The Walking Dead RPG

Un peu plus d’une semaine après la rencontre avec l’Adonaï.

Mae tournait en rond. Elle avait été voir Lynn plusieurs fois, avec tout le reste de la famille, et était restée en retrait. Elle aurait voulu avoir des mots réconfortants mais elle avait pris ce qui n’était que des indications quant à l’état de santé de sa demie sœur comme des mises en garde. Elle avait besoin de repos, ne devait pas être soumise au stress… L’adolescente savait bien que leurs relations n’étaient pas les meilleures, et elle craignait qu’on ne l’accuse si quoi que ce soit se passait mal. Elle ne réalisait pas qu’ils ne se souciaient même pas de ses humeurs et de ses éclats, plus inquiets pour Lynn que quoi que ce soit.

Mais ils avaient ramené Lynn il a plusieurs jours maintenant, et tout avait changé depuis – du point de vue de l’adolescente, en tout cas. Elle qui avait déjà eu peur, par le passé, des actes commis ici, elle était encore plus effrayée. River et Jena l’avaient mise en garde sur le danger de tels rassemblements, mais elle n’avait pas compris à quel point. Elle pensait qu’ils étaient prudents en excès, alors que… Ils avaient tiré sur des femmes innocentes, qui voulaient juste voir l’Adonaï.

Maelys avait toujours cru qu’ils ne s’en prenaient qu’aux gens qu’ils croyaient coupables. Qu’à des gens qui, pour eux, enfreignaient la loi. Cette loi qu’elle n’acceptait pas, mais… La jeune fille avait déjà été remuée, par le passé, des exécutions sur les femmes qui protestaient, mais elle n’aurait jamais pensé qu’ils s’en prendraient à des gens qu’eux-mêmes devaient considérer comme innocents. A des gens qui étaient là pour les soutenir. Rien n’allait, ici ! Rien ! Et si elle se faisait encore plus petite que d’habitude, elle était totalement chamboulée.

Quelle chance avait-elle de survivre ici ? Elle étouffait depuis longtemps ses envies de révolte, hormis quand elle n’y parvenait plus, à l’abri des murs de la maison. Quand personne n’était là, sauf peut-être sa mère, cible privilégiée de ses éclats. Mais actuellement ? Elle ne savait plus rien et se sentait complètement prise au piège. Est-ce qu’elle devait juste se résigner, comme sa mère ? Attendre d’être en âge, puis épouser quelqu’un, et ne pas faire de vague ? Sentir sa volonté s’étioler, jour après jour, et n’être que l’ombre d’elle-même ? Elle était complètement perdue, et ne savait absolument pas quoi faire. Même si la proposition de Neela lui revenait de plus en plus souvent en tête. Mais… Elle était presque sûre que Jena ne la suivrait pas. Et elle ne savait pas vers qui se tourner pour demander des conseils. Elle n’avait personne à qui se confier. Elle se sentait, plus que jamais, seule et démunie, même si elle n’en était pas consciente.

Alors elle continuait de faire semblant. Elle essayait même d’être plus qu’agréable aux yeux de Lynn, pour faire semblant d’avoir changé. Elle avait rangé ses rollers dans un placard, et ne les sortait plus. Et si elle tombait sur un milicien un peu trop zélé qui l’accusait de faire des activités qu’elle ne devait pas faire ? Elle fut sortie de ses pensées par la sonnette qui retentissait -rien de rare, ces derniers temps. Quelques personnes venaient rendre visite à Lynn, malgré la situation avec Ray – sûrement que son état faisait oublier toutes les rumeurs à son sujet. Lynn devant limiter ses mouvements au maximum – et étant de toute façon endormie – sa cadette courut le plus discrètement possible jusqu’à la porte, pour voir une silhouette connue. « Bonjour. Je, entrez. Vous venez voir Lynn ? Elle dort, mais ça ne dure jamais longtemps. Vous… Vous voulez un thé ? »

Un panier sous le bras, emmitouflée dans un manteau, je tâche d’avoir l’air souriante et heureuse, comme toute jeune mariée se doit de l’être. La parfaite femme aux foyers, douce, adorable et attentionnée. Rôle que je n’ai guère de mal à jouer, c’est malgré tout ce que je suis, même si la partie heureuse en ménage est actuellement quelque peu sujet à caution… Mais l’ayant réellement été il n’y a pas si longtemps, ce n’est pas vraiment un mensonge. Le suis-je encore ?…

Je suis aussi ravie que terrifiée d’être enceinte. Terrifiée pour mes filles, pour mes enfants, pour leur avenir. Je suis aussi angoissée que soulagée que les gens que j’aime, ceux qui font partie de ma famille depuis des années, ceux que j’ai appris à connaître et à aimer, s’en soient sortis sans heurt et aillent bien. Pour le moment. Et ce n’est malheureusement pas le cas de beaucoup d’autres, et quelles que soient leurs actions ou leur passif, tout ceci me soulève le cœur.

Si les choses ont mis du temps à se mettre en route, à prendre réellement de l’ampleur, la machine est dorénavant lancée, et ne s’arrêtera plus, pour personne je crois. Et plus personne ne fera marche arrière maintenant, il y a eu trop de travail, trop d’efforts, trop de pas franchis pour ne serait-ce qu’y penser. Pas alors que de nouvelles victimes sont à déplorer. Pas alors que nos amis, nos familles, sont torturés, blessés, jetés dans un lieu qui ne devrait pas exister. Ou pire. Je n’ai toujours pas de nouvelles de Mei. La culpabilité est bien en-deça de ce que je peux ressentir, la tristesse et l’inquiétude ne sont pas suffisantes à décrire ce que je ressens. Peut-être serait-ce plus facile d’accepter qu’elle est morte. Mais ce serait arrêter de croire, je ne peux m’y résoudre.

Alors en attendant, je continue de marcher la tête haute. Si je joue parfaitement le jeu, je suis toujours aussi distante et glaciale avec Benjamin quand nous sommes à deux. J’ai été trop loin pour songer à baisser les bras et à laisser couler, comme je le faisais avant. Il a été trop loin pour que je puisse imaginer le pardonner et me comporter avec lui comme je le faisais avant. Peut-être cela reviendra-t-il. Mais ça ne dépend pas de moi. Je sais, c’est terriblement arrogant et injuste de tout lui mettre sur le dos, mais j’ai tenté de lui faire comprendre et de lui ouvrir les yeux. Qu’y puis-je s’il préfère encore se cacher dans l’ombre néfaste de cet homme et de ce qu’il représente ? Je ne peux pas, je ne veux pas baisser les bras. Pas alors que la vie de mes enfants est en jeu. Pas alors que nous avons déjà tant perdu. Je ne peux plus. Je refuse.

Je toque à la porte, réarrangeant ma coiffure le temps que l’on vienne m’ouvrir. Un sourcil se hausse quand mon regard tombe sur la frêle silhouette de la demoiselle qui m’ouvre. Maelys, la fille de Jena. Mon sourire se fait plus sincère. « Bonjour Maelys. » Je hoche la tête. « Je m’inquiétais, je suis venue prendre de ses nouvelles oui.  » J’entre lentement à sa suite. « Tu es sûre que je ne te dérange pas ? Je ne voudrais pas m’imposer. » Je l’observe un instant, la revoyant encore protester de son jeune âge devant le bureau du général McCoy, et mon sourire se fait taquin. « Mais j’ai fait des cookies qui seront encore meilleurs avec un thé, si tu acceptes que je te tienne compagnie en attendant son réveil. »

Maelys grimaça, devant la réaction d’Hailey qui ne s’attendait clairement pas à tomber sur elle, même si elle avait fini par sourire. Elle était bien trop élevée pour que ça ne soit pas le cas, non ? La femme face à elle laissait Maelys perplexe : elle était très bien habillée, ne haussait jamais la voix, ne s’énervait pas, elle avait plusieurs enfants, était mariée et attendait un autre bébé… C’était d’ailleurs sûrement pour ça qu’elle venait voir Lynn. Parce qu’elle comprenait, et qu’elles étaient pareilles ? Et pourtant, Maelys l’avait vue à cette manifestation, et différemment de sa mère. Elle ne voulait pas récupérer quelqu’un, elle ne voulait pas fuir. Elle avait pris la parole, et avait défendu les femmes et leurs revendications. Elle n’y avait pas vraiment pensé depuis, en discutant avec Neela, qui, elle aussi, n’était pas ce qu’elle semblait être.

Elle haussa les épaules, dans toute la nonchalance dont elle pouvait faire preuve, alors qu’elle lui demandait si elle ne la dérangeait pas. Est-ce que ça n’était que pour la forme, pour faire semblant qu’elle se souciait vraiment d’elle, quand elle n’était là que pour Lynn et qu’elle aurait probablement préféré attendre seule ? L’adolescente peinait à le voir différemment, alors qu’elle avait des considérations totalement différentes de celles de l’adulte face à elle. « Lynn voudra vous voir, si elle se réveille. » Et Maelys se ferait sûrement reprendre, si elle se montrait mauvaise hôtesse.

« Je peux aussi vous faire du thé et vous laisser tranquille, si vous voulez. » Qu’on ne dise pas qu’elle lui imposait sa présence ! « Allez-vous installer dans le salon, je reviens. » Elle fila en vitesse, avant de réaliser qu’elle aurait peut-être dû l’y amener. Si seulement Tasya était là, elle pourrait faire… tout ça. Accueillir convenablement Hailey, préparer le thé, tout ce qu’il fallait. « J’espère que vous aimerez, c’est à… euh… Aux fleurs. » Elle avait mis la casserole sur le feu, et avait jeté les feuilles directement dans la théière, en attendant.

« Vous voulez que j’aille réveiller Lynn ? » Ça serait plus simple, non ? Elle ne savait pas vraiment quoi lui dire et ne pouvait pas lui demander pourquoi elle avait parlé, à la manifestation, l’autre fois. Ça serait… bizarre.

Peut-être ai-je tort, de me sentir autant trahie et déçue. Il n’a fait que son travail. Si j’arrive à me convaincre, je devrais moins lui en vouloir non ?… Si j’arrive à me convaincre que son travail consiste à obéir aux ordres d’un imposteur, qui se fait tyran dès qu’il en a l’occasion. Si j’arrive à me convaincre que son travail consiste à tirer sur des civils, qu’ils soient coupables ou innocents n’étant même pas la question. Les soldats obéissent aux ordres sans se poser de questions après tout. Ce qui est totalement méprisant et insultant pour eux je trouve. Et je ne peux accepter cela. J’ai promis devant Dieu de lui apporter mon soutien et mon amour. Et c’est ce que je m’efforce de faire, quand bien même ça n’en donne pas l’impression. Depuis le début, je suis à ses côtés pour le soutenir et tenter de lui faire prendre conscience de ce qui se passe… Du moins depuis que j’ai moi-même accepté de ne plus fermer les yeux. Et lui, qu’a-t-il fait ? Il m’a simplement tourné le dos.

Un soupir alors que j’arrive devant la maison de Lynn. Celle de River. Aurait-il fait de même s’il avait été là ? Aurait-il reconduit sa fille, ou la jeune fille qui me fait face, au milieu des tirs et des cris, si elle y avait été ? Je me souviens de Maelys en train de manifester et de faire entendre sa voix, il n’y a pas si longtemps, faisant preuve de plus de courage et de discernement que de beaucoup d’adultes… Ou peut-être est-ce de l’ignorance mêlée à une certaine dose d’inconscience. Les deux ne sont pas incompatibles. Après tout, l’endroit présente malgré tout une sécurité certaine en un sens…
Et c’est le visage de Mei qui se superpose au sien durant quelques secondes. Ce léger pincement au cœur me surprend presque, alors que je la retrouve encore un peu dans la jeune demoiselle qui hausse nonchalamment les épaules.  

Ma présence ne semble pas l’enchanter, sans qu’elle ne me referme la porte au nez pour autant, comme bon nombre d’adolescents que je connais. « Je peux repasser si tu préfères, cela ne me gêne pas. » Mais elle reprend et s’esquive avant que je ne puisse ajouter quoi que ce soit. J’hésite un instant, observant autour de moi, et je me décide à la suivre, un léger sourire amusé sur les lèvres. « Un thé aux fleurs ce sera parfait. » Je lui adresse un sourire taquin. « Tu as le droit de prétexter d’être occupée pour ne pas rester avec une ennuyante adulte. Dans le cas contraire, je serais ravie de profiter de ta présence. » Je dépose le panier sur la petite table, sortant la boite contenant les cookies. « Veux-tu de l’aide ? »

Je secoue la tête quand elle mentionne Lynn. « Non, surtout pas, elle a besoin de repos. Et puis, comme ça, tu peux y goûter en avant-première. » Je pousse la boite de cookies vers elle, laissant filer un silence en hésitant. Je reprends d’une voix douce en la dévisageant. « Comment te sens-tu toi ? Je ne veux pas me montrer indiscrète, loin de la. Mais ça doit être difficile pour toi aussi, perdue au milieu de tout cela. » Je lui offre un léger sourire.  « Si jamais tu as besoin de soutien ou d’écoute… ou même de te plaindre, je me suis entraînée avec plusieurs adolescents. »

Elle secoua la tête tout en partant dans la cuisine pour préparer quelque chose, alors qu’Hailey lui disait qu’elle pouvait repartir, murmurant un surtout pas ! Si elle était repartie, elle aurait dû l’avouer parce qu’elle aurait probablement laissé quelque chose pour Lynn, et on le lui aurait reproché. Sauf si elle avait dit qu’elle n’avait pas le temps de rester, peut-être, et qu’elle n’y était pour rien ? C’était presque tentant. Mais elle avait déjà mis l’eau dans la casserole et mis des feuilles de thé dedans, alors… Elle n’avait même pas pensé à prendre une théière ou une boule à thés. Mais elles étaient moches, avec des espèces de motifs à fleurs vieux qui lui donnaient l’impression qu’elle appartenait à quelqu’un qui avait au moins mille ans.

Elle revint dans le salon, grimaçant, une fois les tasses servies posées sur un plateau. « Euh, il y a plein de feuilles dedans, j’ai pas réussi à faire couler l’eau de la casserole sans les faire tomber dedans… » Elle était vraiment gênée : elle avait encore une fois fait les choses à la va-vite, sans réfléchir. « Je peux peut-être les enlever avec une louche… » Ça marcherait surement, non ? « Vous voulez venir avec moi ? Pour pas rester toute seule ici ? » Bon, ce n’était peut-être pas correct de proposer à ses invités de venir à la cuisine, mais tant pis.

Reprenant le plateau, elle s’y engouffra à nouveau, cherchant la plus petite louche qu’elle avait, et versant l’une des tasses dedans, dans l’évier, sans réaliser qu’elle n’avait pas mis la casserole dessous. « Merde ! » Elle avait juré à voix haute sans s’en rendre compte, et se figea. Elle savait qu’Hailey était là à la manifestation, mais est-ce qu’elle le lui reprocherait ? Les filles ne devaient pas dire des mots comme ça. « Désolée ! Ce n’est pas grave, j’aime même pas ça. Je vais en remettre dans votre tasse. » Après tout, il y en avait encore une de pleine. Faisant les choses bien, cette fois, elle enleva au maximum les fleurs, avant qu’elles retournent s’asseoir toutes les deux.

« Je suis... » Quoi ? Maladroite ? Distraite ? Pas vraiment. Normalement, elle ne recevait pas les gens, et ça ne l’intéressait pas, d’apprendre tout ça. Mais elle était censée savoir le faire. « C’est… Je peux ? » Prendre un cookie. « On a des petits gâteaux sinon ! » Des sablés faits par April, qu’elle avait joliment décorés. « Et je vais rester avec vous, j’ai de la couture à faire. » Elle avait dit ça avec mauvaise grâce, du bout des lèvres : elle préparait un bavoir pour Lynn, même si elle n’en avait pas envie, et essayer de broder « Famille Atkins » dessus. On y lisait plutôt « Fonnille » pour l’instant. « Hein ? » C’était bien la première fois qu’on lui demandait comment elle se sentait. Jena avait arrêté depuis longtemps, sa fille lui répondant constamment qu’elle irait mieux avec son père. « Je… Tout est bien ici, on est en sécurité. Après tout, des amis de mon beau-père nous protègent, quand on sort. » Une précaution de River. Les mêmes amis qui avaient tiré sur Lynn et avaient failli la tuer et tuer son bébé. « Maman et lui m’avaient dit que c’était dangereux, les regroupements comme ça. Je sais pas pourquoi ils ont pas dit à Lynn de pas y aller… »

Comment étais-je à son âge ? Etais-je comme elle ? Certainement que non, loin de là, et ce n’est pas uniquement dû à l’environnement et au monde qui nous entoure. J’étais trop sage, trop obéissante, trop travailleuse, trop obnubilée par la danse. De ce que je sais et ce que j’ai pu voir d’elle, elle ressemble davantage à Mei. Est-ce un mal ? J’aimerais dire que non. Mais ma sœur et amie a disparue des radars pour avoir levé les yeux une fois de trop. Avoir un tel tempérament ici n’est – pour le moment j’espère – pas vraiment souhaitable. La jeune demoiselle semble toutefois bien plus réfléchie, voire prudente… Ou peut-être n’est-ce dû qu’à son jeune âge qui ne lui a pas encore donné assez de témérité, et d’inconscience, pour se mettre trop en danger.

Je détaille la pièce dans laquelle je me trouve, les quelques photos qui s’y trouve, les livres qui sont posés sur la bibliothèque, les éléments de décoration. Plus petit que chez moi ? Sans doute un peu. Mais c’est joli, douillet, aménagé avec soin. Je me détourne de mon examen en entendant Maelys revenir. Haussant un sourcil, je jette un coup d’œil aux tasses et je retiens un sourire. « Ce sont des choses qui arrivent, ça se rectifie aisément. » Je hoche la tête, la suivant alors qu’elle retourne à la cuisine. Je ne devrais pas trouver cela amusant, elle semble bien trop nerveuse pour prendre cela à la légère, mais je ne peux malgré tout m’empêcher de la trouver attendrissante.

Jusqu’à ce qu’elle jure tout du moins. Mes lèvres se plissent et mes sourcils se froncent sensiblement. Ce n’est pas le pire gros mot qui soit, malgré tout, je n’apprécie guère. Mais ce n’est ni ma fille, ni mon domicile. « Il y a des mots plus agréables à l’oreille pour manifester son mécontentement. » Bon, ça n’a pas suffit à m’arrêter… « Excuse-moi, je suis trop habituée à pointer du doigt le bocal à jurons… » Je lui souris et secoue la tête. « Maelys, il n’y a rien de grave, ce n’est que du thé. Que tu as l’obligeance de m’offrir qui plus est. Ce sera parfait. » Elle s’applique malgré tout et je me retrouve rapidement avec une tasse remplie, quasiment exempte de fleurs.

Je l’observe un peu. « Peu habituée à t’occuper de tout ça ? » Je hoche la tête. « Ce n’est guère de ton âge. Et je te remercie d’autant plus de l’avoir fait pour moi. » Je pousse un peu plus la boite vers elle. « Bien sur que tu peux ! A quoi bon les avoir apportés si ce n’est pour les manger ? » J’aurais certes des petites mains qui s’empresseraient de les dérober à la maison, mais leurs propriétaires ont régulièrement leur lot de gâteaux en tout genre. Je goûte le thé et souris. « Il est délicieux. » Je penche la tête sur le côté pour observer son travail de broderie. « C’est pour Lynn ? C’est une adorable attention. » Maladroitement exécutée, mais adorable. Et ma question semble la surprendre, ce qui me serre un peu le cœur pour elle. Ce n’est jamais agréable de se sentir mise à l’écart et quelque peu transparente, je pourrais en témoigner. Quant à sa réponse, elle est loin de me satisfaire. « Peut-être lui ont-ils dit. Peut-être que rencontrer l’adonaï et avoir l’occasion de lui parler étaient plus important. Cela n’aurait pas dû dégénérer après tout. » Comme tant d’autres fois…Mes mâchoires se crispent, j’inspire en grimaçant un sourire. « Mon époux aussi m’a fait raccompagner par des amis à lui après tout ça. Je n’ai pas vraiment apprécié son attention. » Il aurait dû le faire lui-même si cela le taraudait réellement. Et je suis de toute manière capable de rentrer seule chez moi. Alors, même si c’est pour la protéger, même si elle comprend, je doute qu’elle-même soit ravie de ce genre de surveillance. « Ta mère et ton beau-père veulent te protéger, ils veillent sur toi. C’est normal qu’ils fassent le maximum… Mais tu sais que ce n’était pas vraiment le sens de ma question, savoir comment ça se passe ici ne reflète pas ton propre ressenti. » Je repose ma tasse. « Etre en sécurité n’est pas la même chose que de se sentir en sécurité. Être protégé ne signifie pas être heureux. Et l’inverse est aussi vrai pour les deux phrases. » Je désigne le bavoir du menton. « Lynn doit recevoir beaucoup d’attention, ça ne doit pas être évident à gérer. Tu as le droit de ne pas être… enchantée par tout cela. Tu as le droit d’être inquiète. Ou mécontente donc. Ce n’est pas un mal, c’est humain. Mais il vaut mieux réussir à en parler, plutôt que de tout garder pour soi jusqu’à ce que ça soit de trop. » Je secoue la tête. « Je ne te dis pas de m’en parler à moi, mais si tu en as besoin, trouve quelqu’un avec qui le faire, ne ressasse pas. D'accord ? »

Elle ne semblait pas le prendre mal, ce qui soulagea un peu Maelys. Elle n’était pas vraiment gênée par le fait d’avoir fait n’importe quoi, mais plutôt à l’idée qu’Hailey évoque ses bévues et qu’on lui reproche de ne pas se comporter comme il le fallait. Même si de l’avoir vue à la manifestation avait tendance à lui donner envie de lui faire confiance, c’était… compliqué. Elle en avait parlé à Neela, qui était proche de sa mère, et elle s’était sentie encore plus perdue, et pas bien plus en confiance. Si elle pouvait avoir une personne avec qui parler de tout ça… elle se sentirait bien mieux, mais encore faudrait-il que ça soit le cas. Ce n’était pas pareil avec Emerson et Kendale, même s’ils lui apprenaient à se défendre, en secret, alors qu’elle prétendait garder Sean. Mais du coup, elle essayait de donner le change, plus stressée à l’idée qu’on lui reproche de mal faire que quant au fait de mal faire. « Vous êtes gentille. » Parce qu’elle ne lui donnait pas l’impression de l’enfoncer. Peu de gens lui avaient fait cet effet-là. Le visage de Preston s’imposa dans son esprit : c’était probablement l’un des seuls. Et la famille Wentworth, aussi, mais ça comptait pas pareil, c’est juste parce que Charlie était son ami et que leurs propres enfants cachaient les bêtises que Mae pouvait faire avec eux. Même s’ils les acceptaient sans les juger.

Elle se retourna, un peu perplexe à la remarque de leur invitée. « Je voulais pas vous gêner. » Même si elle trouvait ça un peu absurde. « On a pas de ça, ici. » Même si elle en avait entendu parler chez Charlie. « Sûrement parce qu’April parle pas, et puis… enfin, Lynn ne parle pas comme ça. » Un éclat de colère passa dans ses yeux, malgré elle, à l’idée qu’elle était encore inférieure à ses demi-sœurs, une nouvelle raison de décevoir sa mère. Qui, pourtant, était habituée à sa manière fleurie de parler, avant. « C’était pas, enfin, on me l’interdisait pas, avant. » Elle haussa les épaules : est-ce que ça importait vraiment ? « Vous dites comment ? » Pour jurer sans jurer. Pas qu’elle le sache pas, depuis deux ans qu’elle était là, en réalité – elle n’était pas vraiment sincère, à dire ça.

« J’apprends, à l’école ! » Qu’elle ne pense pas qu’elle n’écoute pas. « Mais c’est maman, ou Lynn quand elle n’est pas là, qui s’occupent de ça, d’habitude. » Mais elle avait quinze ans, elle devrait savoir le faire. Bientôt… Bientôt, elle irait à des tea parties, elle rencontrerait des garçons, et elle devrait montrer qu’elle est une gentille et jolie jeune fille. Lynn lui avait dit qu’elle était déjà jolie, si elle faisait attention à ses habits et son attitude et… Elle rougit malgré elle : les gens se retournaient plus sur elle, depuis que son aînée l’avait rhabillée, et pas parce qu’elle était bizarre. « Les enfants chez Ma… monsieur Wentworth le font pas ? » Quand ils reçoivent officiellement, du moins. Quand elle y allait, ce n’était pas pareil. « Je comprendrais que vous les gardiez pour Lynn. » Elle ne put cacher tout à fait la rancœur dans sa voix. Même si elle compatissait plus qu’elle ne le laissait voir, et qu’elle avait été horrifiée du traitement imposé à Lynn, elle était jalouse qu’il n’y en ait que pour elle.

« Tant mieux ! C’est à la bermagote, je crois. » Ou quelque chose comme ça. « J’essaye de lui faire quelque chose… Même si elle aura des cadeaux mille fois mieux. » Et qu’elle penserait sûrement que Maelys y a été obligée, à ses cours. Ou s’est sentie obligée – mais ça serait sûrement bien pour elle : elle croirait qu’elle se comporte comme il le faut, non ? Elle releva la tête avec surprise, alors qu’Hailey se confiait, et semblait… contrariée. « Vous y étiez ? Pourquoi ? Vous aussi vous… vous vouliez voir l’Adonaï ? » Elle n’aurait pas dû sembler si incrédule, mais c’était plus fort qu’elle. « Il… voulait veiller sur vous, non ? » Sa voix manquait totalement de conviction, mais le ton d’Hailey semblait lui indiquer que ça ne lui plaisait pas vraiment. « Votre mari… C’est un ami de mon beau-père, non ? Ils travaillent ensemble ? » Elle baissa la voix, se penchant vers l’invitée. « Est-ce que… Il aurait tiré sur Lynn ? » Elle supposait que, si c’était le cas, Hailey ne serait pas là, si ?

Elle grimaça, pourtant, malgré sa question qui aurait pu paraître déplacée, alors qu’Hailey précisait sa pensée. Maelys avait essayé d’éluder son vrai ressenti mais… Est-ce qu’Hailey la comprenait mieux ? Est-ce que Charlie, ou ses parents, lui avaient parlé d’elle, des rares fois où elle venait chez eux ? Baissant la tête, elle regardait Hailey en coin, alors qu’elle parlait, même si ça n’était pas un très bon comportement pour une jeune fille. « Je, Lynn est belle, douce, bien éduquée… » Mais ce n’était pas ce qu’elle attendait, n’est-ce pas ? « Moi, je ne suis pas comme ça. C’est normal, qu’on me reproche mon attitude. Mais lui tirer dessus ? » C’était bien ça, le vrai problème, plus que de sembler transparente, ou d’être inférieure à sa demi-sœur, préférée par sa mère. Mais s’ils tiraient sur Lynn, qu’est-ce qu’ils feraient à Maelys ? « Maman dit qu’on était en danger dehors, tout le monde dit que mon père est mort et… je commence à y croire… mais j’étais moi dehors. » Ici, elle n’était rien.

Se mordant la lèvre, elle déglutit difficilement alors qu’Hailey rajoutait qu’elle ne voulait peut-être pas ses confidences. « J’ai personne qui comprend à qui en parler. » Elle avait essayé de le dire à Charlie, mais… Enfin, ça l’intéressait moins que de descendre les escaliers ensemble sur son skate. Neela l’avait effrayée. Jena… elle comprenait, mais elle voulait que Mae se sorte ça de la tête. Et River… River l’écoutait, mais à quoi bon lui dire qu’elle se sentait pas à sa place ou que son père lui manquait ? Elle était sûre qu’il serait compréhensif, pourtant, mais ça lui semblait bizarre de parler de son vrai père à son nouveau père.