Une lourde pluie, charriée par un vent hasardeux, détrempait le paysage lorsque Valérian se présenta sur le perron de la grande maison. La tête rentrée dans le col de son manteau, il porta deux coups comme la porte. Le battant s’ouvrit rapidement, dévoilant dans son encadrement l’imposante silhouette de Hayden : « j’espère que je ne dérange pas. Est-ce qu'Emilie est là ? » Le géant le lui confirma d’un hochement de tête, puis s’écarta pour lui livrer le passage. Valérian s’avança sans perdre de temps, escorté par les bourrasques de vent qui cherchaient à s’engouffrer en même temps que lui par la porte. Il gratifia Hayden d’une bourrade amicale, puis prit la direction des escaliers.
Le grec grimpa quatre à quatre les marches et, parvenu à l'étage, perçut la voix de la jeune femme qui s’écoulait comme un filet d’eau claire d’une porte entrouverte. Son coeur se serra, gonflé d’une douloureuse appréhension et Valérian resta immobile, incapable de se résoudre à pousser cette porte.
Plus tôt dans la journée, Allïa lui avait rapporté le retour de la sage-femme : celle-ci était allée retrouver Isha dans la matinée. Tous avaient imaginé qu’elle rentrerait accompagnée du jeune homme dont ils avaient attendu si longtemps d’obtenir des nouvelles. En vain cependant : Emilie était revenue seule, le visage pâle, creusé par un chagrin immense. Ils ne l’avaient depuis que très rarement aperçue. Emilie passait la majorité de son temps recluse dans sa chambre, seule.
Après avoir hésité, le grec rassembla son courage et s'avança à hauteur de la porte. Il porta deux légers coups contre celle-ci et s’annonça d’une voix mesurée : « Emilie ? C’est Valérian. Je peux entrer ? » Il attendit d’obtenir l’assentiment de la jeune femme pour pousser le battant et pénétrer dans la petite chambre. La pluie martelait à un rythme frénétique les fenêtres de celle-ci par lesquelles s’infiltrait une lumière grise, mélancolique. La pièce elle-même semblait encalminée dans une étrange immobilité ; suspendue hors du temps.
La jeune femme était installée au bord de son lit, Logan sur les genoux. Ses yeux étaient plongés dans ceux du petit garçon avec une intensité telle que le grec amorça un geste de recul, avec l’impression soudaine d'être de trop. « Emilie, je… » il s’éclaircit la voix. « Je voulais savoir comment tu allais. Allïa m’a dit pour Isha et… »
Les mots lui échappèrent subitement. « Enfin, je peux repasser plus tard, si tu veux ? »
Every time that I look in the mirror, all these lines on my face getting clearer. The past is gone. Oh, it went by like dusk to dawn. Isn't that the way ? Everybody's got their dues in life to pay.
Depuis combien de temps elle n’était pas sortie de la chambre de Logan ? Depuis combien de temps n’avait-elle pas mangé, ni pris de douche. Depuis combien de temps avait-elle éviter tout le monde, parce qu’elle n’avait tout simplement rien à dire ? Elle avait beau avoir passé des jours chez elle, seule ou avec son fils, elle n’arrivait toujours pas à comprendre comment elle en était arrivée là. Comment ils en étaient arrivés là, Isha et elle. Comment, leur couple si solide avait volé en éclat ? Elle n’en savait toujours rien. Elle avait demandé à Hayden qu’on ne la dérange pas, surtout au début, à son retour, mais depuis la visite d’Allia, elle avait pris la décision qu’il était peut-être temps de reprendre un début de vie. De cette nouvelle vie qu’elle allait devoir commencer en tant qu’ex madame Cornwell. Car c’est qu’elle avait cru comprendre en rentrant seule, que la relation entre elle et Isha était, bel et bien terminée.
Assise au bord de son lit, elle tenait Logan dans ses bras. Seul vestige qui lui restait à présent de son ancien compagnon. De son ex-mari, ce mot si barbare. Mais le constat était le même. Alors, elle se contente de le regarder, comme pour essayer de garder en souvenir l’image d’Isha. Son fils qui lui ressemble tellement. Celui pour qui, elle se battrait jusqu’au bout. Celui pour qui, elle donnerait tout.
C’est le son délicat de coups sur la porte qui la sort de ses pensées. Valérian se tient dans l’encadrure de la porte, presque gêné d’être ici et ça s’entend. Il ne sait pas quoi dire car il sait que rien ne pourra chasser le chagrin auquel fait face la sage-femme. Mais il n’a pas à être gêné, il n’y est pour rien après tout. C’est la vie qui en a décidé ainsi. Elle le regarde, avec presque un demi sourire naissant sur son visage. Elle souffle et lui répond délicatement “ Non je … Tu peux rester “ Elle hésite elle aussi puis reprends “ Je … Je comptais venir te voir mais … Je crois que je n’ai pas encore trouvé le courage de quitter cette chambre “ Elle le ferait, oui, à n’en pas douter car la vie continue d’avancer pour tout le monde. La visite d’Allia lui avait déjà permis de se confier, un peu.
Toujours assise, elle invite de la main Valérian à venir s’assoir à ses côtés “ Je sais que tout le monde est au courant, mais je crois que je n’ai pas encore la force d’affronter leurs regards, leur compassion et leurs questions “ Il faudrait bien y passer de toute manière, mais pas maintenant. Pas encore. Elle veut encore profiter un peu de son fils. Logan qui a d’ailleurs décider de s’intéresser à Valérian. Il n’a pas eu l’occasion de le voir souvent, il est surpris et cherche à comprendre qui il est. Émilie pose ses prunelles bleues sur le chef des Exilés “ Mais … Ça va. Je crois “ Et peut être par habitude elle demande “ Et toi ? Comment tu vas ? “ Voilà un moment que tous les deux n’ont pas eu la chance d’avoir une conversation en tête à tête.
Une menace à son enfant, trouble le sang d'une mère.
Une pesante tristesse imprégnait la petite chambre. À travers les rideaux tirés, filtrait une lumière étouffée, asphyxiée. Valérian se tenait immobile dans l’encadrement de la porte, incapable de se résoudre à franchir son seuil. Il avait l'impression de pénétrer l’intimité de la petite famille, comme s’il l’avait piétinée sans une once de considération. La pièce transpirait une telle mélancolie que celle-ci le saisit par ailleurs à la gorge.
Le regard d’Emilie, creusé par le chagrin, se leva vers lui. En dépit de sa détresse, elle trouva la force d’esquisser un sourire. Elle parla alors d’une voix feutrée, comme si, ce faisant, elle avait craint de briser l’inerte de cette chambre. « Je comprends. » fut tout ce que trouva à répondre le grec d’une voix mal assurée. Il se sentait soudain stupide à ne pas savoir quoi faire de ses bras ballants, ni quoi dire. S’il était venu avec l’intention de réconforter la jeune femme, il se morigénait à présent intérieurement d’être aussi impuissant devant sa détresse. Une odeur prononcée de renfermé embaumait l’air de la petite chambre, signe qu’Emilie s’y était recluse depuis plusieurs jours sans jamais daigner mettre le nez dehors…
D’un petit geste de la main, la jeune femme l’invita alors à s’asseoir à côté d’elle. Valérian hésita brièvement, puis la rejoignit en quelques enjambées. Incapable de se départir de cette impression d’être affreusement gauche, il s’assit sur le lit et joignit les mains, le regard rivé à un point invisible de la pièce. La voix douce d’Emilie s’éleva de nouveau. « C’est sans doute normal. » répondit-il maladroitement, en cherchant les mots adéquats pour apaiser sa douleur. Des mots que Reese aurait si facilement trouvés. Oh, comme il aurait aimé qu’elle doit là pour l’aiguiller en cet instant ! Le grec s’éclaircit la voix : « chacun d’entre nous gère la douleur à sa manière, Emilie. Si tu as besoin de temps, alors prends-le. Tout ce que je sais, c’est que… la solitude peut parfois être trompeuse. Si elle fait en apparence un refuge rassurant, elle peut exacerber la douleur au lieu de l’apaiser et, euh… »
Il esquissa un pauvre sourire. « Navré, je crains de ne pas être des plus clairs. Ce que j’essaye de dire, de façon certes très détournée, c’est que nous sommes là pour t’aider, Emilie. » Il se pencha sur le côté et, dans un contact qui se voulait affectueux, lui donna un léger coup d’épaule. « Quand tu t’en sentiras prête. » Il n’était pas question pour lui de contraindre la jeune femme à s’ouvrir si elle n’en ressentait pas encore l’envie - seulement de lui tendre la main.
À ce moment-là, Logan se mit à brandir ses mains potelées dans sa direction en poussant de joyeux borborygmes. Incapable de déterminer comment réagir face à l’enfant, Valérian lui lança un long regard interdit avant de reporter son attention vers Emilie. « Je vais bien. » dit-il en dénudant ses dents en un pâle sourire. « Je me bats au quotidien avec une gamine qui ignore absolument tout des règles de savoir-vivre et qui mâchouille le cuir du canapé dès que j’ai le dos tourné ; mais, au-delà de ça, tout va bien. »
Ses yeux sombres se posèrent à nouveau sur Logan qui manifestait toujours autant de curiosité à son égard. « Qu’est-ce qui lui prend ? » demanda-t-il à Emilie, parfaitement déconcerté, comme s’il avait eu affaire à un petit animal au comportement saugrenu.
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Le chef de groupe accepte après un temps d’hésitation de venir s’assoir à côté de la sage-femme. Elle n’a pas cherché à obtenir la présence de qui que ce soit à ses côtés pour l’aider à passer ce moment si difficile ou elle commence à se rendre compte que c’est bien la fin de son histoire avec Isha. Mais elle doit dire que, finalement, elle n’est pas mécontente de voir que ses amis et sa famille, viennent lui rendre visite. Et c’est ce que semble lui confirmer Valérian, en lui indiquant qu’ils sont tous là pour elle. Émilie écoute Valérian, elle a envie de pleurer encore, mais cette fois-ci ce n’est pas exactement pour la même raison. Elle est contente, de savoir qu’ils sont tous présents et inquiets pour elle. Une preuve de plus que le choix qu’elle a fait est le bon. Que les gens qu’elle aime ce sont tous ceux qui font partie de ce groupe des Exilés. Alors elle arrive à nouveau, après avoir soufflé longuement en pensant à ce qu’il lui dit, à lui sourire, toujours aussi timidement “ Je sais. Merci “ Et elle réfléchit un instant “ Je … Je crois que j’essaie juste de me persuader que ce n’est pas arrivé. Que … Que dès l’instant ou je vais reprendre le cours de ma vie normale, alors … ça voudra dire que c’est bien réel “
Dans cette pièce, seule avec son fils, loin de tous, elle peut encore se dire qu’il y a un maigre espoir. Mais le grec à raison, ce n’est qu’une solution de passage. Comme un pansement mis sur une blessure qui continue de s’infecter si elle n’est pas correctement nettoyée et désinfectée.
La présence de Valérian lui fait du bien, elle s’en rend compte quand il lui parle de la jeune fille qui a été recueillis récemment. Parler d’autre chose lui permet de ne pas se concentrer sur ce trou béant qui remplis désormais son cœur. Ça la ramène aussi à la réalité, aussi triste soit-elle. Mais le temps continue de passer, et la vie des autres ne s’arrêtent pas pour autant. Rien que pour cela, il faut qu’elle pense à se reprendre. A passer à autre chose, mais pas tout de suite. Elle a encore besoin d’un petit peu de temps. Elle finit par répondre “ Oui, elle est … Elle a son caractère, c’est certain “
C’est alors que Logan se met à s’intéresser à Valérian et l’incompréhension peut facilement se lire dans le regard du grec. Et elle rigole, pour le coup, c’est un rire assez franc, qui la surprend même un peu “ Je crois qu’il veut venir dans tes bras. Tu l’intrigues “ qu’elle finis par lui répondre “ Tiens “ ajoute-t-elle en lui imposant presque l’enfant dans les bras “ Il ne mord pas celui-ci “
Une menace à son enfant, trouble le sang d'une mère.
Les sourcils légèrement froncés, Valérian écoutait Emilie avec une grande attention, comme s’il s’était efforcé de rassembler les morceaux d’un puzzle. Il n’avait jamais été à l’aise dans l’exercice de la confidence. S’il maniait les mots avec une grande facilité, élaborant avec aisance des discours pompeux, des palabres aguicheuses, capturant autrefois l’attention des foules avec force courbettes et sourires étincelants, le cadre plus restreint - plus intime, des confidences le prenait néanmoins au dépourvu. À tel point que les mots lui manquèrent devant la sage-femme.
Reese l’avait néanmoins encouragé à s’ouvrir davantage à ses proches et à faire l’effort d’aller au-delà de ses appréhensions. Il ne pouvait pas se barricader perpétuellement derrière cette façade de colère et de détachement. Pas quand les siens étaient aux abois. Il devait faire l’effort d’aller chercher au fond de lui-même les mots qui lui faisaient défaut.
Un silence s’engouffra dans la petite chambre, au cours duquel Valérian joignit les mains dans un geste méditatif, le front creusé d’une ride. Il réfléchissait ardemment aux paroles d’Emilie, comme s’il s’était efforcé de démêler le raisonnement d’un exercice mathématique particulièrement retors. « Je comprends. » dit-il lentement. « Il y a des matins où j’aimerais ne pas avoir à quitter ma chambre, et rester sous les draps pour fuir une réalité parfois trop difficile à accepter. » la mort de Sasha, notamment, avait été particulièrement éprouvante pour lui. Elle l’avait jeté à bat de la forteresse qu’il s’était efforcé de bâtir pierre après pierre en ces sept années d’épidémie, le plongeant dans l’horreur et la consternation la plus totale. « Mais on se retrouve alors pris dans un dangereux entredeux : on ne guérit pas tout à fait, et la plaie, profondément enfouie en nous, finit par suppurer. » Le grec hésita brièvement et chercha les mots adéquats dans les méandres de son affect. « Je crois qu’il faut confronter la vérité qui nous fait du mal pour espérer en guérir. Il faut l’accepter, et accepter la souffrance brutale qu’elle comporte - comme une peine de prison à purger avant de pouvoir gonfler à nouveau ses poumons d’une bouffée d’air salvatrice. » Ses yeux noirs cherchèrent ceux d’Emilie. « La souffrance, une fois acceptée, est le premier pas vers la guérison. La tienne sera immense, je n’en doute pas. Mais nous serons là pour t’aider à la surmonter. »
L’échange de regards se prolongea quelques secondes, jusqu’à ce qu’un cri de ravissement ne transperce le silence de la chambre. Gigotant dans tous les sens, Logan tendait ses mains potelées dans la direction de Valérian. Celui-ci le considéra alors d’un air parfaitement interdit, incapable de déterminer comment se comporter en compagnie d’un enfant de bas âge. Les yeux du grec s’arrondirent, effarés, lorsque Emilie attrapa Logan pour le lui tendre : « venir dans mes bras ? Non, Emilie ! Attends ! » trop tard. Il n’eût d’autre choix que de réceptionner maladroitement l’enfant qui gesticulait avec toujours autant de vigueur. « Bon sang, pourquoi est-ce qu’il gigote comme ça ? C’est absurde, je vais le faire tomber ! »
Malgré-lui, la panique perçait dans le timbre de sa voix. Valérian tenait Logan à bout de bras, comme il l’aurait fait avec un petit animal susceptible de le mordre. « Reprends-le ! » s’écria-t-il. « Je ne sais pas comment faire ! Reprends-le, Emilie ! Il va tomber, c'est évident ! »
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Le silence qui s’installe dans la pièce démontre parfaitement le malaise que ressent Valérian en la présence de la sage-femme. Il est venu la voir parce qu’il est son chef, mais aussi et elle l’espère parce qu’ils sont amis. Elle sait qu’il n’est pas du genre à exposer ses sentiments, elle l’a très vite compris quand elle avait dû lui tirer les vers du nez pour qu’il parle un peu de lui, dans les rares moments où ils se sont retrouvés après la mort de Sasha. Voilà pourquoi ses conseils sont précieux. Même si ce n’est pas la même chose, il avait dû faire face à la perte d’un être cher. Et même si, Isha était toujours vivant, savoir qu’elle ne le reverrait plus lui faisait le même effet. Le seul soulagement était de savoir qu’il est toujours là, quelque part avec Gemma. Elle se permet de prendre sa main dans la sienne, de lui sourire, même timidement. Tes conseils sont avisés et plein de vérités. Je … Je sais que plus j’attends et plus ce sera douloureux, mais … Franchir cette porte, c’est comme me retirer moi-même le cœur. Elle pose ensuite son regard sur cette fameuse porte. Dès que je m’en approche, j’ai l’impression de commencer à manquer d’air, à paniquer et … Je me mets à pleurer. Elle repose ses yeux brumeux dans ceux de son ami. Peut-être que … Tu pourrais m’aider. A franchir le cap ? Avec moi ? Peut-être lui en demandait-elle trop ? Mais ne venait-il pas de dire qu’il serait là pour elle ?
Mais le ton devient plus joyeux, en tout cas pour la blonde lorsqu’elle l’oblige presque à prendre Logan dans ses bras. Elle le sait, Valérian n’est absolument pas à l’aise avec les petits. Mais elle a toute confiance en lui et le petit n’est plus si petit. Mais non rassures toi, il n’est pas en sucre il ne va pas se briser. Puis elle se lève, elle s’éloigne pour chercher de quoi le changer, laissant son ami seul à devoir se débrouiller avec Logan. Tu es le leader d’un groupe entier. Un enfant ne devrait pas te faire peur. Elle revient avec la couche de rechange et de nouveaux habits. Je te propose un deal, qu’elle ajoute à l’intention du grec. Si tu changes Logan avec moi, je … Je sors prendre l’air sur la plage avec toi. Elle trouve que c’est une proposition tout à fait honnête. Qu’est-ce que tu en dis ? Si tu me fais assez confiance pour te guider, je peux aussi te faire confiance pour ça.
Une menace à son enfant, trouble le sang d'une mère.
Lorsque les doigts d’Emilie se mêlèrent aux siens, Valérian leva les yeux vers elle, surpris. Une certaine compréhension s'installa à ce moment-là entre eux. La pluie crépitait toujours contre la fenêtre, remplissant d’un bruit régulier la chambre. Dans le regard de la jeune femme, Valérian vit le reflet de sa propre douleur. On leur avait à tous les deux arraché une partie d’eux-mêmes. La meilleure en ce qui concernait le grec. Toute la bonté, la patience et la douceur que Sasha lui avait insufflée s’était désagrégée à sa mort, éparpillée dans le vent comme les particules calcinées d’un bûcher.
Emilie avait aussi perdu une partie d’elle-même. Elle devrait apprendre à aller de l’avant avec cette béance à la poitrine, ce gouffre au bord duquel il était si facile de basculer. Valérian serra la main de la sage-femme. « Je ne suis sans doute pas le mieux placé pour te venir en aide, mais j’essaierai. » sourit-il tristement, en formant intérieurement la promesse de mettre tout en oeuvre pour l’aider. « Tu vas venir avec moi, et nous franchirons ensemble le seuil de cette porte. » reprit-il plus fermement. « Tu verras à ce moment-là que cette maison ne s’effondreras pas. La terre ne s’ouvrira pas non plus sous nos pieds. Non, le monde sera exactement le même. » Emilie avait probablement l’impression de voir son monde s'effondrer. Et si, dans ces moments critiques, la tempête faisait rage dans l’esprit, pulvérisant les piliers de l’être, le monde, à l’extérieur, demeurait pourtant immuable, insensible aux tourments de l’âme. Une réalité difficile à accepter. Mais il était nécessaire de reprendre le cours de sa vie, et non pas de se complaire dans cette douleur familière qui constituait un lien ultime avec l’être perdu. Il fallait trouver le courage de le rompre et d’aller de l'avant.
« Emilie, reviens ! » la panique gagna le grec lorsque la jeune femme l’abandonna en compagnie de l’enfant. Celui-ci gesticulait entre ses mains avec une vigueur insoupçonnée. Il poussait des cris réjouis, suraigus, et brandissait ses petites mains avec, semblait-il, la ferme intention de lui tirer les poils de la barbe. « C’est pas vrai ! Pourquoi est-ce qu’il crie comme ça ? Emilie ! Je crois que je lui fais mal ! Reviens, bon sang ! » Sa voix contenait un accent de détresse. Il avait affronté de nombreuses menaces depuis le début de l’épidémie, et pourtant, force était de constater qu’il était désemparé en cet instant, terrifié à l’idée de commettre un impair avec cet enfant. Pourquoi bougeait-il autant ? Et pourquoi poussait-il ces petits cris qui lui vrillaient les tympans ? « Je n’ai pas peur ! » se défendit Valérian avec hauteur. « Mais cet enfant a un comportement des plus déconcertants ! Bon Dieu, pourquoi est-ce qu’il crie sans cesse ? Est-ce qu’il est sourd ? »
La proposition d’Emilie lui arracha alors une grimace déconfite. La perspective de devoir toucher à une couche l’emplissait d’un sentiment de profond dégoût. Ce fut finalement le regard insistant de la sage-femme qui eut raison de sa réticence. « Très bien ! Faisons comme ça ! » maugréa-t-il brusquement. « Mais sache que je n’aime pas ça du tout ! » Ils installèrent l’enfant sur une table à langer, et le grec lança un regard incertain à son amie. « Bon… comment faut-il que nous procédions ? »
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