. Il ignorait qu’ils n’étaient pour la plupart que des privilégiés. Qu’ils avaient mis pour certains des années à se confronter à l’horreur. Ça expliquerait beaucoup, certainement.
J'essaie de ne pas être naïve, tout simplement. Avant ça, on faisait bien passer des commissions pour s'assurer que les décisionnaires n'aient rien à se reprocher de grave. Je trouve ça normal que ça puisse avoir cours aujourd'hui quand c'est plus que jamais la vie de personnes qui sont en jeu. Si le candidat n'a rien comme boulet à ses chevilles, et qu'il a toutes les qualités, pourquoi voudrais-je l'accuser de quoi que ce soit ? Souffle-t-elle sans agressivité, en haussant les épaules. Oh bien sûr, elle aurait à balayer devant sa porte vu ses propres actes, mais ne rien faire ne fait sans doute pas partie de son vocabulaire.
Du moins, plus depuis que son cerveau a court-circuité le sentiment de peur. Ils mangent, parlent d'ailleurs, dans une ambiance qui n'est pas mauvaise. Vouloir de l'exemplarité, ça ne constitue pas un crime non plus ? On a trop pour accabler certains dirigeants, quand nous devons être porteur d'un message aussi profond que bienveillant : je suis comme tout le monde, je veux seulement la paix pour des gens qui ont trop souffert, ajoute-t-elle. Et à la remarque d'Armand, elle a un sourire un peu fatigué, et attendri : C'est bien d'être uni derrière des valeurs positives et fortes, l'espoir est sans doute le moteur le plus puissant qui puisse exister pour les Hommes, souffle-t-elle.
Elle a un soupir : Je crois que plus que la liberté ou la sécurité qu'on oppose la majorité du temps, les gens ont envie de croire que l'humanité n'est pas un naufrage, fait-elle en portant une main sur son ventre, se redressant sur son siège. Son dos la tire, et Min-Oh semble s'en inquiéter quelques instants : Ça va, elle est un petit peu agitée, c'est tout, pour ne pas dire que c'est actuellement la nouba dans son utérus.
Neela a réussi à le souffler. Min-Oh ne sait même plus s’il est sans voix ou simplement choqué. Il lui a pourtant dit, clairement il lui semble, qu’elle devait se faire discrète au possible, et voilà sa femme qui s’engage dans une discussion qu’elle ne maitrise pas, ou feint d’être une idiote complète et une rebelle affichée. Il la fixe sans arriver à articuler une syllabe.
Heureusement la douleur qui la prend semble lui permettre une évasion. Trop de pensées qui l’accablaient, la possibilité d’un cas médical lui fait reprendre pied. Elle le rassure quand il se lève déjà. « Je suis navré, je dois ausculter mon épouse. Sa grossesse est à risque et je ne tiens pas à laisser la chose au hasard. » Le fœtus est effectivement dans une situation tendue. Depuis le pic dans l’abdomen que Neela a pris, personne ne saurait dire, faute d’imagerie précise, dans quel état il devra sortir. Min-Oh attrape sa femme par le bras pour la lever sans demander son avis.
« Ela, auriez-vous un endroit calme où je pourrais asseoir Neela ? » Les toilettes suffiront à ce stade, pourvu qu’il la traine de force hors de cette situation.