The Walking Dead RPG

La cale dans laquelle Alice s’était réfugiée était sombre, mais la protection qu’elle lui offrait, loin des regards indiscrets, la rassurait plus qu’elle ne l’inquiétait. Ils étaient partis, après sept jours interminables d’angoisse. Sept jours pendant lesquels elle n’avait cessé de regarder par-dessus son épaule, ne tournant le dos à personne, sursautant au moindre mouvement abrupt. Elle avait assisté Kaycee de son mieux, quand elle le pouvait, s’isolant le reste du temps. Fuyant les pirates, essayant de passer inaperçu. Là, dans le noir presque total, elle essayait de respirer mais ses poumons la brûlaient, comme si ce geste naturel la brûlait, après s’en être privée si longtemps.

Les bras serrés autour de ses jambes, le corps secoué de frissons, elle sentait toute la pression des derniers jours l’assaillir, comme un rouleau qui l’emportait sans qu’elle ne puisse y échapper. Elle sentait les gouttelettes sur ses bras, l’eau salée qui s’insinuait entre ses lèvres, l’air qui commençait à lui manquer, à nouveau, alors qu’elle ne réussissait à croire que les pirates étaient partis. Qu’ils les laissaient en paix, jusqu’à la prochaine fois. Elle se mordit la langue, essayant de réprimer la vague d’horreur qui la secouait alors qu’elle se remémorait les évènements des derniers jours, une brûlure acide remontant à sa gorge.

Levant les mains jusqu’à son visage, elle sentit les larmes qui coulaient sur ses joues, intarissables, alors qu’elle réprimait des haut-le-cœur, malgré son estomac noué. S’adossant à la paroi du bâtiment, elle ferma les yeux, comme pour chasser les images qui l’assaillaient, les flashs qui revenaient, certains anciens et d’autres beaucoup plus récents. Haletant, elle ne savait plus vraiment où elle était ni si ce qu’elle voyait été vrai. Les images se mélangeaient et se superposaient, alors qu’elle se voyait à Fox Island sur le navire donné par Tomas, attaquée par les pirates. Cherchant Ruby des yeux, elle remarqua Ashley, en train de vérifier les voiles, comme si les canons ne pointaient pas sur elle. Gémissant, dans un état de semi-conscience, les mots lui échappèrent. « Tu es morte, tu n’es pas là ! Arrêtez ! » Qui la tourmentait ? Présente sans vraiment l’être, elle se sentit jetée à l’eau, le choc lui sciant les jambes, alors qu’elle regardait un visage qui lui semblait familier. Oak… Non, ce n’était pas lui. Il se déforma, laissant entrevoir l’un de ces monstres qui rôdaient dans l’ombre, un de ceux qu’elle avait vu lors de la soirée sur la péniche.

Paniquée, avec la sensation d’être malmenée dans l’eau, elle se débattait entre les caisses derrière lesquelles elle s’était dissimulée, ne sentant pas les coups, cherchant simplement à s’échapper de la prison aqueuse dans laquelle elle croyait se trouver. Quand se mit-elle à hurler ? Quand est-ce que les larmes avaient redoublé, quand est-ce qu’elle s’était agenouillée, incapable de vomir alors que son estomac était vide ?

Quand reprit-elle conscience pour se voir sur Fox Island, entourée de rôdeurs occupés à dévorer ses proches ? Elle s’égosilla alors que Conrad et Oakley cessaient de se débattre et que le silence total revint en même temps que leurs cris s’éteignaient, seulement brisé par les râles. Le navire des gardes-côtes canadiens était échoué, inutilisable, sous ses yeux. Un vestige de sa survie, alors qu’elle se retrouvait seule. Comment les pirates l’avaient-ils retrouvée ? Comment avaient-ils su qu’ils n’avaient pas terminé leur travail ? Pourquoi elle ? Ces questions la taraudaient, sans même qu’elle n’en ait conscience, prisonnière de son mirage sur Fox Island. Prisonnière du cauchemar qu’elle vivait même éveillée. Recroquevillée sur elle-même, au sol, elle marmonnait, les implorant d’arrêter, même pas consciente d’être sortie de ses souvenirs, pour revenir au présent. Pas consciente non plus qu’ils étaient partis, et qu’ils étaient saufs pour l’instant. Elle sentait la présence des pirates tout autour d’elle, revivant chaque instant de la soirée. Paniquée, Alice regardait autour d’elle, perdue, se demandant si elle pouvait se jeter à l’eau pour y trouver la paix. Mais ils étaient dehors, n’est-ce pas ? Sur le pont, prêts à s’en prendre à tous ceux qui voudraient leur désobéir. Prostrée, elle resta longtemps dans la pénombre jusqu’à ce que ses larmes se tarissent, ses joues marquées de rouge, presque endormie dans la cale, dans un état second.

Une semaine est passée. Les pirates ont abandonné la péniche, pour le moment, nous laissant dans une ambiance morose et quelque peu chaotique. Les blessés sont stabilisés. Du moins, ceux qui n’ont pas été enlevés. J’apprécie le calme reposant, l’esprit fourmillant encore des images volées de cette dernière soirée.

Les autres semblent abattus. Alors je m’efforce d’en avoir l’air, moi aussi, sans trop en faire.

Je remonte les couloirs quand Thaïs m’interpelle. Il faut remonter de l’eau potable de notre stock à la cale. ”Je vais chercher ça.” Fais-je dans le soucis de me rendre bien serviable.

Je parcours le navire et descends doucement l’escalier trop raide, la démarche lasse, l’esprit préoccupé. Mon intégration aux Bastards était censée me rendre le confort que j’avais perdu sur le yacht. Ça devait être le renouveau des Devil’s Rejects, dans une certaine mesure. Le groupe n’a pas su se défendre de ces pillards, et me voilà à présent à leur botte. Privé d’une certaine liberté, et pour une durée indéfinie.

Je n’aime pas cette situation. Je dois trouver une manière de la tourner à mon avantage, rapidement, et prudemment.

J’avance dans le noir, parquet craquant légèrement sous mes pas. Bien avant d’atteindre les bidons, mon regard tombe sur une silhouette recroquevillée au sol. Silencieuse dans les plaintes graves que siffle la coque sous la pression des vagues. J’approche lentement, sans vraiment savoir à quoi m’attendre. Distingue la tignasse blond clair, le corps tremblotant, puis le visage d’Alice. Je pose un genoux à ses côtés, la détaille quelques secondes. Les marques sur ses joues, à peine visibles dans la pénombre. L’humidité perlant encore de ses yeux, reflets discrets. Le désespoir joliment dessiné sur ses traits, le tableau est agréable à regarder.

Jusqu’à ce qu’elle rouvre les yeux, les plante dans les miens. Impossible de manquer l’expression de peur qui la submerge. “C’est moi. Lee.” Fais-je en posant une main sur son épaule, autant pour la rassurer que l’empêcher de me mettre un coup réflexe. “Tu n’as rien à craindre. Ils sont loin, maintenant.” J’esquisse un léger sourire, airs angéliques, y vois l’opportunité de reprendre ce que j’avais vaguement entrepris avec elle ; un rapprochement, pourvu que ma présence la rassure.

Je recule légèrement et me redresse pour ôter ma veste, la poser sur ses jambes. “Tu dois être gelée. Tu es là depuis longtemps ?” en me laissant retomber en tailleur devant elle, l’inquiétude subtilement dessinée sur mes traits. “Qu’est-ce que tu fais ici ?”

Les bruits dans la cale se mêlent aux hallucinations qui lui semblent bien réelles, devant ses yeux. Aux pirates, un air goguenard sur le visage, qui les regardent d’un air conquérant, elle, Oakley, Conrad. Elle laissa échapper un nouveau cri, dans la réalité ou dans son cauchemar, elle ne savait pas trop, quand les morts-vivants se jetèrent sur ses anciens compagnons d’infortune, les recouvrant et les mordant sans le moindre doute. « Aidez-les ! Ils vous seront utiles ! » Un rire gras, sardonique, répondit à sa supplique, alors qu’ils la repoussaient de coups de pieds violents. « Patience, ton tour viendra. » Fermant les yeux, elle continuait à implorer, à prier un dieu en lequel elle ne croyait pas, pour qu’il la délivre.

Elle ne savait plus où elle était, ni combien de temps s’était écoulé, quand elle parvint à sortir de sa transe. La panique, qui avait commencé à refluer, grimpa à nouveau en flèche quand elle distingua un visage dans la pénombre, bien trop proche d’elle. Elle recula dans un sursaut, ou essaya du moins, pour heurter la paroi du bateau. Elle ne pourrait aller plus loin, elle était prise au piège. A la merci de la personne devant elle, dont les traits lui paraissaient familiers, mais qu’elle ne parvenait pas à réellement distinguer. Si elle voulait crier, les mots ne franchissaient pas sa gorge, bloqué par l’angoisse sourde qu’elle ressentait.

Elle aurait voulu frapper, mordre, éloigner cette main qui se posait sur cette épaule, avant que les mots prononcés ne se frayent un chemin jusqu’à elle. Que la voix familière devienne plus distincte, qu’elle reconnaisse les traits du jeune homme qu’elle avait croisé à plusieurs reprises. Est-ce que c’était vraiment lui, qui se tenait là, devant ses yeux ? Est-ce que… Est-ce qu’elle n’hallucinait pas ? Son esprit pouvait très bien lui jouer des tours. Elle était presque sûre d’avoir vu Oakley et Conrad, et c’était impossible. « Tu es vivant ? Tu es bien là ? » Il allait sûrement la prendre pour une folle, si c’était bien lui. Mais peut-être pas plus qu’en l’ayant trouvée ici, recroquevillée, les yeux perdus dans le vide, vraisemblablement en proie à une quelconque crise.

Il lui fallut encore plusieurs secondes avant d’accepter que ça avait l’air d’être vrai. Qu’il semblait réellement là. Que personne ne lui voulait du mal. Elle retira vivement la main qu’elle avait posée sur le bras de Lee, crispée dessus, dans l’espoir vain de le repousser. Ses forces l’avaient totalement quittée. « Désolée… Je, je ne sais pas. » Elle serra ses mains sur la veste, sentant la chaleur se répandre doucement, peinant à la réchauffer pour autant. « J’avais besoin d’être seule… » Elle grimaça, se mordant la lèvre. « Mais je me suis perdue… » Ce n’était pas tout à fait faux, même si la péniche n’était pas si grande. « On est où exactement ? Tu connais l’endroit ? Tu… T’es avec ceux de la péniche ? » Elle en avait eu l’impression, pendant la soirée, avant que tout ne dégénère. Enfin, elle ne le savait pas vraiment, elle l’avait croisé à tellement d’endroits différents depuis la tempête. Elle grelottait toujours, la peur ne l’ayant pas tout à fait quittée, alors qu’elle remontait ses jambes vers elle, essayant de placer tant bien que mal la veste de manière à ce qu’elle la couvre toute entière. « Tu n’as pas froid ? » Alice, elle, avait l’impression d’être glacée jusqu’aux os.

Étranges questions. Je plisse légèrement le regard en sondant le sien. Elle semble crispée par l'angoisse, en proie à une forme exacerbée de terreur. “Je suis vivant… Je suis là.” soufflé doucement, sans comprendre, la curiosité piquée par l'expressivité de ses traits. Je ne pense pas avoir l’air d’un rôdeur. C’est qu’elle devait être ailleurs.

Ils sont nombreux à avoir montré des comportements inhabituels après des actes sanglants. Je ne comprends pas ce qui se passe au-delà de la peur, de l’instinct de survie qui peut pousser à fuir ou se battre. C’est comme s’ils étaient changés. Trop pris par leurs pensées, à moitié en train de rêver.

On se relâche en même temps. Mais je reste tout près, ajustant avec douceur les pans de la veste sur les jambes de la jeune femme. Le froid ne tarde pas à me mordre la nuque, me caresser le dos. La péniche n’est pas chauffée, à l’exception d’un petit poêle à bois dans la pièce principale. Alors, tout au fond de la cale, on doit avoisiner les zéro degrés, si ce n’est moins.

“C’est la cale de la péniche. Je fais partie des Gentle Bastards, oui.” Elle s’est perdue ? Le bateau n’est pourtant pas si grand. "Ça va." que je mens, mon souffle changé en vapeur. Je n’aime pas cet inconfort, mais il pourra peut-être nous permettre de nous réchauffer autrement, plus tard. Paraît que le sens du sacrifice plaît à ces dames.

“Je suis désolé pour ce qui s’est passé.” Fait-il, détournant légèrement le regard, comme s’il avait honte de la manière dont la sécurité des Bastards s’est faite dépasser. “J’espère qu’on pourra vite retrouver tes amis, avec les nôtres. On ne va pas laisser traîner les choses.” En vérité, je me fiche bien de ce qui pourrait leur arriver. Mais sauver Sam pourrait bien me rapporter des points auprès de Billie, et lisser ma réputation est d'un effort constant.

“C’est pour ça que tu te caches ?” En cherchant à nouveau à capter ses yeux dans l’obscurité. En haut, ils craignent tous le retour des pirates. Moi-même, je n’aime pas me sentir si vulnérable face à un tel danger. “Je peux t’aider à remonter, si tu veux. Il y a de la place dans les dortoirs. Des couvertures. A cette heure-ci, tu y seras seule.” Avec moi, si elle ne me dégage pas de là.

Elle ne percevait pas du tout l’incertitude dans son regard, mais elle s’attacha à sa déclaration, se concentra sur la main qu’il avait posée sur son épaule, alors qu’il lui faisait face. Elle avait l’air plus réelle, plus tangible, qu’Oakley et Conrad – ou peut-être avait-elle désespérément besoin de s’en convaincre. Peut-être que, dans quelques secondes, quelques minutes, son visage se métamorphoserait en celui d’un autre. Mais pour l’instant, elle se sentait en confiance, alors qu’il parlait d’une voix douce, pour ne pas la brusquer. Alors qu’il répondait à ses questions, de manière pragmatique, lui permettant de reprendre pied réellement dans la réalité. Alors qu’il lui passait sa veste, l’ajustait lui-même sur ses membres gelés. Alice n’était même pas consciente que ses lèvres étaient bleuies par le froid, que la morsure de ce dernier se faisait sentir jusque dans ses jambes.

« Tu n’étais… p, pas avec eux, cet été ? Ni à Olympia. » Elle n’était pas vraiment sûre que ça soit des questions, mais elle se souvenait très bien du navire, qui n’avait rien à voir avec la péniche, qui l’avait amené à Telve – bien qu’elle ne se souvienne pas de grand-chose de son séjour là-bas. Mais en même temps, de nombreuses raisons pouvait l’avoir amené à se joindre à la péniche. Elle hocha lentement la tête, quand il lui affirma que le froid ne le dérangeait pas. Tant mieux. Elle se sentait, bêtement, mieux, avec sa veste sur les genoux, en tirant un réconfort absurde. Réconfort qui s’estompa aussitôt, alors qu’il s’excusait. Il… S’ils ne leur avaient pas ôté leurs armes, ils auraient pu se défendre, mais est-ce que ça n’aurait pas été pire, final ? Est-ce que ça aurait réellement changé la donne ? « S’ils ne sont pas déjà morts. S’ils… » S’ils n’ont pas subi davantage que la mort. Dans quel état seront-ils, s’ils en venaient réellement à les retrouver ? Elle s’était plus ou moins convaincue qu’ils l’étaient, même si une petite voix qu’elle aurait aimé faire taire lui soufflait que, si ça n’était pas le cas, ils devaient les aider. Mais elle était moins forte que celle, terrorisée, qui lui intimait de fuir les pirates. Qui n’était tenue en retrait que parce qu’elle n’était pas seule, que parce que Lee lui parlait.

Déglutissant difficilement, elle resserra ses bras autour de ses jambes, avant de hocher la tête. « Je… Oui. Je ne me suis pas vraiment perdue, j’ai voulu m’éloigner et je n’ai pas fait attention à l’endroit où je me rendais. » Elle inspira longuement, ayant du mal à poursuivre. « J’avais l’impression qu’ils me suivaient, qu’ils m’entouraient, qu’ils me traquaient. Que je les voyais. » Eux, et d’autres, mais hors de question de lui avouer que des fantômes de son passé lui étaient apparus. « Je ne t’ai pas reconnu tout de suite. » Ce n’était pas tout à fait vrai, mais pas tout à fait faux non plus. Elle ne l’avait pas vu, lui. Pas réellement. Elle frissonna brièvement, quand il évoqua la possibilité de remonter – plus par peur qu’à cause de la température dans la cale. Est-ce que… En était-elle seulement capable ? Il lui fallut se concentrer, pour entendre, pour comprendre, ce qu’il ajoutait. Pour se détendre – à peine. Pour hocher la tête, comme pour acquiescer. S’appuyant sur la paroi de la péniche, elle eut du mal à se redresser, ayant l’impression que ses jambes ne la tiendraient pas. Confuse, elle jeta un regard qu’elle voulait d’excuses à Lee, ne pouvant s’empêcher de se sentir gênée de son état. Gênée, surtout, d’avoir été surprise ainsi. Et, peut-être, de s’appuyer autant sur sa présence, même si elle n’était pas certaine qu’il en soit conscient. « Je, je veux bien. » S’efforçant de se rapprocher, de faire refluer la vague de panique, elle posa dans un réflexe sa main sur son bras, de crainte qu’il ne la distance ou ne la laisse seule. Même s’il avait parlé de l’y amener.

“Je suis arrivé cet automne. En octobre.” Après la défense des terres de The Haven, mais cette précision est probablement sans importance. La blonde n’y était pas. Et à vrai dire, j’ignore les positions politiques de son groupe - ça ne m'intéresse pas pour l'instant.

Ses mouvements sont contraints par le froid. Et la fatigue, sûrement. C’est plaisant de la voir recroquevillée devant moi comme une proie acculée, à bout de forces et apeurée, même si, cette fois, ce n’est pas moi le danger.

Bien sûr, l’inquiétude tremble dans sa voix lorsqu’elle évoque le probable destin funeste de nos alliés. Je ne sais pas trop quoi en dire. Essayer de la rassurer me ferait passer pour un naïf qui n’a plus les pieds dans la réalité. Mais prédire leur mort ne ferait que condamner son mental et, dans le même temps, la fin de cette soirée.

Alors je me contente d’une moue navrée, en baissant les yeux vers la veste sur ses jambes que mes mains ne quittent pas.

Alice reprend la parole, et je retrouve son regard dans le même temps, deux billes brillantes dans le noir. Je ne comprends pas comment elle peut avoir cette impression de présence, alors qu’ils ne sont plus là. Une subtilité de l’esprit qui m’échappe, encore. “Tu as dû faire un cauchemar.” Seule explication plausible. “Ils sont loin, je te l’assure.” Fais-je doucement en glissant une main sur la sienne alors que ses bras s’enroulent autour de ses genoux. Je presse ses doigts gelés contre ma paume, comme pour lui insuffler un peu de chaleur. “On est hors de danger, pour le moment.” Combien de temps, je l’ignore. Mais il serait logique que les pirates ne nous déciment pas, s’ils veulent que l’on travaille pour eux.

“Je t’accompagne.” confirmation glissée dans un léger sourire alors qu’elle me saisit le bras. Je m’approche bien davantage pour le passer dans son dos, l’aider à se remettre debout. Ma veste s’écrase entre nous, s’échappant brièvement avant que je ne la rattrape pour la remettre sur ses épaules. Une proximité dont je profite, bien sûr, même si je tâche de ne pas le montrer. “Tu peux marcher ?” Fais-je d’un air soucieux en la maintenant encore. “Je peux te porter, si tu me le demandes.” Sur le ton de la plaisanterie, quoique je pourrais m'y affairer sans problème. Elle ne doit pas être bien lourde. Mais je me doute qu’elle a sa fierté, comme toutes les femmes à bord.

Elle hocha la tête, sans trop surenchérir. Elle ne connaissait pas ses compagnons d’avant, et ça ne l’intéressait pas vraiment, si elle devait être honnête. Ça expliquait juste qu’il ait été sur la péniche, qu’il connaisse les lieux, et qu’il soit là maintenant. Ça l’incitait à lui faire confiance, aussi : après tout, ils étaient tous alliés, au moins de circonstance, face aux pirates, non ? Pas qu’elle soit naïve, mais ils menaçaient leur survie, alors si certains ployaient un temps, ce serait pour mieux s’arracher à leur emprise, non ?

Déglutissant difficilement, elle secoua la tête comme pour chasser ces pensées, se focalisant sur Lee. Ses paroles et ses gestes rassurants, sans qu’il n’essaye de la brusquer. Sa veste sur ses jambes qui lui conférait petit à petit une douce chaleur, aussi. « Un cauchemar ? » Tout lui semblait si réel, pourtant. Comme si ça se déroulait devant ses yeux. « Je… oui, c’est sûrement ça. » Qu’est-ce que ça pouvait être d’autre, de toute façon ? Certains des visages qu’elle avait vus appartenaient à des morts, son esprit troublé ne pouvait que les avoir imaginés. Elle le regarda, légèrement surprise alors qu’il posait sa main sur la sienne, avant de lui adresser un faible sourire. « Pour le moment… Vous avez parlé de ce que vous comptez faire ? » Est-ce qu’ils comptaient partir, comme eux ? Kaycee, Tiago et elle l’avaient brièvement évoqué, pendant le temps passer à veiller Ruby, mais rien n’était défini, rien n’était clair. Si Ruby décidait autre chose… Est-ce qu’ils la suivraient ? Elle en doutait, mais elle ne pouvait l’affirmer.

« Merci. » Pour l’aide, pour la veste, pour le fait de l’accompagner ? Elle ne savait pas vraiment. Un peu tout ça, probablement. Pour l’avoir trouvée, aussi, lui avoir permis de s’extraire de sa torpeur. « Ça devrait aller… » Probablement. Elle se sentait incroyablement lasse, ressentait plus cruellement la morsure du froid, mais il n’y avait pas de raison que ses jambes ne la portent pas. Malgré la fatigue, malgré la tension. Elle tourna un instant la tête vers lui, alors qu’il lui proposait de la porter, ayant du mal à saisir s’il était sérieux dans un premier temps. Esquissant un nouveau sourire qui ne montait pas jusqu’à ses yeux, elle fit signe que non, de la tête. « Allons-y. » Elle ne tenait pas particulièrement à rester là, mais contrairement à ce qu’elle en croyait, ses jambes la trahissaient, alors qu’elle traînait le pas malgré elle, trébuchait de temps à autre. Elle aurait préféré qu’ils arrivent aux dortoirs sans qu’elle ne galère comme ça, et elle adressa un regard désolé à Lee, alors qu’elle s’asseyait finalement sur l’un des couchages. « Tu, t’as des trucs à faire ? » Elle ne se sentait pas vraiment de rester seule. Elle n’avait pas envie que ses visions, ses cauchemars si c’en était, l’assaillent encore. « Je peux peut-être t’aider. » Elle n’était pas vraiment en état, mais ça valait mieux que de rester seule. Elle n’aurait qu’à prendre une couverture pour se réchauffer, et rester à ses côtés, silencieuse.