The Walking Dead RPG

Pour tout dire, Kaycee ne savait pas déterminer à l’heure actuelle dans quelle proportion la disparition de Joaquin était responsable du désespoir de sa fiancée. Ils avaient toujours eu une relation relativement pudique. On pouvait même se demander ce qu’une jeune femme comme Ruby pouvait faire avec un ancien malfrat comme l’hispanique. Mais la petite blonde en avait tout de même une idée. Elle savait que certains sentiments pouvaient surpasser tout le reste.

L’ingénieure avait de la colère en elle et elle la projetait sur son compagnon. Normal. La jeune doc resta la regarder en hochant simplement la tête, la laissant parler. Elle pinça les lèvres. Ruby trahit pourtant son chagrin en fondant en larmes de nouveau.

- Ils sont tous comme ça. Ils croient nous protéger, mais en débranchant leurs cerveaux, ils ne font qu’envenimer les choses. Mon père était exactement pareil, je connais ça. C’était plus fort qu’elle, ça faisait tellement de temps qu’elle n’avait pas eu de nouvelles qu’elle parlait de Kendale au passé. Puis taper, je sais pas, ils pensent que ça les rend plus important.

Elle parlait sans essayer de convaincre. Simplement pour meubler l’instant, laissant la blessée pleurer le temps qu’elle le voulait. C’était peut-être ce qu’elle appréciait aussi avec Tiago. Il pouvait passer pour un lâche, mais à ses yeux, il avait seulement plus de lucidité que la plupart des autres. Alors oui, aucun d’eux n’avait levé le petit doigt pour aider la jeune femme sur la péniche ce soir-là. Mais ce n’était pas parce qu’ils n’avaient pas voulu le faire. Mais parce qu’en analysant la situation, c’était ce qui leur avait semblé être la meilleure décision. Pour leur permettre de pouvoir se parler dans ces conditions aujourd’hui.

- Ils sont pas méchants, ils sont juste bêtes, enchaina-t-elle, même si ça la chagrinait de l’admettre. Joa était quelqu’un de bien. Il l’avait toujours été avec elle du moins. Elle avait pincé les lèvres et reposé le verre vide sur la table, qui se trouvait près d’elle. Ruby se redressa alors un peu pour lui faire face. Franchement ?... Demanda-t-elle, avant de prendre une grande inspiration. Il a tué l’un des leurs… Après ce qu’ils t’ont fait en plus, tu l’imagines ? Je vais te dire… j’espère qu’il est mort. Elle ne l’exprima pas, mais la possibilité que ces types puissent « mater » littéralement Joaquin, sans l’achever, c’était une perspective bien pire encore. Elle maintint sa tête haute. Je suis désolée... En réalité, elle n’avait que peu de doute, si bien qu’elle reprit, sur un ton convaincu. Il est mort Ruby. Et Roman le serait bientôt lui aussi.

~ Kaycee,

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Certainement que Joaquin n’était pas le seul à avoir le sang chaud, mais j’étais encore loin de parvenir à faire la part des choses, surtout le concernant. Mon compagnon avait été le seul à réagir si vivement, attirant l’attention sur nous. Il avait fait exactement le contraire ce qu’il espérait. « C’était si prévisible. » Lâchai-je d’un ton amer. Qu’il soit juste un idiot plein de bonnes intentions devrait me soulager ? Je lui en voulais énormément, bien plus encore qu’aux autres qui étaient simplement restés à observer la scène d’un regard mortifié. J’avais seulement voulu me dissimuler à leur regard. « C’est tout ce qu’il sait faire : empirer les choses en prétendant vouloir les réparer. » Ca avait été la même avec les Sinners.

Mais, pour autant, la suite me figea d’horreur. Je pouvais être à ce point en colère contre lui que je ne souhaitais pas sa mort, contrairement à Kaycee qui l’appelait comme une délivrance pour lui. Elle espérait que Joaquin soit décidé des suites de ses blessures, car dans le cas contraire, ces salopards l’avaient certainement emmené pour qu’il continue de payer pour son crime… celui d’avoir cherché à me défendre. Des sanglots secouèrent ma poitrine meurtrie, comme autant de poignards qu’on venait de me planter dans le cœur. Les paroles de Kaycee, prononcées avec conviction, sonnaient le glas pour celui qui avait partagé ma vie des années durant. Sans bien le savoir, elle venait de me plonger dans un abîme de souffrance et de désespoir. « Laisse-moi… » Lâchai-je entre deux sanglots, recroquevillée sur moi-même. « S’il te plaît… » Je voulais simplement pouvoir pleurer en paix, ce soir.

~~~

Le regard absent, je fixai au lointain les terres de Crescent que nous venions tout juste de quitter à travers le hublot de la cabine de Tomas. Je lâchai d’une voix faible à Kaycee, occupée à changer mes bandages : « C’est toujours aussi laid ? » Je ne savais pas quelle réponse je souhaitais exactement entendre. La vérité ou un mensonge éhonté pour me sentir un peu mieux ?

Je lui offrais la possibilité de ne pas me répondre, en enchaînant à voix basse : « Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ? On va rentrer à Silverdale… » Je réalisais, avec un temps de retard, que je ne leur avais pas parlé de mes plans à venir. « Notre planque est compromise, alors il faudra bien se mettre en sécurité ailleurs... » Je croisai brièvement son regard. J’avais les idées à peine plus claires qu’une dizaine de jours auparavant, mais c'était grandement aidé par notre départ. Nous nous éloignions du danger, ce qui m'aidait peu à peu à reprendre mes esprits, même si je me faisais doucement à l’idée qu’une part de moi restait ainsi : brisée, morcelée… perdue. « Je vais aller à Gig Harbor. Contre mes services, on devrait pouvoir se procurer de nouveau un navire à nous et… » Je marquai un silence, songeuse. « Ensuite, je pense retourner à Port Angeles. On a besoin d’un radar maritime pour prévoir leurs mouvements. Ca nous permettra de nous prémunir de leurs raids, et peut-être même de déduire l’emplacement de leur cache. » Ca deviendrait indispensable pour pouvoir naviguer sereinement en mer. A chaque instant, ils pouvaient surgir et nous rattraper, ici en pleine mer, ou de retour chez nous, si Roman parlait. « Et après ça… » Mon regard se porta à nouveau à l’horizon, plus incertain. « J’aimerais rentrer chez moi, et toi ? »

« I hate to see what I've become, I find no peace, no justice done This gravity, it's carving the heart out of me I've got to bleed it out, all my thoughts intoxicated 'Cause the weight on me, it buries me alive »

Kaycee regarda Ruby s’effondrer de nouveau et elle pinça les lèvres. Elle entendait au loin Vaughn lui affirmer qu’elle manquait d’empathie, qu’elle était trop froide. Son ancien ami évoquait alors ses patients, mais elle montrait la même distance aujourd’hui. Pourtant, en cet instant, la cause était différente. L’ingénieure n’était pas une inconnue à qui elle refusait des soins pour manque de moyens. Elle la connaissait bien, elle l’appréciait. Non si ses propos se montraient secs, c’était parce que cette disparition la bouleversait aussi. Au-delà de tous ces évènements, de la peur qui continuait à la ronger de l’intérieur, alors que ces salauds étaient toujours dans les parages, elle repensait à l’affection qu’elle avait pu avoir pour Joaquin. Elle revoyait ses yeux bleus – incroyables - et tous les souvenirs qu’elle avait de lui. Ces combats auxquels elle avait assisté dans la cage. Cette formation qu’il avait faite avec elle au dispensaire. Ces jours passés à Providence aussi un peu plus tôt dans l’année. Il était l’un des éléments des S.T.A.R.S qui la faisaient définitivement rester. Et elle ne le reverrait plus, elle en était convaincue.

Elle déglutit, attristée, et acquiesça doucement. Avant d’abandonner Ruby à son chagrin.

***

- C’est normal que ça reste boursouffler. Il faudra être patiente. Elle n’avait pas répondu immédiatement à sa question, mais le fit pour gagner du temps sur la suivante. Oui ça restait moche. Ça le resterait encore longtemps. La chance qu’elle avait était que personne ne lui avait tailladé la figure. Ces plaies, aussi hideuses qu’elles pouvaient l’être, ne présenteraient à l’avenir aucun handicap pour sa survie. Elle pouvait même choisir de ne les montrer à personne. Jamais. La priorité, c’est que ça ne te fasse plus mal.

Car en ce qui concernait la suite, la petite blonde ne savait pas vraiment. Elle était partagée. Elle voulait simplement partir loin d’ici, descendre de ce bateau pour ne plus remettre les pieds sur l’eau de sitôt. Elle voulait rester à l’écart des intrigues, des guérillas et des règlements de compte. Des gens… elle voulait fuir les gens. En même temps, il y avait Tiago, Salem et d’autres. Elle écouta Ruby évoquer ses plans, tout en terminant son labeur.

- Tu retournerais en bateau par là-bas ? Vers Port Angeles, tout ça. Elle stoppa son geste alors qu’elle bandait la poitrine de la jeune femme. Elle avait relevé ses yeux clairs vers elle. Elle pinça les lèvres. Rafael nous a proposé de rester aussi à Gig Harbor, je crois que c’est une bonne idée. J’ai besoin d’un break. Après ces derniers mois, les Sinners, et ça… je ne sais pas. Je ne crois pas que je veux vivre pour ça. Elles avaient d’ailleurs toutes les deux la chance d’avoir d’autres aptitudes. Elle prit une inspiration puis reprit son travail. Il y a d’autres choses à faire que ça. Kaycee se tut un instant, avant de relever une seconde les yeux. C’est où « chez toi » ?

~ Kaycee,

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J’eus une moue déconfite à l’idée que toutes ces plaies se mettent à boursoufler. J’avais beau savoir qu’il s’agissait là du processus normal de guérison, cette perspective me dégoûtait. Mon regard se baissa lentement sur ma poitrine… avant qu’un élan de panique ne me force à nouveau à fixer l’horizon. Non, impossible. Je ne voulais même pas savoir… alors pourquoi je ne pouvais pas m’empêcher de demander des précisions à la doctoresse ? C’était étrangement contradictoire de faire une telle fixation dessus tout en refusant strictement de se regarder en face.

« Je commence à gérer la douleur. » Je ne savais pas si elle avait fini simplement par être une vieille compagne ou si mes blessures commençaient réellement à ne plus me lancer. Chaque mouvement me coûtait encore. « Combien de temps avant que je puisse me déplacer sans problèmes, tu penses ? » Je faisais déjà le calcul dans ma tête. Ma convalescence allait tout retarder. Et je n’avais qu’une hâte, c’était de pouvoir me remettre au travail. Peut-être que j’arriverais enfin à penser à autre chose…

Sans m’en rendre compte, je commençais déjà à le faire. Et comme toujours, Kaycee était plutôt de bons conseils. Elle était pragmatique. « On n’aura pas le choix que d’y retourner en bateau. C’est ça ou consommer toute notre essence pour un aller simple… » Je croisai brièvement son regard. « Mais on a de bonnes relations avec ceux de Sanctuary Point. » Rien à voir avec nos relations catastrophiques avec les autres factions, notamment celle de Valérian. « On pourra aisément troquer nos services contre un navire, plus rapide que le leur, et armé cette fois. Même si l’idée n’est pas d’aller à la confrontation contre eux mais… on doit être capable de les semer et de les faire lâcher prise s’ils décident de nous prendre en chasse. Après, si nous arrivons à remettre ce radar maritime en route, on aura encore moins de difficultés à les esquiver, surtout avec les radios de Salem. » Il nous suffira de communiquer directement avec le centre de commandement pour établir notre plan de route, connaître la position exacte des pirates, et même prévoir la météo à venir… nos voyages en seront grandement facilités.

Je pris les deux mains de mon amie dans les miennes avec un sourire triste, une fois qu’elle eut terminé de bander mes plaies. « Je comprends… on n’a rien demandé, cette fois. Et on s’est retrouvé encore mêlés aux histoires des autres factions. » Un soupir las passa mes lèvres. Il ne devait s’agir que d’un contrat d’électricité, tout ce qu’il y avait de plus basique. « Reste à Gig Harbor aussi longtemps que tu le voudras, Kaycee. Mais sache que… les groupes attirent l’attention, surtout le long des rivages. » Si elle saurait se rendre utile partout où elle irait, la doctoresse ne serait réellement en sécurité nulle part. « Ce qui s’est passé à Crescent Bay peut se reproduire ailleurs. » Je ne lui apprenais rien. « On va devoir déménager notre planque également, par mesure de sécurité, et la piéger en partant. On peut retourner à Monroe, ce sera davantage dans l’intérieur des terres. » De là-bas, voir les agressions arriver seraient bien plus aisé.

Mais ce n’était que des préoccupations d’ordre stratégique. « Il y a d’autres choses à faire… comme quoi ? Qu’est-ce que tu as envie de faire, Kaycee ? » Un sentiment de nostalgie m’étreignit peu à peu quand elle m’invita à parler plus en détails de ma maison. C’était précisément quelque chose qui me tenait à cœur, que j’avais envie de concrétiser depuis longtemps. « C’est… à Victoria, sur l’île de Vancouver. » Soufflai-je sur le ton de la confidence. « Au début… je me disais que d’aller à Port Angeles serait une bonne idée pour faire du repérage en prévision du grand départ. C’était par ce port qu’on transitait, quand on ne prenait pas l’avion, autrefois... » Ma voix se fit plus triste : « Je n’ai jamais pu y retourner. » Je marquai un silence, hésitante. « Tu sais… je t’envie un peu. Au moins, tu sais où est ta famille, et tu n’as pas eu à affronter seule les premiers mois d’épidémie. Je me dis souvent que tout aurait été différent si j’avais pu prendre cet avion, si j’avais pu repartir… »

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- Tu devrais sentir une nette amélioration dans les dix prochains jours, je pense. La plupart des points ont déjà bien cicatrisés. On pourra masser si tu sens qu’il y a des adhérences. Ça pouvait arriver après ce genre de sutures. Seule toi sauras ensuite à quel point ça t’handicape et quand tu te sentiras apte. Je dirai que d’ici deux semaines, oui, rien de particulier ne devrait t’empêcher de faire ce que tu veux… sur le papier.

Elle haussa une épaule. Le reste, c’était du ressenti. Physique, mais pas uniquement. Car la jeune femme portait aussi le traumatisme global de son agression. La petite blonde la voyait cependant reprendre doucement du poil de la bête, c’était encourageant. L’ingénieure partit effectivement dans un monologue sur ses projets. Comme à son habitude, elle paraissait toujours avoir une longueur d’avance sur tout le monde, beaucoup dans l’anticipation. Il était clair qu’elle était plus futée que la normale. Pour cela, la jeune doc l’appréciait.  

- Je ne te l’ai pas dit, mais… tu as bien parlé contre Valerian hier, déclara d’ailleurs cette dernière, ses mains dans celles de Ruby, quand celle-ci évoqua les histoires des autres factions. Il n’a pas été content de l’entendre, mais il fallait que quelqu’un le dise. Ça n’aurait pas dû arriver… Si les Exilés avaient été plus prévoyants, si les Gentle Bastards plus prudents. Elle acquiesça. Oui Gig Harbor pour commencer, c’était bien. Les groupes attirent l’attention tôt ou tard. Partout, répliqua-t-elle ensuite en pinçant les lèvres.

Elle en avait hélas fait l’expérience à plusieurs reprises. C’était l’une des raisons qui l’avaient empêchée de suivre sa famille à New Eden. C’était ce qui la faisait aujourd’hui grandement réfléchir sur son avenir. Elle ne savait pas bien ce à quoi elle aspirait. Les conditions de survie devenaient de plus en plus difficiles en dehors des trafics qu’ils pouvaient faire avec les autres groupes. Elle savait soigner, mais elle avait besoin de patients, de blessés.

- Je veux juste vivre. J’ai trop de mauvais souvenirs, je veux m’en faire des nouveaux. Des beaux. C’était ce qu’elle avait fait une partie de cette année, à Centralia notamment l’hiver précédent. Avec Tiago principalement. Elle ne se laisserait pas aspirer par le malheur.

Ruby répondit alors à sa question sur sa maison. Kaycee pinça les lèvres, consciente de sa chance effectivement d’avoir eu ses parents. Consciente aussi de son ingratitude d’avoir fuguée du lycée Garfield sans leur dire, de les avoir obligés à la laisser derrière eux, encore une fois, ensuite. Elle avait la peur au ventre, souvent, quand elle pensait à eux, tout là-bas. Allaient-ils bien ? Kendale était-il vivant ? Elle savait néanmoins sa chance de pouvoir s’inquiéter quand tant d’autres n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer.

- J’étais retournée dans ma maison. C’était peut-être… deux ans après le début de tout ça. Je recherchais mes parents, on s’était… perdus de vue. J’en ai un souvenir… étrange, mais comme tu l’as dit, mon histoire est différente. Parce qu’elle ne risquait pas de retrouver ses parents transformés depuis des années dans la salle à manger. Mais je crois que c’est un voyage important, tu as raison. Courageux aussi. Elle se tut quelques instants. Tu serais peut-être juste morte aussi depuis longtemps, ajouta-t-elle. Elle ne connaissait pas les détails de la vie de Ruby. Ses premiers jours d’apocalypse. Mais ce qu’elle avait appris, c’était que le destin ne tenait à rien. La vie aussi. Elle avait planté ses yeux clairs dans les siens. Tu avais des frères et des soeurs ? Qui vivait encore là-bas ?

~ Kaycee,

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« M-masser ? » J’écarquillai les yeux, assez peu ravie de cette perspective. Les soins me paraissaient déjà incroyablement intrusifs, même si Kaycee était une femme, qui plus est aux gestes professionnels. Je me crispai régulièrement dès qu’elle me touchait, et pas uniquement à cause de la douleur. Ce contact forcé, surtout à ma poitrine, déclenchait quelques réminiscences, comme autant d’alarmes qui m’incitaient à fuir et m’en préserver.

Je relevai la tête vers Kaycee qui m’assura que j’avais bien parlé à la réunion. J’en doutais un peu, pour ma part. « Ca ne me ressemblait pas vraiment de réagir comme ça. Je me suis donnée en spectacle… et, au final, ça n’a rien arrangé. » J’avais simplement eu besoin de vider mon sac. Cette colère m’avait fait vibrer toute entière. Elle avait été comme un feu destructeur qui menaçait de tout détruire sur son chemin. Elle m’avait surprise moi-même, et prise au dépourvu. Est-ce que je me sentais mieux après avoir dit ses quatre vérités à Valérian ? Pas vraiment. « Qu’il fasse comme si Joaquin et moi n’avions rien subi, comme si Daniel avait été la seule victime malheureuse, et que tout était de notre faute sans se remettre une seule fois en question… ça m’a mise complètement hors de moi. » Lâchai-je d’une voix brisée sous l’émotion. Je tremblai un peu, essuyant d’une main une larme qui menaçait de couler. Je ne devrais pas être aussi affectée par les paroles de mon ancien leader, et pourtant…

Je pris une longue inspiration pour tenter de me ressaisir. « Tout le monde connaît l’emplacement de Gig Harbor parmi les otages et à Crescent Bay, alors qu’il n’y a que les nôtres qui peuvent trahir sous la torture l’emplacement de nos planques… mais les enjeux pour eux sont bien plus importants. Alors fais attention là-bas. » Ils avaient tous quelqu’un qu’ils désiraient ardemment protéger parmi les S.T.A.R.S. Roman s’était rapproché d’Alice. Joaquin préférait subir la pire des tortures que de les mettre sur ma trace. Quant à Lennox, il avait ses enfants. Nous pouvions espérer qu’Ace et Kira passeraient sous les radars. « Tu sais, Kaycee… il n’y a pas de solutions idéales. L’ancien gang de Joaquin a pu me mettre la main dessus parce que j’étais une solitaire à l’époque. Ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient de moi. » Soufflai-je d’une voix atone. « Vivre en groupe permet de se protéger les uns les autres, d’être plus forts ensemble… mais il y a toujours un plus gros poisson que nous, n’est-ce pas ? » J’avais du mal à savoir ce qui nous permettrait de nous mettre le plus en sécurité. « Je voudrais aussi me tenir loin de tout ça, mais est-ce que c’est vraiment possible au final ? »

Ses paroles me marquèrent. Moi qui pensais uniquement en terme de survie, l’entendre me dire qu’elle souhaitait uniquement vivre, pour se créer de nouveaux et beaux souvenirs, ne m’avait personnellement jamais traversé l’esprit. C’était encore moins le cas maintenant alors que je peinais déjà à garder la tête hors de l’eau. « Avant… J’y arrivais. Avec Joaquin… à la distillerie. » Je lui rendis un sourire triste, contenant mes larmes tant bien que mal. Il y avait bien eu une époque où j’avais simplement pu être innocente, inconséquente, même après la pandémie… mais tous les éléments qui constituaient cette existence-là s’étaient brisés en morceaux. « On allait chercher des livres pour moi. On passait des heures dans les magasins de vêtement pour essayer des tenues ridicules et parader… il avait même fini par se manger un mur en partant se changer, après m’avoir vu en robe. » Je lâchai un bref rire, en me remémorant ces souvenirs-là, avant que des nouveaux sanglots me secouèrent encore. En parler était aussi doux qu’amer.

Je me calmais un peu alors que Kaycee me racontait à son tour son histoire. Elle était retournée chez elle, bien après la pandémie. « Ca ressemblait à un cercueil vide, non ? » C’était l’idée que je m’en faisais. « Alice vient aussi de l’île de Vancouver, mais de Tofino. On voulait faire le voyage ensemble. » Soufflai-je d’un ton doux. « J’avais deux grands frères insupportables. » Lui confiai-je dans un sourire qui peinait à percer. « Peut-être qu’ils sont en vie. Ils étaient si pénibles qu’ils doivent bien l’être, non ? » Je regardai par le hublot, songeuse. « Le dernier appel que j’ai eu, c’était mon frère qui me disait de ne pas bouger de Tacoma. Qu’il arrivait me chercher par bateau. Mais il n’a jamais pu venir et les communications se sont coupées ensuite. » Mais Kaycee avait raison. Et s’il avait réussi ? Je n’aurais sans doute pas rencontré Warren. Et sans le militaire dans les premiers mois, je n’aurais pas donné cher de ma peau. « Ta famille ne te manque pas, des fois ? Tu n’as jamais songé à les rejoindre ? »

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- Tu pourras le faire toute seule, assura la jeune médecin à sa patiente alors qu’elles évoquaient le massage. D’ici quelques jours, elle lui montrerait.

Elles parlèrent un peu des Exilés, de Valerian et les autres. Kaycee ne comprenait pas vraiment pourquoi certains étaient restés. Daniel avait déjà suffisamment payé. Lennox, Ace ? Qu’avaient-ils à y gagner ? Très honnêtement, la jeune n’y voyait là qu’un masochisme patent. Ruby mentionna la colère qui s’était emparée d’elle, celle qui effleurait clairement encore aujourd’hui. La petite blonde acquiesça, consciente de la menace qui planait encore sur leurs différentes planques. Ça ne faisait aucun doute pour elle : ils devaient fuir, s’éloigner. Elle soupira.

- Je sais. Faut simplement trouver le juste milieu entre être assez pour s’entraider et survivre, mais pas trop pour… garder un certain contrôle. Elle repensa à ses années sur le Zonade. Cinq, six, en réalité, c’était son idéal. Mais ça ne mettait hélas à l’abri de rien. Ça l’est, si on le veut vraiment. Tu ne crois pas que ça va changer la dynamique de notre groupe ? Que certains soient restés là-bas ? Qu’on choisisse de les aider, ou pas ?

Pour elle, la scission était complète. Il y avait les gens présents sur ce bateau qui naviguait vers le sud, et les autres. A Crescent Bay, ou simplement partis, comme Roman et Joaquin. Si elle appréciait Ruby, Salem, Moon, Alice, elle envisageait même de prendre le large plus franchement, d’amener Tiago avec elle.

- Quand j’ai perdu ma sœur de cœur - elle s’appelait Roxanne - j’ai cru que je ne m’en remettrai jamais, confia-t-elle, après le sourire mêlé de larmes de l’ingénieure, en se remémorant des bons moments partagés avec son fiancé. J’ai vécu tellement de trucs… dingues avec elle. Ça fait plus de trois ans qu’elle est morte, aujourd’hui, elle me manque toujours autant. Mais… j’ai lâché prise. Et elle avait retrouvé le bonheur et vécu quelques instants de grâce depuis. Tu peux réapprendre à vivre… mais pour ça, tu dois te détacher de tous ces gens qui en attendent des tonnes de toi. Penser à toi, rien qu’à toi, ou presque.

Ruby portait beaucoup les membres des S.T.A.R.S sur ses épaules, s’en rendait-elle-même compte ? Elle était celle qui organisait les missions, qui anticipait les besoins de beaucoup d’entre eux. Elle se focalisait sur le pratique, avec un esprit mathématique. Mais elle s’enfermait dans ce rôle trop sérieux, trop lourd. Peut-être que leurs mésaventures serviraient au moins à replacer le curseur. Sur l’essentiel.

- Avec ce voyage par exemple, ajouta-t-elle, en évoquant le projet de la jeune femme de rentrer chez elle. Elle esquissa un sourire. Elle ne répondit pas sur les probabilités de survie des frères Finley. Ruby n’était pas idiote, si elle se trouvait peut-être à espérer, elle les connaissait. La plupart du temps, ça va. Mais j’essaie de ne pas trop y penser. Tu peux vite te perdre à essayer d’imaginer… tout et n’importe quoi. Je crois que j’ai une qualité : je suis terre à terre. Sûrement même un peu trop. Elle sourit, une seconde avant de refermer son visage. Mais non, New Eden… jamais…

~ Kaycee,

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