Sujet: Fréquences communes Dim 18 Déc 2022 - 15:01
- Ça va aller ma belle, murmura-t-elle à Fury en la brossant.
La musicienne percevait la nervosité de sa jument. Même si elle connaissait déjà cet endroit, et le coin de grange qu’on lui mettait à disposition pour se reposer, ce n’était pas chez elle. Il y avait beaucoup de sons inconnus, d’odeurs inconnues, d’objets inconnus.
- On a pas encore fini de bouger, faut que tu sois encore patiente.
Parler à Fury était devenu plus fréquent qu’avant. Au-delà du lien affectueux qui l’unissait à sa monture, c’était probablement car Selene en pouvait plus discuter avec Juliet. Ça ne marchait plus, elles étaient dans une de ces périodes ou chaque mot était l’étincelle d’une dispute. Et là, elles avaient besoin de tout, sauf de se disputer.
La pianiste acheva sa besogne patiemment, puis quitta l’équidé non sans une dernière caresse sur les naseaux. Il faisait encore plus froid. Une fumée blanchâtre s’élevait dans les airs à chacune de ses respirations. Elle s’essuya les mains sur sa veste et extirpa ses vieux gants de la poche de son jean usé. Dégageant sa vision d’un jeté de cheveux en arrière, Selene examina ce qui l’entourait. Où allait-elle pouvoir se rendre utile pour le rester de l’après-midi ?
Il y avait justement un camion d’une teinte brune délavée par les années, qui venait de passer les barrières et finalisait sa marche arrière pour trouver le meilleur spot de déchargement. Déjà, plusieurs gars attendaient autour, et faisaient de grands gestes pour guider le conducteur. Malgré tout, la musicienne s’approcha pour demander à la première personne à portée de voix :
- Vous avez besoin d’un coup de main ?
Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle réalisa que parmi toutes les têtes qui se trouvaient là, il y avait Stan. Elle se figea, prise de court par cette apparition. Oh bien sûr, elle savait qu’elle allait le revoir en rejoignant son groupe – s’il était en vie en tout cas – mais elle ne s’attendait pas à ce que ce soit maintenant. Comme si on venait d’ouvrir une vanne dans la boîte noire de ses souvenirs, Selene se souvint des moments qu’ils avaient passé ensemble l’été passé. Une complicité intuitive, réconfortante, soldée sur un goût amère.
« Dum spiro spero »
Go back and forward, but all is melting like the snow ♪ Taking all from us, all we thought was left to know ♪ On what we treasure falls a dusty snow ♪ taking us backwards, but where we will never know.
Sujet: Re: Fréquences communes Lun 19 Déc 2022 - 21:52
Il bugua un instant à son tour quand ses yeux croisèrent ceux de Selene. Il ne l’avait pas vue arriver, ne s’était pas attendu davantage à la voir maintenant. Ça ne dura peut-être que trois secondes. Juste avant qu’il ne voie le camion s’approcher dangereusement de lui. Il fit deux pas en arrière pour éviter de se faire rouler sur les pieds. L’engin s’arrêta enfin. En même temps, un autre gars avait répondu à la jeune femme. C’était Dominik, qu’elle avait déjà certainement rencontré.
- Il va y avoir du matos à décharger, y a jamais trop de bras pour ça, déclara l’ancien serrurier. L’un des hommes ouvrait déjà la double porte arrière du véhicule et Stanley se retrouva à l’aider. Il grimpa dans un geste souple pour attraper une première caisse, qui finit dans les bras de Dominik, qui fit le relai à la brune. Commence par ça, lui glissa-t-il. Amène ça là-bas.
Le militaire la regarda une seconde s’éloigner, après avoir déchargé deux paires de bras supplémentaires. Parce qu’il n’avait eu aucune idée de ce qu’il aurait pu dire, il avait fait comme si de rien n’était. Un peu troublé toutefois, il s’engouffra de nouveau dans la remorque pour poursuivre le déchargement. C’était principalement du ravitaillement, pour tout ce qui pouvait manquer à la Ferme, qui était loin d’être autonome. En plus d’une livraison un peu particulière…
- Stan, on l’décharge où ton engin ? Demanda l’un des hommes. Car le camion transportait aussi au fond, un canon anti-aérien, en pièces détachées. Cinq pour être exact. Vue la menace New Eden qui pesait toujours sur eux, ils avaient pris la décision de démonter l’un des postes DCA qui protégeait Fort Ward pour l’amener jusqu’ici. Panther Lake avait aujourd’hui un rôle trop déterminant pour le laisser sans défense…
Les types les plus costauds s’occupèrent des éléments de métal, réellement lourds, qu’ils apportèrent plus loin près d’un des miradors. Stan en était évidemment. Selene fut invitée de son côté à aider à déballer une partie du matériel dans le corps de ferme. Pris ainsi dans le mouvement, ils se retrouvèrent chacun de leur côté. Ce ne fut que deux heures plus tard, alors que la nuit était tombée, que le trentenaire rejoignit avec deux compères, la pièce de vie où tous les autres étaient déjà attablés en vue du diner.
Sujet: Re: Fréquences communes Mar 20 Déc 2022 - 22:14
Obligée de s’arracher au regard de Stan – en partie parce qu’il avait failli passer sous les roues du camion –, la musicienne hocha la tête pour signaler qu’elle avait entendu les consignes qu’on lui donnait. Sans attendre, elle entreprit d’aider au déchargement. Elle ne parla que peu, sinon pour des commentaires pratiques, incapable de savoir comment se comporter dans l’entourage du militaire. Il ne lui avait même pas adressé la parole, alors que devait-elle comprendre ? Qu’il était toujours gêné de la façon dont leur dernière soirée s’était terminée ? Qu’il avait déjà jeté cet épisode dans le puits du passé et qu’il se souvenait à peine d’elle ? Devait-elle faire le premier pas ? Devait-elle le laisser agir ? C’était prise de tête.
Une fois son labeur fini, Selene rejoignit le logement qu’elles occupaient avec Juliet. Toute courbaturée, elle pénétra leur chambre en s’étirant et s’immobilisa en découvrant sa compagne – son ex ? – déjà installée sous ses couvertures, en tenue de nuit. Elle tenait un livre, qu’elle ne quitta pas des yeux en présence de la musicienne, alors qu’Elizabeth se jeta dans ses jambes.
- Mamaaaaaaaan ! - Tu ne viens pas manger ? S’étonna-t-elle, glissant machinalement les doigts dans les boucles brunes de sa fille. - J’ai pas faim. Et j’ai fait dîner Effy déjà, tu peux y aller toi si tu veux. - Juliet… je… - Je t’assure, vas-y.
Enfin, ses prunelles assurées quittèrent les pages de son roman, mais la pianiste n’y vit qu’un mur qui lui fit mal au cœur. Sa cadette était toujours contrariée, elle ne pourrait rien faire dans l’immédiat. Selene se renfrogna, s’accroupit brièvement pour échanger avec la petite sur sa journée, puis s’échappa pour aller se toiletter, prendre ses médicaments et quitter la maison.
Durant tout le chemin qui la menait à la salle commune où les dîners étaient partagés, elle ruminait son échange glacial avec sa petite amie. Sur le seuil de la porte, elle hésita à faire demi-tour. Avait-elle envie d’affronter le monde ? Pas sûr. Elle allait faire demi-tour quand arriva l’un des hommes qu’elle avait été à décharger plus tard.
- Sois pas timide ! Lui dit-elle, prenant sans doute son regard fuyant pour de l’introversion.
La musicienne le suivit et dans le salon, elle eut déjà envie de disparaître. Tout le monde était là, y compris Stan. Les paires d’yeux dressés sur elle la mire mal à l’aise, alors elle fila s’asseoir sur la première chaise venue. Elle se retrouva entre le dénommé Dominik et un certain Rocco. Ce dernier la séparait de Stan, alors elle ne pouvait pas le voir – ce qui à ce moment, était bêtement une préoccupation de moins…
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Sujet: Re: Fréquences communes Mer 21 Déc 2022 - 14:10
Tout le monde prit ainsi place autour de la table et le repas fut servi à la louchée. C’était une soupe au chou, agrémentée de pommes de terre. Ils étaient une dizaine, assis face à face. Pour ceux qui connaissaient bien Stanley, le garçon se faisait plus discret qu’à l’accoutumée. Il avait l’esprit un peu ailleurs. Évidemment la conversation s’en alla rapidement vers la menace des New Eden qui planait sur eux.
- C’est quoi les pronos pour qu’ils nous tombent dessus alors ? Demanda l’un des gars. Les regards convergeaient vers celui qu’ils pensaient pouvoir répondre. En réalité, le garçon n’en avait aucune idée. - Espérons qu’ce soit pas cette nuit, parce qu’on n’a pas fini d’installer l’canon, déclara-t-il simplement.
L’échange se poursuivit un peu. En même temps, Rocco s’intéressa un peu à sa voisine. Quand elle était arrivée, d’où elle venait. Stan se retrouva à tendre l’oreille pour écouter. Rapidement toutefois, cette position le contraria. Était-ce dû à l’intérêt non-feint de son voisin pour la jeune femme ? Ou simplement parce qu’il était sur la touche ?
Si l’instant était un moment convivial pour le petit groupe, il ne s’éternisa pas. Il n’y avait pas de rab ni de deuxième service. Les assiettes furent terminées rapidement, puis elles furent empilées. Stan s’était levé pour débarasser et se retrouva avec un panier de fruits de saison dans les mains. Quelques poires et des noix principalement. Il vint les poser sur la table. Parce que l’un des types était parti pour s’approcher du feu qui crépitait plus loin, il en profita pour changer de place et s’installer juste en face de Selene.
- On partage ? Lui demanda-t-il en s’emparant de l’une des poires, plantant ses yeux dans ceux de la brunette. Il n’y en avait pas une par personne, c’était ce que le rationnement leur imposait. Avec la peau ? Avec un couteau, il prépara des quartiers. Rocco s’était lancé dans des explications sur il-ne-savait-quoi et il s’en foutait complètement. Quand il eut la place d’en placer une, il changea complètement de sujet. La blessure qu’t’as eue, ça va mieux ? Il poussa deux morceaux de poire vers elle. Par ces quelques mots, il lui apprenait qu’il avait eu assez récemment de ses nouvelles.
Sujet: Re: Fréquences communes Mer 21 Déc 2022 - 20:43
Mangeant non sans feindre son appétit – les rations à Gig Harbor étaient bien plus frugales – la musicienne se prêta pudiquement au jeu de son voisin. Il l’interrogeait avec intérêt mais sans jamais se montrer indiscret. Juste avant que les assiettes ne soient terminées, il fit même mouche avec une plaisanterie qui lui arracha un rire bref. Une fois encore, ça faisait longtemps. Mais à la longue, elle avait pris l’habitude de ne plus rire.
A la dérobée, Selene observait toutes ces personnes, leur manière d’être ensemble. Son voisin d’en face s’esquiva pour entretenir le feu et fut remplacé, presque immédiatement, par Stan et une poire. La pianiste évita son regard, elle pensait même se réfugier dans sa conversion avec Rocco – ne serait-ce pas lui rendre service ? – mais le militaire lui adressa la parole et la prit de court.
- Euh… oui, bien sûr.
Pour le fruit, et pour la peau ; ils n’allaient quand même pas jeter ce qui se mange ! La jeune femme fut de nouveau accaparée par son voisin de droite, qui racontait désormais dans le détail comment il avait réparé le vieux tracteur qu’ils utilisaient à cet avant-poste. Selene hochait la tête pour maintenir l’illusion, mais elle n’écoutait plus. Elle essayait de ne pas trop regarder Stan, et de ne pas trop ressasser les souvenirs de leur complicité passée.
- Hein ? De quoi parlait-il ? Ah, elle leva machinalement le bras qui avait été blessé deux mois auparavant, comme s’il pouvait voir à travers les mailles de son pull, ça va, j’ai eu de la chance, elle se pinça les lèvres, taraudée par l’impression d’être trop froide, et…, elle soupira légèrement, le minois adouci par l’esquisse d’un sourire navré, et toi ? Tu avais plein de plan la dernière fois qu’on s’est vu... des trucs « top secret », elle tendait une perche, pour voir s’il faisait aussi le lien avec leurs moments privilégiés, ça s’est passé comme tu voulais ?
Dans les grandes lignes, Selene supposait que oui. Avec les échanges qu’elle avaient pu avoir avec les gens d’ici, et avec Layla, elle avait compris que Fort Ward avait frappé fort depuis trois mois. New Eden était touché et avait même été délogé de Seattle, c’était… impressionnant.
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Sujet: Re: Fréquences communes Mer 21 Déc 2022 - 22:03
Il devinait son malaise, alors que son regard le fuyait. Leur dernier échange, l’été précédent, avait vraisemblablement brisé quelque chose. Ça n'avait rien d'étonnant. Il y pensait évidemment mais il s’efforçait de chasser la gêne qui s’accordait avec la veste qu’il s’était pris alors. Il ne voulait se souvenir que du reste. De l’eau avait coulé sous les ponts depuis, après tout, non ? Pour lui, assurément, pour elle aussi, certainement. Ces derniers mois l’avaient vu renaitre, un peu.
Elle lui répondit en soulevant son bras alors qu’il croquait dans le fruit juteux. Sa main libre vint essuyer son menton barbu. Il se crispa légèrement quand il crut qu’elle allait s’arrêter là. Mais elle enchaina finalement et un fin sourire en coin vint se dessiner sur ses lèvres tandis qu’elle abordait ses projets de l’époque. Il ne pouvait alors pas en parler et était resté avec elle bien mystérieux. Lui promettant pourtant de tout lui raconter plus tard.
- Ffcch, broum, splash, se rappela-t-il. Ils en avaient ri. Son sourire se fit un temps plus franc, avant qu’il ne recroque dans sa poire. Il se retrouva à acquiescer la bouche pleine. On peut dire ça, ouais… On a bombardé les barrages qui alimentaient leur QG en électricité, précisa-t-il après un très court silence. Ça n’avait clairement aujourd’hui plus rien de secret. Splach le raz-d’marée. Ces quelques secondes après la rupture du premier barrage resteraient clairement pour lui l’un des moments les plus marquants de ce conflit. Le plus jouissif aussi. T’as su pour leur Providence, aussi ? On a terminé l’boulot qu’vous aviez commencé.
Oui ces derniers mois les avaient tous couronnés de succès. New Eden avait pris cher, mais si la bête était touchée, elle était encore loin d’être maitrisée. Et la menace qui planait sur leurs têtes était bien réelle, ils en avaient parlé.
- Et la suite alors ? Après c’canon dans nos champs ? Demanda Dominik, profitant du sujet pour se montrer curieux. Stan ouvrit ses mains, affichant une mine désolée. - Top secret, répondit-il pour la boutade. Il avait regardé le gaillard pour lui répondre, mais son regard coula vers la jeune femme. Il engouffra alors la fin de sa poire. C’est quoi tes projets ici ? Tu restes combien d’temps ? Demanda-t-il alors franchement.
Il avait croisée Lily à Fort Ward une dizaine de jours plus tôt et il imagina bêtement que Selene s’apprêtait à adopter un rythme similaire. Après tout, elle était venue seule ici, non ? C’était donc forcément temporaire.
Sujet: Re: Fréquences communes Jeu 22 Déc 2022 - 0:03
Selene rit timidement au retour du ffchh, boum splatch et s’autorisa à se détendre un peu. Elle porta un premier quartier de poire à ses lèvres, tandis que le militaire détaillait leurs actions. En effet, Stan et les siens n’avaient pas chômé dans cette histoire. Les barrages, carrément ? C’était du beau travail. Et elle ne put s’empêcher de ressentir une pointe de fierté quand il précisa qu’ils avaient terminé ce qu’ils « avaient commencé ». Ce n’était rien, mais c’était une forme de considération dans son sacrifice – et celui de ceux qui avaient participé. Exactement ce dont elle avait eu la sensation de manquer de la part de son ancienne famille.
- Incroyable, tu vas de secret en secret, taquina-t-elle, avalant un autre bout de son fruit.
C’était difficile de se souvenir qu’ils n’étaient pas que tous les deux. Le naturel revenait, et elle avait justement des envies de plage isolée de tout. Dans sa tête, le ressac des vagues berçait ses pensées. Elle raccrocha un sourire à ses lèvres pour ne pas sombrer dans la mélancolie et tenta, non sans mal, d’avoir l’air détachée en répondant aux nouvelles interrogations :
- Ici, je sais pas. Mais… disons qu’on devrait se croiser un peu souvent maintenant, elle pensait que le formuler de cette façon serait moins grotesque que de dire « j’emménage dans ton camp ! », mais finalement, à haute voix, ça lui paraissait absurde. Elle s’éclaircit la gorge et précisa : j’ai parlé à Layla il y a deux ou trois semaines… je sais que vous êtes à flux tendu, mais j’ai… j’ai pu négocier un essai, pour ma famille et moi, son regard s’échappa à nouveau, réflexe de gêne, comme si évoquer la présence de ses proches cassait quelque chose à leur bulle privilégiée, ma fille est déjà couchée et ma copine… n’avait pas faim.
Difficile de masquer la bref crispation de sa mâchoire, et la lueur malheureuse qui teinta brièvement ses yeux glacier. La gorge nouée, Selene tenta de garder le ton léger de la conversation en prenant Rocco à partie pour déclarer :
- Qui l’eut cru, hein ? Que je finisse par vous rejoindre…, il n’avait peut-être pas l’historique, et c’était probablement mieux comme ça, la soupe est toujours aussi bonne chez vous ? plaisanta-t-elle, ultime tentative de noyer le poisson.
« Dum spiro spero »
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