Un battement…
Le rôdeur releva sa tête décharnée en entendant un craquement de brindille.
Deux battements…
Anya plaqua une main sur sa bouche et son nez pour tenter d'étouffer sa respiration.
Cinq battements…
La créature émit un raclement de gorge répugnant en oscillant sur place.
Dix battements…
Un frisson glacé descendit le long de la colonne vertébrale de l'adolescente alors qu'elle s'aplatissait un peu plus derrière l'arbuste desséché.
Vingt battements…
La mâchoire s'ouvrit et claqua sèchement, comme si l'envie de mordre devenait irrepressible. Les yeux vides balayaient le mince champ de vision.
Anya se sentait prise au piège, comme un rongeur dans une cage de trappeur.
Elle n'osait pas bouger, à peine respirer.
Jamais encore elle ne s'était trouvée aussi prêt d'un ogre. Durant sa vie d'exil en solitaire, elle avait toujours tout fait pour se, tenir loin d'eux. Là, il aurait suffit que le cadavre décide de marcher deux pas de plus sur la droite et il lui tomberait dessus…
Ses muscles étaient tous sous tension. Tout son être lui hurlait de prendre la fuite, tout comme la Anya craintive dans son esprit. Mais elle se refusait à faire ça jusqu'au dernier moment. Si elle partait maintenant, Tori ne la trouverait pas en revenant.
Et elle allait revenir.
Si ! Elle allait revenir ! Elle ne l'abandonnerait pas à son tour ! Pas elle !
Rassérénée par cette idée, et malgré sa peur, elle serra la mâchoire pour garder sa détermination et sortit doucement son couteau de la poche de son sweat. Elle n'avait jamais tué personne, même pas un rôdeur, mais elle était bien décidée à vendre chèrement sa peau si l'ogre venait à trouver sa cachette.
Ses muscles étaient douloureux à force d'être tendus comme la corde d'un arc. Son cœur battait si fort qu'étouffer sa respiration lui comprimait les poumons. Mais la créature ne semblait pas vouloir partir, comme pour se moquer de sa peur.
Ne pas bouger. Attendre Tori.Ne pas bouger. Attendre Tori.Elle se répétait cette litanie comme un mantra qui l'empêchait de céder à la panique.
Il lui suffisait de ne pas bouger… Encore quelques minutes, Tori serait bientôt là… Crac !
Anya se plaqua un peu plus contre l’arbre et retira rapidement son pied qui avait glissé sur une branche sèche. Le rôdeur tourna mollement sa tête sur le côté pour tomber sur l’arbre qui marquait sa cachette. Un nouveau râle de gorge sortit de sa bouche et il fit un pas vers la source du craquement.
Main plaquée sur sa bouche et l’autre serrée sur son couteau, l’adolescente ne regardait même plus la créature, de peur que celle-ci ne l’aperçoive. Alors qu’elle entendait ses pieds racler contre le sol terreux de la forêt, elle sentie son coeur se serrer avant de repartir à tout rompre. C’était fichu, cette fois l’ogre allait la trouver. Elle n’avait plus le choix que de se battre…
Soudain, un sifflement, quelque chose vient se planter à quelques mètres de sa position dans un arbuste. La créature se stoppe, puis tourne lentement pour se diriger dans une direction opposée, laissant Anya reprendre son souffle. Nouveau sifflement, un son mat, suivi d’un autre plus lourd et les grognements se taisent. Tremblante, la fillette reste figée plusieurs secondes, les yeux écarquillés, le coeur tambourinant encore de peur.
Jusqu’à ce qu’une silhouette entre dans son champ de vision et que son visage lui aparaisse comme un espoir retrouvé.
“T…T…Toriii…” baragouine l’adolescente, sentant la tension qui redescendait d’un coup lui faire verser des larmes.
Elle n’a même pas le temps de traduire ses gestes que déjà la voilà dans ses bras à se serrer contre elle. La jeune femme tremble au moins autant qu’elle, mais Anya n’y fait pas attention. Une seule chose occupe entièrement son esprit à présent, comme un phare éclairant les ténèbres de ses cauchemars :
“T…t-t-t’es r-rev..ve-enue… T-t’e-es pa-a-as di-is-ispa-rue…”Elle se blottit quelques secondes contre cette femme qui était devenue sa mère, en cet instant plus que jamais, laissant la chaleur du contact chasser ce qui semblait avoir été un cauchemar sans interminable dans son esprit.
Tori finit par se dégager avec douceur pour l’examiner d’un air soucieux. L’adolescente essuie rapidement ses yeux et son nez et observe de nouveau les gestes muets de la jeune femme.
Pour réponse, elle hoche négativement la tête, montrant juste ses mains, très légèrement éraflées d’être descendue un peu vite de l’arbre. Ses yeux s’écarquillent alors qu’elle ajoute en langue des signes :
“J’ai trouvé le chemin. Là bas.” concluant sa suite de gestes en désignant le lieu où elle avait aperçu les poteaux électriques.
Elle fixa Tori dans les yeux une seconde. La pensée tournait dans son esprit : Elle était revenue, elle ne l’avait pas abandonnée, elle ne l’avait pas laissée seule. Un tic agita sa joue et la commissure de ses lèvres. Une expression oubliée et bloquée dans son esprit depuis de longs mois tenta de refaire surface, étirant une seconde les coins de sa bouche. Durant une fraction de seconde, un semblant de sourire difficilement sorti effleura son visage.