Quand la porte des Hawksley s’ouvre, c’est Sylvia qui accueille le couple Philips et les débarrasse de leurs effets avant de les accompagner jusqu’au salon. « Colonel Philips entrez donc ! Vous arrivez à point pour sauver mon mari d’une conversation fort ennuyante je le crains. » Les hommes d’abord, n’est-ce pas ? « Tara, tu es radieuse, viens t'asseoir près de moi, cela fait si longtemps. » En effet, dans le salon, Luther, Neela et elle en étaient déjà à prendre l’apéritif - sans alcool, évidemment.
L’israélienne fait un signe discret à son amie et aide à la maison pour aller chercher de quoi boire pour Armand et Tara, avant que Luther ne prenne la parole, venant saluer son ami avec toute cette raideur et ce protocole qu’on lui connaissait bien - si ce n’est cette once de soulagement à peine perceptible. « Le Docteur Yeo-Jeong a été retenu à la clinique, il devrait arriver sous peu. » Dès lors que Neela avait franchi le seuil de la maison, l’israélienne et elle avaient donc nourri la conversation de sujets ma foi, un peu futiles.
Si Ela offre une salutation polie à Armand, elle le laisse bien vite à son mari pour s’occuper de Tara qui s'enthousiasme rapidement sur le ventre rond de Neela en la félicitant. Sylvia revient rapidement avec les boissons à servir ainsi que quelques canapés sortis du four. La plupart des maisons avaient perdu leur électricité mais la maison de Luther était encore outrageusement desservie.
L’israélienne était souriante et enjouée juste ce qu’il fallait pour accuser ses hormones et donner le change. « Tara, je te présente mon amie Neela. Neela, voici en personne notre cher Colonel Philips… » A Tara d'ajouter, à l’intention de l’indienne avec un petit sourire pincé : « Profitez-en, il n’est que très rarement à Walla Walla… » Elle semblait à la fois fière de son mari et toujours un peu attristée de le voir courir loin d’elle à tout bout de champ.
Luther poussa alors un soupir plutôt plaintif avant de venir trinquer avec son ami de longue date. « La conversation va enfin devenir intéressante. » Souffle-t-il. Oh ça, son mari n’en avait pas vraiment idée jusque-là, pensa Ela. En arrière plan, un nourrisson se faisait encore discret dans le berceau installé non loin de la cheminée.
If I could start again, A million miles away I would keep myself, I would find a way.
Elle a du mal à quitter son fauteuil. Son avance à ce repas, prévu de longue date, n'est pas anodine. Elle a besoin de l'aide de Luther d'ailleurs pour réussir à s'extirper sans encombre. Et l'homme ne manque pas de lui demander de se ménager. Cependant, ils savent tous les deux qui vient de voir, et pourquoi elle ne pourra pas se contenter de rester assise en dépit de sa situation. Très vite de toute façon, le regard de Tara se fixe sur son ventre trop rond, on s'enthousiasme du bébé né, toutes ces banalités qui lui sont si difficiles à encaisser.
Surtout pour elle qui voit cette grossesse comme un outil, à défaut de mieux. Dans son état, il ne faut pas s'attendre à autre chose, au moins, les plaques de stress sur son ventre sont passés. Et les crises boulimiques ont été temporisé par l'angoisse de la capture de Mason. Heureuse de vous revoir, Colonel, souffle-t-elle poliment, un sourire aimable aux lèvres. Depuis le temps qu'elle voulait le rencontrer en personne, celui-là !
Excusez-moi, je ne reste pas debout trop longtemps mais il y en a une qui n'a pas très envie de me ménager, ajoute-t-elle en désignant son ventre rond. C'est suffisant pour que Tara Phillips la dispense de trop en faire, de même que Luther qui a l'autorité. La conversation s'amorce, elle rêve de voir Min-Oh débarqué, même si lui doit venir un peu à reculons. La dernière fois, nous n'avions pas eu le temps de trop discuter. Je crois que vous êtes souvent des voyages de mon mari vers Seattle, elle trouve l'opportunité, discrète dans un moment de silence entre eux. Neela ne se mêle pas de la conversation des femmes, et Luther vient de s'éclipser un instant. Il parle peu de ce qu'il se passe là-bas, mais il a toujours une remarque respectueuse à votre égard, ajoute-t-elle avec un sourire. Ok, c'est un petit peu exagéré. Mais qui ira le lui dire ?
Il avait accepté l’invitation, pour des raisons toutes personnelles qu’il ne pouvait partager avec personne. Il salua Ela et Luther. Tara était contente. Ils n’étaient pas sortis ainsi depuis des mois. Elle savourait la présence de son époux à ses côtés. Même s’il allait repartir prochainement, elle savait dorénavant qu’elle devait s’en contenter.
- Oui nous nous sommes déjà croisés, répondit Armand alors que l’israélienne lui présentait son amie. Il fit un mouvement du visage en guise de salutations pour l’indienne. Félicitations, enchaina-t-il devant son ventre rond. - Où est ton trésor, Ela ? Je veux le voir, demanda l’ancienne infirmière, qui adorait les bébés. Elle prenait sur elle, mais cette naissance, comme la grossesse de Neela, lui donnait un peu le cafard. Elle força un sourire.
Armand resta donc un court instant près de la femme enceinte et du médecin. Il acquiesça. Min-Oh avait effectivement voyagé de nombreuses fois à Seattle. A une époque même où lui ne le pouvait plus. Mais tout ceci était dorénavant de l’histoire ancienne.
- Son dernier séjour avait été vraiment difficile, admit-il. En effet, le coréen n’avait pas remis les pieds dans la cité d’émeraude depuis les évènements d’avril. Il ne fallait pas s’en étonner. Son visage prit une mine plus sombre. Nous ne sommes pas prêts d'y retourner. Comment va-t-il ? S’était-il remis de tout ça ? Il était peut-être plus facile d’évoquer ce sujet sensible en son absence. L’afro-américain regarda aussi Luther. Après tout, les deux hommes travaillaient ensemble.
S’il y a bien quelque chose qu’Ela n’a pas à feindre c’est l’amour qu’elle porte à son fils - peu importe les circonstances de sa naissance. « Oui, viens avec moi… Je vais te présenter notre fils. » Et l’israélienne entraine la jeune femme vers le berceau, sous le regard bienveillant de Luther. Lui est plutôt soulagé que l’israélienne lui ait donné un fils aussi rapidement. Un poids s’était ôté de ses épaules à la naissance du petit garçon. « Je te présente … Michael » La vérité c’est que ce prénom la crispait, mais elle n’a pas réellement eu le choix. Sa seule liberté est de pouvoir l’appeler Micah en privé. Et puisqu’elle essaye d’occuper Tara, l’architecte décide de prendre le nourrisson à bras pour le poser au creux des bras de la jeune femme. Elle est radieuse avec un bébé dans les bras. Ela eut une pointe au cœur en se disant qu’un jour Armand lui ferait forcément cet enfant que Tara désirait tant. Sentiment qu’elle fait disparaître rapidement.
Du côté du salon, une autre conversation se joue à quelques pas d’elles. Neela s’intéresse à Seattle, la mention de son mari intéresse suffisamment Luther pour qu’il y fasse un peu attention. Mais a-t-il remarqué les souffrances de son confrère ? Il n’avait jamais remarqué dans le passé, l’entente particulière entre Armand et Ela alors. « Le travail du Docteur Yeo-Jeong ne s’en fait pas ressentir, en tous cas. De toute façon, nous avons bien trop besoin de lui en ce moment à la clinique pour penser à Seattle. » Dit-il, d’une voix froide et détachée, sans doute que l’indienne aurait plus à dire. Un bruit se fait entendre à la cuisine, un bruit d’assiette et un faible juron en italien. « Je vais voir, ne bougez pas. » Dit-il, autant pour ses invités que pour sa femme.
If I could start again, A million miles away I would keep myself, I would find a way.
Luther s'esquive et le regard de Neela le suit un temps. L'homme se permet de parler de choses qu'il ne connait pas. Mais son départ lui permet de revenir chercher les yeux sombres du colonel, et de parler des faits : Il n'en parle pas, assume-t-elle simplement. Min-Oh viendra plus tard, et il n'en parlera toujours pas. A dire vrai, je sais les grandes lignes de ce qu'il s'est passé par Mason, explique-t-elle simplement.
Son ton est égal, elle ne fait montre d'aucune émotion incontrôlée. Elle sait, s'y est faite. Elle a couvé les cauchemars de Min-Oh, et tenu la main de Mason lorsqu'il a fallu. Ses yeux sondent son vis-à-vis, elle se passerait bien des discours formels sur les traumatismes, elle les connait déjà. Je ne veux pas avoir l'air cavalière, mais savez-vous où est Mason, aujourd'hui ? Demande-t-elle de but en blanc.
Cavalière, elle l'est déjà. Mais la subtilité ne fait pas vraiment partie de ses traits. Elle peut diluer le propos néanmoins. Ma cousine est enceinte, de lui. Elle accouchera d'ici trois mois, et Mason n'est peut-être plus son mari mais... Comment tourner ça ? C'est difficile de ne pas pouvoir lui donner de nouvelles, ni de savoir s'il est en vie ou non, plaide-t-elle. Vous avez été son témoin, j'ose espérer que vous en savez davantage que nous, à notre position, souffle-t-elle, d'un air grave.
Armand ne cilla pas à la mention de Mason. S’inquiétait-il pour son ami ? Définitivement. Mais le milicien avait fait ses choix. Il ne pouvait qu’assumer aujourd’hui. Il ne le plaindrait pas. Ils avaient toujours su qu’ils jouaient un jeu dangereux. Luther s’était éclipsé et la jeune femme en profita pour lui demander sans détour s’il avait des nouvelles de lui. Le regard de l’afro-américain partit vers une seconde vers Tara et Ela, à quelques mètres de là. Il serra la mâchoire.
- Il est à Colville, répondit-il, mais elle le savait certainement déjà. De ce que je sais, il n’a aucune raison d’être mort. Il n’a pas été condamné à la peine capitale. Il avait planté ses yeux noirs dans ceux de l’indienne. Il répondait avec assurance, comme si c’était évident. Il se demanda à quel point Ela et elle étaient amies. L’israélienne lui avait-elle parlé de ses origines ? Donné son retour de Colville ? Où se situait-elle dans les réseaux de Mason ? Ça n’avait que peu d’importance. Je suis navré pour Anjali, mais je n’ai pas plus de nouvelle de lui que vous. Je n’en cherche pas, ajouta-t-il, sur un ton tranché. C’était vrai. Trop fouiller dans cette direction le rendrait suspect. Le sort immédiat de l’ancien flic n’était pas entre ses mains. Et vous devriez en faire autant.
Le nom lui arrache un frisson, le genre mauvais, alors qu'elle relève un regard vers Armand. Difficile de cacher l'appréhension qui la saisit, notamment parce qu'elle ne peut qu'imaginer le corps de Mason sur une croix, dans un des champs dédiés. Elle ne peut que penser à ce qu'ils font de lui là-bas. Il est son ami, son frère, et si elle lui en veut de s'être planté en beauté, elle ne supporte pas l'image qui s'impose dans son esprit. Elle serre les mâchoires, déglutit péniblement en essayant de se tranquilliser.
Mais il lui est difficile de cacher autant son agacement que les tremblements de ses mains, serrées autour de son verre. Vous êtes déjà allé à Colville, Colonel ? Demande-t-elle pour poursuivre la conversation, d'un ton qu'elle veut tranquille mais qui ne l'est pas. Il n'y a que des rumeurs, elle n'a rien vu de cet endroit. Mais elle sait, confirmé par Min-Oh, de ce qu'il s'y passe. Vous savez ce qu'il y a là-bas ? S'enquit-elle.
Colville n'est pas Glenwood. On parle des Oblivions en des termes affreux, mais sont-ils vraiment à craindre quand on connait les monstres qui vivent parmi eux ?