« Alors, on s’approche, on observe et c’est tout, d’accord ? » Qu’elle récapitule à Kaitlyn alors que son voilier prenait le large. La navigatrice et la mécano avaient pris le large en ce début de journée pour explorer les abords du Forbin échoué, duquel la jeune femme s’était sortie. La météo était plutôt froide mais calme, mais en cette fin d’automne, Guinevere se méfiait des vents changeants. « On n’est pas équipée pour de l’exploration, de toute façon c’n’est pas la bonne saison pour laisser le bateau sans surveillance. » A deux, c’était beaucoup trop dangereux de toute façon.
Guinevere savait aussi qu’il y avait quelques tensions qui régnaient entre Kaitlyn et Valerian. La blonde l’ayant pris sous sa responsabilité estimait qu’il était encore de son devoir d’essayer de comprendre, ou d’intégrer un peu plus la mécano au groupe. Elle, en tous cas, appréciait beaucoup la jeune femme - malgré le franc parlé, sa rigidité un peu et l’impulsivité qu’elle lui avait déjà connu par le passé. Était-ce si mal d’avoir de l’affection pour elle quand même ? Non, pas de son avis en tous cas.
« Vous étiez combien déjà, là-dedans ? Ça doit encore grouiller d’rôdeurs tu n’penses pas ? » Qu’elle lui demande, alors que son nouveau voilier prend le large, en profitant du vent fort et de la marée montante. Ce voilier avait été récupéré récemment, après la bataille de Tahlequah et n’avait toujours pas de nom. Guinevere dira qu’elle cherche toujours l’inspiration - c’est un peu vrai en soi. Pour le moment, elle avait juste pris soin de barrer le nom précédent, parce que sincèrement : Mère Marie, ce n’était vraiment pas approprié pour elle. A la limite, Marie Madeleine, mais elle ne tenait pas à vraiment à associer une religion à son putain de bateau.
« Sept ans sur ce bateau, j’sais que tu m’l’as déjà dit mais j’arrête pas d’me dire que ça laisse des putains d’traces. Non ? » Qu’elle commente. D’accord, elle n’est pas très discrète quand elle veut essayer de faire parler pour sonder un peu le terrain. D’ailleurs, Kaitlyn n’est sûrement pas dupe. Alors la blonde prend les devants. « Ok d’accord. En fait, j’voudrais savoir exactement c’qui s’est passé avec Valerian. Parce que j’n’ai pas trop eu l’temps de lui d’mander ces dernières semaines avec New Eden et tout l’bordel qui va avec. » La bataille de Tahlequah avait pris beaucoup de temps et d’énergie à tout le monde ici. Et quand Kaitlyn était restée sur le carreaux, Guinevere s’était dit qu’elle poserait ses questions plus tard. Eh bien, le plus tard c’était maintenant, on dirait.
Le voilier fendait les flots, comme une flèche lancée à toute vitesse. L'air été frais mais le temps agréable. Depuis qu'elles avaient pris le large, Kait était restée silencieuse. Elle portait un bonnet de laine et un blouson chaud, un jogging gris et des baskets. Autant dire qu'elle ressemblait à un sac, mais le confort et la chaleur valait bien l'humiliation d'une telle tenue. Elle s'agitait, tendait les cordages, en relâchait d'autres, elle passait d'un côté à l'autre du bateau pour faire contre poids en fonction des courants. Elle aimait ça. Et elle ne le découvrait que très récemment. Sept ans à rester dans les cales sombres, à réparer des moteurs, celui du navire, celui des canons, celui des grues et autres conneries. Sept ans à naviguer loin de l'océan. Et pour un marin, il était tant qu'elle se rende compte qu'elle aimait naviguer et pas seulement avoir les mains dans le cambouis. Le vent sifflait, gifflait ses joues et son nez qui prenaient une teinte rosée et faisait pleurer ses yeux. A la proue, elle regardait les vagues se fendre sous la lame du bateau, et elle souriait. Elle ne s'en rendait pas compte, mais elle souriait. Elle ne le comprendrait que lorsque ce sourire s’effacerait de son visage au moment ou Gin lui rapelle leur destination.
Explorer le Forbin. Oui, elle avait raison, ils n'avait ni l'équipement, ni le nombre pour le faire.Elle avait répondu aux observations de sa tutrice -Et comment l'appeler autrement?- par un signe de tête silencieux. Le vent devenait plus doux, et Kait n'avait plus besoin de toucher quoi que ce soit pour que le vaisseau file vers sa destination. Gin avait pris le vent à la perfection et les voiles gonflés tiraient leur embarcation vers la destination. Alors Kait était venue s'asseoir à côté de la navigatrice, en silence, un sourire en demi teinte sur un visage aux yeux brillants, comme ceux d'une enfant dans un manège.
-" Vous étiez combien déjà, là-dedans ? Ça doit encore grouiller d’rôdeurs tu n’penses pas ? " Lui demande sa complice en maintenant la barre. Le sourire de kait s’efface et elle baisse les yeux. Elle se remémore les derniers instants. Ils étaient trop nombreux, ils avait largement doublé la capacité maximum du Forbin. Au vue de l'état du monde, aujourd'hui, évidement que cela avait été une connerie, mais depuis leurs bunker flottant, auraient-ils pu prendre une autre décision en voyant tant de gens désespérés? Eux, non, c'est certain, ils ne savaient pas. Etaient-ce le cas des officiers?
-"Presque quatre cents personnes. Mais une partie du bateau c'est brisé et je pense que la grande majorité d'entre eux attendent en dessous." Dit-elle en frissonnant alors que le souvenir des profondeurs refait surface en éclats d'images malsaine. Elle s'accroche instinctivement à un cordage et une partie de la coque, comme si soudain elle venait de se rendre compte qu'elle pouvait tomber à l'eau.
-" Sept ans sur ce bateau, j’sais que tu m’l’as déjà dit mais j’arrête pas d’me dire que ça laisse des putains d’traces. Non ? " Demande Gin tout en scrutant l'horizon pour ne pas dévier de sa trajectoire. Il suffit de se tromper de quelques degrés pendant suffisamment de secondes pour se retrouver très loin du point d'arriver, en mer.
-"Pas tant que ça." reconnait Kaitlyn en étendant ses jambes et en massant son genoux droit. "En fait c'est même plutôt l'inverse. On était enfermés dans cette monstrueuse machine de guerre, éloignés de tout et préservés des cauchemars que vous viviez sur terre. La plus part des techniciens n'avaient aucune idée de ce qui ce passait vraiment. Même mon petit ami de l'époque ne me disait pas grand chose." Elle se tait, elle se souvient de son baisé quand il est partit pour exfiltrer les civils, elle se souvient de la chaleur de son corps, de sa force rassurante... Elle se souvient aussi qu'il ne l'aimait pas. Elle n'avait pas conscience de ça à l'époque, mais avec le recul... " C'était un Seals, il était beau, et on comptait officialiser notre union en rentrant à la base." Kait avait menti, projetant ses seuls fantasmes en une réalité plus douce à conserver. Elle voulait être avec lui. Il ne la considérait que comme un coup. "Je crois que j'aurais préférée être confronté à tous ça. Sept ans après la fin du monde je suis toujours incapable de l'appréhender, contrairement à vous. Et c'est moi qui suis de l'armée." Elle ponctue sa remarque d'un rire sec et froid.
Gin passe du coque à l'âne, alors qu'elle baisse son regard sur la jeune femme assise à ses pieds et en profite pour contrôler sa boussole.
-"En fait, j’voudrais savoir exactement c’qui s’est passé avec Valerian. Parce que j’n’ai pas trop eu l’temps de lui d’mander ces dernières semaines avec New Eden et tout l’bordel qui va avec."
Kaitlyn répond en enfonçant sa tête dans les épaules, comme si on venait de lui mettre une tape derrière la tête. Ce moment là elle essai de l'oublier. Elle non plus n'a pas eue le temps d'en parler avec Valérian. Après leur sortie ou ils ont attrapé un requin, le Grec formait un groupe d'intervention pour aider des amis à eux à faire face à New-Eden. Elle savait que cette communauté était dangereuse. Elle en avait entendu parler bien avant que le Forbin ne s'échoue. Ils avaient été l'une des raison qui avait poussé leurs officiers à prendre la mers pour se prémunir d'éventuels agressions.
-"J'ai pété un câble!" Explique Kait en penchant la tête vers l'océan. "Ils voulaient mettre Cézar dans la flotte. Ca a créer une sorte d'angoisse incontrôlable. Et après ça les choses sont allez très vite. Le bateau était coincé et il risquait de chavirer. J'avais tellement peur..." Peur de retourner dans les profondeurs, avec les mordeurs qui te saisissent la cheville, t’entraîne en bas, là ou l'obscurité règne, là d'ou personne ne revient, car dans les ténèbres vivent les créatures qui ont dévorés ce monde. "Je réalisais pas ce que je faisais. Je te jure, je me suis rendue compte que je pointais mon arme sur lui après coup. Mais c'était pas moi. Je veux dire... Je ne savais pas du tout ce que je faisais. J'avais tellement peur. Je contrôlais rien." Kaitlyn baisse les yeux et replis ses jambes contre elle. "Je savais pas que j'avais aussi peur d'aller dans l'eau. Là ou on ne voie pas le fond. Je savais pas. Je sais que j'ai mis en danger beaucoup de gens ce jour là."
Elle relève les yeux vers Gin pour croiser son regard.
-"Ne m'obligez pas à rester à terre, s'il vous plais. Je ne suis utile que sur un bateau. Je me contrôlerais à l'avenir." Et le ton de sa voix sonne avec une sincérité teintée de culpabilité. On peut aussi y entendre les douces notes du désespoir et celles de l'espoir s'entremêler comme une symphonie de paradoxe. Est-ce le vent et le froid qui fait briller ses yeux, ou la peur de ne plus avoir le droit de monter sur un bateau?
Kait baisse les yeux, regarde autour d'elle. Elle aperçoit ce gros rocher, comme une immense colonne perçant les flots, vestiges d'un palais de l'Atlantis des mythes, promontoire rocheux défiant la mer.
-"On y sera bientôt." Explique Kait en pointant le repère du doigt.
Le bateau vogue, supportant les vagues et les rafales de vent. Mais rien qui ne vient perturber les deux femmes qui semblent assez à l’aise en mer. « Quatre cent personnes… » Elle siffle, en se remémorant ce chiffre déjà entendu mais qui l’étonnait toujours encore. « Raison d’plus, on n’fera que surveiller les abords. On pourra toujours y aller au printemps, quand la météo sera meilleure et qu’on s’équipera en conséquence… Peut-être qu’on n’pourra jamais atteindre le fond du navire aussi » Parce que quatre cent, c’était vraiment beaucoup. Et la navigatrice savait bien que l’océan ne promettait pas qu’ils étaient inertes ou inoffensifs. Combien de cadavres avaient-ils ramassé lors de la tempête de l’été dernier ? L’océan les ralentissait considérablement, mais ne les rendait pas moins mortels si une mâchoire ou une main se refermait sur votre cheville.
« C’est quand même long, Kaitlyn. On n’parle pas de six mois en mer, mais de sept ans quand même. » Qu’elle répond, un peu dubitative sur la réponse de son amie. L’enfermement n’avait rien de bon pour l’être humain, surtout aussi longtemps. Elle ne savait peut-être pas à quel point c’était la merde sur terre mais ; ce n’était pas rien. « J’suis désolée qu’il ait pas survécu » Qu’elle souffle, à l’évocation de son compagnon. « J’imagine, les gars à l’armée ils sont souvent vachement bien foutu » Elle sourit, évidemment. C’était le franc parler la blonde et son côté décomplexé.
« Tu vas t’y faire, tu n’es plus toute seule, on va t’aider… » Parce que Guinevere y croit et puis elle se sent réellement liée à Kaitlyn, comme un besoin de lui apprendre et de la protéger de ce monde-là - autant que Kaitlyn qui lui apprend les rouages des moteurs de bateau. La blonde s’était très vite sentie à l’aise avec la mécano. Alors quand elle lui raconte ce qu’il s’est passé avec le grec et les autres, elle écoute ; très sérieusement. Son regard vient finalement se poser sur son amie, sur cette femme qu’elle avait ramassé sur la plage il y a quelques semaines et dont elle s’était portée volontaire pour veiller sur elle. Elle avait un peu l’impression d’échouer.
« Et après, tu oses me dire que l’enfermement dans c’bateau n’a pas laisser de trace ? » Qu’elle lui demande, sans l’accuser de quoi que ce soit. « On a tous peur des grands fonds, j’en ai peur aussi, alors que je n’vis que pour naviguer depuis que j’suis toute petite. » Elle soupire, avant d’hocher la tête sur la direction pointée par Kaitlyn. « Ouais, on approche. Ca m’laisse le temps de te dire ça encore » Elle prend néanmoins le temps de bien régler son cap et de surveiller le vent et les voiles. « La confiance, ça s’regagne… t’en fais pas. J’parlerais à Valerian. Mais p’t’être que tu n’seras plus autorisée à porter une arme sur toi en mer, j’vais essayer d’être là aussi pour te chaperonner… » Elle regarde Kaitlyn, avec une certaine assurance. « Je t’empêcherai pas d’prendre la mer… Jamais. Toi et moi, on est faites pour ça… » Et ça, elle en était certaine. « Mais faudra quand même travailler sur ça… j’sais pas comment, j’suis pas psy’ mais on peut parler tout ça, Kait’. J’arrive à écouter, plus qu’il n’y parait. » Et elle ponctue d’un clin d'œil qui se veut rassurant.
-« Quatre cent personnes… » Gin siffle, et Kait comprends pourquoi. Depuis qu'elle est à terre elle n'a pas du voir plus de quelques dizaines de personnes au même endroit, alors plusieurs centaines, il y avait de quoi être épater. « Raison d’plus, on n’fera que surveiller les abords. On pourra toujours y aller au printemps, quand la météo sera meilleure et qu’on s’équipera en conséquence… Peut-être qu’on n’pourra jamais atteindre le fond du navire aussi » Kaitlyn approuve d'un signe de tête. Le Forbin n'était pas un navire de guerre particulièrement grand, mais il était plutôt bien équipé, facile à manœuvrer, même en sous effectif. Une belle frégate de 150 mètres de long qui servait de patrouilleur pour les forces de l'ONU. Bon sang, qu'est ce qu'ils avaient branlé, ceux là?
-"Une partie, au moins, ne sera accessible qu'a des plongeurs, et il vaudrait mieux qu'ils soient rodés, dans mon souvenir il c'est fracassé contre ce promontoire rocheux, et l'avant doit toujours y être coincé. On devrait le voir en contournant par la crique. En revanche l'arrière à dut couler. Évidement c'est là ou on aurait ramasser le plus beau butin. Faudrait pas avoir trop de chance." Kait se redresse et cherche du regard la silhouette cadavérique du navire, mais ils ne seront à porté que d'ici une demi-heure. Même si Gin était extrêmement douée pour tirer le meilleur de son voilier, il avait tout de même des limites.
-« C’est quand même long, Kaitlyn. On n’parle pas de six mois en mer, mais de sept ans quand même. » Gin avait fait la remarque en cherchant son regard et Kait le lui avait rendu avec un large sourire, peut-être le premier depuis leur rencontre sur la plage.
-"Non, non, je me suis mal expliqué." Reconnait-elle en levant les main devant elle pour souligner son repentir. "On était en mers avant... Tout ça." Oui, le mot apocalypse lui écorchait la bouche, et elle ne savait pas comment définir cette fin du monde. D'ailleurs, tant qu'il y aurait des survivants ce n'était pas vraiment la fin, n'est ce pas? Pas plus qu'un nouveau d'ailleurs. "Mais sur un autre vaisseau. On rentrait de missions. Quand on est revenu à Seattle, la base était en quarantaine, et on a passé plusieurs années à faire tourner le camps comme si de rien n'était. On avait entendu parler de quelques communautés, de New Eden, mais, apparemment, notre politique c'était de protéger ce que nous avions et de nous faire oublier jusqu'à ce que l'état major coordonne... Je sais pas quoi." Kaitlyn se rassoit, elle joue avec ses doigts. Raconter cette période de son histoire la mettait mal à l'aise. L'armée n'avait rien fait, en tout cas à Seattle. Elle n'imaginait même pas le nombre de personne qu'ils auraient pu sauver s'ils avaient bouger le petit doigt. Mais non, des colonels et de généraux se sont fait dépasser par la crise. Trop vite, trop grand... Ils étaient quand même responsables. "Un jour les boiteux sont entrés et on à dut fuir. Ils nous fallu plusieurs années de plus pour récupérer le Forbin, le remettre en état et prendre la mer. C'était un super idée, à l'époque. Comment pourrions nous être contaminés si on était en quarantaine a mille nautique de toute côtes, et avec des canons et des mitrailleuses DCA? Seulement, je crois que certains ne supportait pas de rester les bras croisés, et ils ont joué aux héros..."
-" J’suis désolée qu’ils aient pas survécu. " avait ponctué Gin avec une empathie certaine. Kait avait finis par poser son regard sur ses baskets et un silence fuyant avait recouvert ses pensées. Quelques secondes ou seul le vent dans les voiles, les claquements de la mer sur la coque et le bruits grinçant des cordages se faisait entendre.
-"J’imagine, les gars à l’armée ils sont souvent vachement bien foutu!" Kaitlyn relève la tête, surprise, et laisse échapper un éclat de rire quand elle croise le regard complice de Gin. -"Ça oui, il avait un très jolie cul en plus. Et des épaules..." Kait tend les bras pour montrer la dimension du dos, n'hésitant pas à exagérer un peu pour partager ce moment de détente entre les deux jeunes femmes. Elles avaient ris ensemble. Puis Gin avait ramené le sujet sur cette sensation qu'éprouvait Kait et qui lui donnait l'impression d'être paumée. Elle lui avait promis qu'ils allaient l'aider, qu'elle n'était plus toute seule. La mécano avait répondu d'un signe de tête, se promettant de faire ce qu'il faudrait pour ne pas être un poids pour eux. Elle c'était mordu la langue à ce moment là. Une douleur fulgurante qui était vite passé mais qui l'avait fait grimacé. Elle avait rassuré Gin, avait rie de sa propre connerie. "Je me suis juste mordu la langue, c'est rien." Puis elles avaient repris leurs conversations.
La peur des grands fonds, la peur des abysses. Oui, tous le monde avait peur. Les ténèbres sous les pieds du nageur sont une source de crainte car ils masquent l'inconnue. Mais ce qu'elle avait ressenti ce jour là avait dépassé la simple crainte, plus fort qu'une peur raisonnée, elle avait ressenti une terreur tel qu'elle avait perdu le contrôle. Comme une gamine enfermée dans le noir et qui sait que le monstre sous le lit existe, parce qu'elle à vue une main abominablement déformée ce glisser dessous. Kait écoute à peine les rassurantes paroles de Gin. Elle s'en veut tellement! La culpabilité la ronge, et elle espère régler ça elle même avec Valérian, dès que l'occasion se présentera.
-"Mais faudra quand même travailler sur ça… j’sais pas comment, j’suis pas psy’ mais on peut parler tout ça, Kait’. J’arrive à écouter, plus qu’il n’y parait. " -"Je sais." avait reconnue Kaitlyn en croisant le regard de la navigatrice. "Tu es la seule personne en qui j'ai confiance. Il y en a des gentils, Cezar par exemple, mais j'ai du mal à m'ouvrir aux autres. Pourtant, toi, tu es là, et j’apprécie vraiment." Inutile d'en dire plus. Elle sait que son manque d'ouverture à créer une certaine méfiance vis à vis d'elle. Et d'une certaine façon ce n'était pas plus mal, dans un monde ou on peut perdre aussi vite les gens qu'on apprend à aimer.
-"Là, tu devrais prendre un peu plus large, ils y'a des récifs à fleur de vagues. On ne les voie pas, mais ils sont bien présents, et dangereux." Conseille-t-elle en indiquant les emplacements approximatifs des rochers en question.
« On s’approch’ra autant qu’on peut alors. L’océan bouffera encore le bateau d’ici notre prochain passage, mais on s’ra déjà mieux préparé… Si on trouve du nécessaire d’plongée, évidemment. » Que la blonde reprend après avoir écouté son amie sur l’état des lieux, tel qu’il était dans ses souvenirs. Cela faisait des mois déjà que Kaitlyn les avait rejoint, faut espérer aussi que d’autres ne soient pas venus se servir avant. Mais l’avantage des Exilés réside justement en Kaitlyn et le fait qu’elle connaisse le bâtiment comme sa poche, pas vrai ?
L’histoire ensuite faisait un peu plus sens mais, c’était lourd quand même. Pas vrai ? Ca lui semblait lourd. « J’sais pas comment vous avez pu rester mobilisé tout c’temps. A Bellevue, il a suffit des hordes pour que les militaires se fassent la malle dans leur coin, et c’était pas mieux à Seattle, crois-moi. » Parce que c’était là qu’elle avait atterri quand le campement de ses parents avait été submergé. Guinevere avait été plongée dans le grand bain si vite, et pour Kaitlyn c’est comme… si elle en avait été préservée trop longtemps. Elle comprenait qu’elle puisse péter une case, même sur ceux qui lui tendent la main. Sauf qu’au jour d’aujourd’hui, l’erreur était fatale.
Elle n’avait pas besoin des encouragements de la mécano pour s’imaginer les corps des militaires mais, elle ne put s’empêcher un rire complice alors que son amie commentait le cul de ses anciens collègues. Et si elle se mord la langue après, Guinevere ne lui sort qu’un regard peu intrigué, en réalité. A mille lieues des pensées de sa protégée.
« J’serai là, t’en fais pas… Mais aussi parce que j’hésit’rai pas à te botter l’cul si t’en as besoin. C’est vrai qu’t’es déphasée de notre mode de survie… Mais on saura t’aider. » Qu’elle lui dit, confiante à ce sujet. « Et Cesare fait c’qu’il peut… Il a sûrement aussi voulu voir si t’étais ouverte à d’autre genre d’amitié… » Dit-elle, en ricanant. Elle connaissait si bien son homme. « Mais t’en fais pas, il sait c’que c’est qu’un non et c’est un gars plus sûr qu’il n’y paraît. » Et ce n’était pas parce qu’elle l’aimait qu’il disait ça, elle le savait au plus profond d’elle-même. Et faut dire que Guinevere était elle-même moins égoïste qu’elle ne le paraissait. Sans doute parce que sa survie n’était plus mise à mal depuis quelques mois. « Et j’te rassure… tu finiras par avoir leur confiance, laisse-leur du temps. » Dit-elle, sérieusement. Sans chercher à en rajouter plus.
« D’acc’ guide-moi si tu les vois, je vais ralentir un peu la cadence… Si le vent me l’permet. » Dit-elle, en bloquant la barre pour s’occuper des voiles, rapidement. « Ca m’ferait chier de rayer la coque de cette p’tite merveille. » Dit-elle, si heureuse de reprendre la mer. « J’vivais beaucoup en mer, avant tout ça, moi aussi. Mon père avait un bateau d’croisière - pas les gros paquebots à touristes ! Nan les vrais, une magnifique Goélette à trois mâts. Moi, j’en ai fait mon métier aussi, j’aurais pu faire les Jeux Olympiques de régate à la voile si on m’en avait laissé l’temps. » Foutue fin du monde.
Gin n'avait jamais été si loquace. Pour tout dire, personne n'avait été aussi loquace avec elle depuis le naufrage. Les paroles de la jolie blonde étaient une mélodie qui battait comme le vent dans les voiles ou les vagues sur la coque. L'idée que son repère temporel à elle devenait ce jour ou le Forbin avait coulé la faisait sourire. Elle s'imaginait un chevalier en armure annoncer le début d'une saga en l'an de grâce 1 après le naufrage et comptant en vers l'histoire de la seule rescapée. Oyé, oyé...
Faire le tour du monde à bords d'une goélette à trois mâts avait un charme qu'elle ne pouvait qu'imaginer. Les jeux olympiques, les plaisirs et distractions d'un monde dans lequel certaines activités n'étaient pas nécessairement en rapport directe avec la survie. Oui, dans cette seconde idée il y avait bien quelque chose de romantique, un rêve qui se diluait dans leurs mémoires, comme une goutte d'encre s’éparpille dans un verre d'eau et finit par disparaître, ne laissant qu'un filtre léger, rendant l'observateur incapable de dire s'il discerne bien le trouble de l'eau ou si ce n'est qu'une illusion. Kaitlyn sourit en repensant au monde d'avant et ne sort de sa rêverie que lorsque Gin bloque la barre pour réduire la voilure. Elle même se relève et s'occupe de la partie tribord. Elle suit le rythme de la jeune femme, en tout cas essaye, devant parfois rattraper son retard dû à la dextérité et l'habitude de Gin. Un bateau à voile n'est pas une frégate à moteur, et bien qu'elle est toutes les notions de navigation, Kait à d'avantage sa place prêt d'un moteur, une clef à molette entre ses doigts couverts de cambouis. Elle fait donc de son mieux pour suivre le rythme.
-"Là, on approche!" dit-elle en désignant un long promontoire rocheux, comme une colonne d'un temple antique émergeant au dessus des flots. Quelques oiseaux en quitte le sommet en poussant leurs petits cris aiguës et affolés. Quelques herbes folles, rampent le long de la surface rocheuse, depuis le sommet, comme poussé par la volonté de rejoindre les flots. Gin avait parfaitement anticipé la manœuvre, si bien que le navire peut glisser à proximité du lieu de l'accident avec grâce et facilité. Sur la façade qui fait face à l'océan profond, la silhouette brisée du Forbin se fait battre par les vagues, et de là aussi une poignée d'oiseaux prennent leur envolent, dérangés par les visiteuses. Le navire lui semble plus grand que dans son souvenir. Le voir, carcasse désossée, pathétique, brisé en deux contre la colonne, la rend nerveuse. Ses lignes anguleuses, sa coque sombre, son air menaçant, même dans la mort... Et tous ces gens qui vivaient dessus, qu'elle connaissait, qu'elle aimait, qu'elle protégeait à sa façon. Les larmes lui monte aux yeux. Elle préfère éviter de le montrer à Gin, et passe sa manche dans un geste rapide pour sécher ses joues.
-"C'est lui." prononce-t-elle doucement, comme elle ferait un aveu coupable. La proue, jusqu'à la tour de commandement émerge de l'eau. Les différentes antennes et flèches de radars sont tordus, cassés ou manquantes. Des débris flottes autour du vaisseau, maintenus par des cordes, des chaînes, ou par des câbles, comme si le navire avait répandu ses entrailles et ses organes autour de lui. Un large trou dans son flanc laissait entrer l'eau dans un mouvement de va et vient qui lui fit penser à une respiration. Sur la proue une tourelle DCA pointait ses deux canons vers le ciel, comme défiant n'importe quel pirate de venir s'en prendre à son cadavre, prêt à se battre, même dans l'agonie. Son nom lui venait d'un capitaine français qui, durant une trahison espagnole, lors de la guerre de succession Italienne, au XVIéme siècle, avait défendu le port de Marseille face à douze galères et dix-huit navires de transport. La ville avait finalement brûlée. Mais avec un seul navire et un chaîne, le brave capitaine avait tenue plusieurs jours, faisant montre d'un courage exceptionnel. Il y avait encore quelque chose de noble, même dans cette épave. Coincé dans un replis de métal, là ou la coque avait été enfoncé, un boiteux poussait des râles graves, sa peau était boursouflée, comme si, à n'importe quel instant, elle pouvait glisser de sa chair. Des trous dans ses joues et son oeil manquant témoignaient qu'il devait être la pitance de quelques poissons qui passaient par là. Quelques cheveux éparses, sur un crâne à la peau distendue, comme trop grande pour celui qui la portait en faisait un monstre ignoble, la bouche pleine de pue. Il tendait la main vers les navigatrices, d'une certaine façon il semblait presque appeler à l'aide. Kait avait presque envie de lui prendre la main et de le sortir de ce piège de métal, bien qu'elle fût persuadée que la peau morte lui resterait entre les doigts. Les vagues plongeait son visage sous les flots toutes les quelques minutes. Il subissait la torture de la noyade, et ça, peut-être, pour l'éternité. Bien que son corps plongé dans l'eau ne lui avait pas permis de le voir avant, c'est son col qui avait trahis son appartenance à la Marine. C'était donc l'un des matelots qu'elle connaissait, bien qu'elle soit absolument incapable de dire qui il avait été, avant.
-"Mon Dieu!" finit-elle par gémir en mettant sa main devant sa bouche. L'horreur glissait sur elle comme un serpent glacé. Elle ne voulait pas savoir de qui il s'agissait. Elle avait détourné le regard brusquement, incapable de savoir si elle allait vomir ou se mettre à pleurer à gros sanglot, peut-être les deux. Mais finalement ce fût la pitié qui eue le dessus. Elle avait pris une perche avec un crochet.
-"Tu peux t'approcher un peu, j'aimerais juste le détacher de là. Il va couler, mais au moins il ne sera plus..." Comme ça furent les seules mots qui lui vinrent, mais aucun ne rendait justice aux sentiments qu'elle éprouvait à la vue de son compagnon dans cet état.
Et enfin, elles arrivent. Le Forbin n’est plus qu’une épave lamentablement échouée. Un piège énorme qui renferme probablement un nombre incroyable de morts errants dans ses cales. Une grande partie est immergée, sans doute la plus intéressante mais le spectacle a quelque chose de beau et de sinistre en même temps. Le navire est incroyablement grand. Il le semble d’autant plus à côté de leur voilier et des dégâts qu’il a subit. Avec prudence, Guinevere navigue au plus près de l’épave, en surveillant le vent et les vagues alors qu’elle sent son amie perdue dans un passé douloureux. La navigatrice préfère rester silencieuse, laissant le temps à Kaitlyn de se receuillir en toute intimitée. C’est lui. La blonde hoche la tête, grave. « Tel que tu le décrivais. » Commente-t-elle, solenellement.
Dans son flanc éventré, un mort les avait repéré. Un seul. Les autres devaient être coincés dans les entrailles non visibles du géant échoué. A sa vue, la mécano a comme un sursaut. De pitié ? Peut-être. Le cadavre tend les bras vers elles, un appel à l’aide ? Non. Ses mâchoires au loin claquent - c’est leur chair encore bien fraiche qui l’attire et l’appelle. « Non. On ne s’approche pas plus, Kaitlyn. C’est risqué avec cette mer. » Risqué qu’elles se retrouvent balotées contre les flancs du navire ou pire, échouées sur celui-ci. Mais la blonde réfléchit, quelques instants avant de lui tendre son arme de poing. « T’as droit à deux essais. C’est le mieux que j’peux t’laisser faire si tu veux abréger ses souffrances. » Le bruit réveillerait probablement les morts des entrailles du navire, mais qu’importe ; elles n’acosteraient pas ici. Et silencieusement, Guinevere se dit que ce serait un bon indicateur de ce qui les attend s’ils tentent un abordage dans quelques mois.
Alors la blonde retire du barillet les balles inutiles, avant de donner son arme à Kaitlyn. « Je suis désolée pour tes gars. Mais c’est trop dangereux. J’veux pas qu’on s’retrouve coincées sur ce bateau avec… Je n’sais combien d’morts à l’intérieur. Et les autres n’connaissent la position qu’approximativement. Mais on r’viendra. T’en fais pas. » Ils ne pourraient donner à tous ces morts une fin décente. Sans doute qu’une partie de l’équipage avait été emporté par les flots, ou pourissaient dans les calles remplies d’eau du bateau. C’était sinistre. Prisonniers à jamais de ce navire qui les avait pourtant tous protégés pendant des mois et des années. Elle aussi ne faisait qu’un avec la mer, pour autant elle aurait été terrifiée d’être enfermée par ses flots. Ce que la mer donne, la mer reprend. Le Forbin en était la preuve incontestable.