- Probablement, oui, le temps de faire mes preuves sur un sujet… épineux, répondit-il à Min-Oh, tout en évitant cette fois de regarder Ela. Il força un sourire. Il regarda Luther ensuite. Il resta évasif sur le futur remplaçant d’O’Connell. Les jeux n’étaient pas encore totalement faits, même si sa dernière discussion avec James Hale quelques jours plus tôt était très… encourageante. Je crois, il y a plusieurs candidats, nous devrions en savoir plus bientôt. De fait, sa nomination aurait lieu seulement quatre jours plus tard…
Le sujet de l’avenir de la clinique l’intéressait aussi tout particulièrement. Car le remplaçant de Newman rejoindrait les rangs des responsables et des gens influents. A chaque nouvelle nomination, le haut cercle de New Eden se devait de prendre une direction plus modérée, c’était du moins les espérances d’Armand. C’était en cela que le profil de Djamal ne lui plaisait pas réellement, en dehors de toutes les qualités du bonhomme. Le message misogyne qu’il véhiculait à longueur de temps n’allait pas dans cette direction.
- Il est très efficace effectivement. Il a accompli beaucoup de choses sur Seattle, c’est quelqu’un de brillant, affirma-t-il.
Dix ans d’étude, tout ça tout ça. Son regard passa toutefois de Luther à Min-Oh. Le Colonel ne doutait pas qu’ils savaient certainement qu’ils étaient aussi candidats pour le poste, mais ils jouaient la carte de l’humilité. De fait, Djamal avait quelques cartouches d’avance. Mais Armand comptait bien donner son avis à Hale, avec lequel il avait une relation de grand respect et de grande confiance. Il attendait après ce diner pour définir plus précisément auquel il voulait donner son soutien.
Tara regarda ensuite Ela avec des yeux intéressés de bonne vieille commère à sa remarque sur Newman. Elle ne contredit pas l’époux de cette dernière mais murmura à sa voisine de table :
- Tu me raconteras ?...
Au même moment, le biper sonna. En voyant le médecin partir, la jeune femme jeta une œillade vers son mari. Elle avait de l’amertume en elle. Celle de passer après ses ambitions et sa carrière. Celle aussi d’avoir cette impression parfois d’être une plante verte dans le décor. Alors elle se proposa pour suivre Luther, pour lui faire un pied de nez. Peut-être aussi qu’elle devinait que les hommes allaient monopoliser la discussion – comme toujours – et qu’elle allait indéniablement s’ennuyer.
- C’est une première pour moi, admit Armand, qui avait lancé un regard surpris et interrogateur à sa femme. Elle avait atteint son objectif, car se voir laisser en plan le contrariait réellement. Cela se devina et Tara apprécia la sensation. Même si elle savait qu’elle allait nettement moins aimé la discussion qu’ils auraient ultérieurement… Bien qu’est-ce que nous disions ?
Ce qu'ils font est trop important pour qu'on s'en plaigne : il n'y a rien de plus honorable et noble que de sauver des vies, non ? Plaide-t-elle simplement. Qu'il s'agisse de Luther, Min-Oh ou même Tara qui travaille comme infirmière, Neela ne se permettrait pas de venir les juger dans ce qu'ils font alors qu'ils sont nécessaires à cette société. Bien plus qu'elle-même par ailleurs, qui contribue autrement mais, à bien des égards, moins qu'eux. Bon courage, leur souffle-t-elle avec un petit signe de la main, partageant un sourire complice avec Tara.
Le départ du duo la laisse songeuse un temps quand Armand demande à raccrocher les wagons : Les changements en lisse actuellement dans les Grands Généraux, rappelle-t-elle simplement. Tout ça parait fou, non ? Nous avons suivi pendant des années des hommes à la morale aussi douteuses que ce McCoy, souffle-t-elle d'un ton détaché pourtant : J'admets être vraiment sous le choc des révélations qui sont sortis à son sujet, et qui mouillent d'autres généraux, nombreux. Vous avez eu l'occasion de lire ça ? Demande-t-elle à Armand. A Seattle, difficile d'être au fait de tout.
D’un sourire discret, l’israélienne hocha la tête à la question de Tara. Ce genre d’informations se devait d’être partagées après tout. Quant à savoir ce qu’Ela pensait du Docteur Vanhooten, l’israélienne avait préféré boire un peu d’eau. Elle n’avait rien contre son professionnalisme, mais sa première rencontre avec lui - tout comme celle avait Min-Oh - n’était pas teinté d’agréables souvenirs.
« Luther ne m’a dit que du bien des compétences de Tara » Dit-elle, sans savoir si elle cherchait vraiment à rassurer Armand, ou juste à appuyer sur la relative indépendance que son amie prenait en l’absence de son époux. Elle hocha ensuite la tête aux propos de Neela. L’israélienne respectait énormément le travail de son mari, celui du Docteur Yeo-Jeong et de Tara, évidemment. New Eden ou non, ce qu’ils faisaient restait important.
Le sujet se recentre un peu, les tracts sont mis en lumière avec les accusations, les rumeurs, les preuves et puis, ce procès à huis clos contre le Général McCoy. « Sans parler de ce qui est arrivé à Cliffdel… J’en suis encore toute retournée. » Surprise ? Pas vraiment. A nouveau, l'israélienne préfère prendre son verre d’eau dans les mains que de se risquer sur ce sujet-là maintenant - tout en écoutant attentivement la réponse des deux hommes à sa table.
If I could start again, A million miles away I would keep myself, I would find a way.
C’est une bonne chose que ce ne soit pas toléré, répondit l’homme. Le sens moral n’était ainsi pas complètement mort. Certes, sous le manteau, certains se permettaient des choses. Mais à la lumière, ils savaient admettre que ce n’était pas acceptable. Maigre consolation, mais tout de même… Je l’ai lu oui, brièvement.
L’adverbe était faux. C’était Tara et Eliza qui avait gardé un exemplaire des tracts et l’afro-américain l’avait au contraire lu avec attention. Au point de pouvoir presque s’en souvenir aujourd’hui par cœur. Avant de le bruler.
- J’aurais espéré que ce ne soit que des mensonges, mais puisque McCoy a été écarté… C’était que ça ne l’était pas. Voire pire… que c’était suffisamment connu pour que personne ne s’indigne d’un tel mensonge. Le pouvoir donne hélas à croire aux gens qu’ils peuvent faire ce qu’il leur plait. J’espère que cela servira de leçon aux suivants… Son regard coula vers Min-Oh.
Min-Oh acquiesce discrètement à la phrase d’Armand laissée en suspens. « Je crains qu’il s’agisse d’un aveu. » Véritable, sur toutes les charges, ou simplement pour calmer les esprits, si sur McCoy l’urgentiste n’a pas de doute, la méthode ne semble pas impossible ici. Son regard croise celui de Phillips, ayant comme l’impression d’une mise en garde autant qu’une question.
« Je suppose qu’il ne nous coutera rien de prier pour que la sagesse revienne de façon durable dans notre hiérarchie. » Si allumer un cierge ne risque pas de changer la façon dont le monde a toujours tourné, au moins ça ne demandera que peu d’investissements de leur part. Il reste pourtant une inconnue à cette table, si tant est qu’on ne considère pas l’oreille qui s’affaire en cuisine. Min-Oh ne s’exprimera pas plus sur le sujet, préférant se tourner vers Ela.
Un sourire poli, il n’a aucune honte à détourner la conversation. « Vous vous êtes adaptée remarquablement vite à notre société, je suis certain que les changements futurs ne seront pas plus déstabilisants. » Elle est la seule qui n’était pas au stade autour de cette table. Qui sait réellement comment ils se sont rencontrés, des deux avec eux ? Le médecin ne s’y tentera pas.
Vous pensez qu'il y a d'autres travers cachés au sein de cette administration ? Demande-t-elle à l'assemblée, d'un ton innocent et faussement naïf. Bien sûr qu'elle le sait, elle pose juste la conversation pour permettre d'évaluer le seul inconnu de cette pièce. Est-ce qu'une commission ne serait pas judicieuse pour aviser des prétendants à venir, ou des généraux déjà en place ? Questionne-t-elle alors de manière plus directe. La voilà qui pose les yeux sur Armand. Lui qui est en lice pour prendre une place notable. Pourrait-il lui-même se soumettre à cette commission, et la tenir ensuite ? Gouverner avec de tels travers ne devrait pas être possible, relève-t-elle au sujet de McCoy - et d'autres. D'autant que les faits soulevés sont trop graves...
Elle conserve son sourire, son regard se perd un instant vers la cuisine où les odeurs lui parviennent et travaillent évidemment son appétit. Son enfant est un glouton qui habite une gloutonne, ça ne va pas en s'arrangeant. La remarque de Min-Oh lui arrache un petit rire amusé, et attendrie pour l'israélienne : Bien sûr qu'elle s'est adaptée, souligne-t-elle : Ela est une femme brillante, tu savais qu'elle était architecte avant ça ? Demande-t-elle à son mari, d'un ton léger. Quand on voit toutes les connaissances qu'il faut pour exercer ce genre de profession, elle vous construirait un palais avec une feuille et un compas. Alors que j'arrive à me perdre dans une pièce avec deux portes et quatre coins, nous ne venons pas tous au monde avec les mêmes avantages, plaisante-t-elle.
« Parfois le pouvoir peut faire tourner bien des têtes… » Commente-t-elle à la remarque d’Armand, en croisant brièvement son regard. Un avertissement pour qu’il ne se perde pas lui-même ? Peut-être. Elle se concentre rapidement sur autre chose.
Aux paroles sages de Min-Oh, l’israélienne hoche la tête poliment. Un miracle ne serait pas de trop, à ce stade. Mais il ne se créerait pas tout seul. La remarque du docteur sur sa vitesse d'adaptation la prend presque au dépourvu et elle lui offre un sourire qu’elle veut contrit avant de jeter un coup d'œil à Neela. « J’ai été bien entourée… Neela a été une des premières personnes que j’ai rencontré, ainsi que Daisy Newman. » Entre le feu et la glace, donc.
L’indienne la sauve un peu à vrai dire avec son caractère jovial et son emportement naturel. « Je crains n’avoir pu exercer longtemps mon métier à l’époque, mais le sens de l’adaptation est assez primordial si on veut satisfaire son client. Et la vie en-dehors de ces murs nous met bien assez à l’épreuve. » Commente-t-elle, avec un peu moins de retenue. « Arriver ici, après tout ce temps passé dehors c’était comme… irréel et sidérant… J’ai cru perdre l’esprit plus d’une fois tellement c’était difficile à croire qu’une telle paix puisse exister ici. » Confie-t-elle avec un brin d’humour, consciente de ce qu’elle glisse subtilement dans ses paroles. Son regard se pose brièvement sur chacun d’entre eux - elle seule, finalement, est consciente que les trois personnalités à sa table sont au courant de ce qu’elle a traversé.
Son regard s’arrête sur Armand, cependant. « Mais la paix, c’est un travail de longue haleine… Et j’imagine que les dérives d’aujourd’hui n’étaient pas celles des débuts… Comment était-ce ? Avant ? » Une question peut-être pas si innocente qu’elle y paraît. Elle se tourne ensuite vers Min-Oh et Neela, eux aussi présents depuis les débuts.
If I could start again, A million miles away I would keep myself, I would find a way.
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