The Walking Dead RPG

Tasya est à l'heure au rendez-vous. On lui a donné très peu d'informations, seulement que sa présence était demandée comme femme de ménage dans un des districts. C'est chose courante dans le coin. Les hommes vont travailler sur les chantiers de Walla Walla, les femmes comme domestiques. Elle appréhende cette sortie, ses côtes blessées la font toujours souffrir et avec sa cheville, elle sait qu'elle ne sera pas la plus efficace. Et qui peut la demander ? Elle n'en a aucune idée, ce qui est encore plus angoissant.

Lorsque son nom est cité dans la longue file d'attente devant la sortie du bidonville, elle se présente aux gardes et on la fait passer dans un des bâtiments. Un des hommes s'adresse à elle. « Par là et déshabille-toi. » Le ton ne souffre d'aucun refus alors Tasya s'exécute. « On ne veut pas risquer que vous rameniez des puces dans les districts » Plusieurs rires retentissent, mais ils lui glissent dessus sans l'atteindre. Le jet d'eau glacée la surprend alors qu'il s'abat avec puissance sur son corps déjà meurtri. Elle a l'impression d'être un animal. On lui donne ensuite une tenue propre, de la couleur des servantes de Walla Walla. Impossible de ne pas reconnaitre en elle une disgraciée. Elle tresse rapidement ses cheveux détrempés.  

Quelques minutes plus tard, la mexicaine met enfin un pied hors du bidonville. Si elle pensait que ce serait un soulagement, il n'en est rien, elle est presque intimidée. « Accélère ! » lui ordonne le garde. Tasya s'efforce de suivre son rythme mais avec sa béquille ce n'est pas facile. Elle est obligée de forcer et la douleur se rappelle cruellement à elle. « Je sais pas qui veut d'une handicapée comme toi » grommelle l'homme. La mexicaine ne dit rien et se contente de marcher. « Tu fais tout ce qu'on te demande. A la moindre plainte, tu seras punie. » La brune hoche la tête tandis qu'ils arrivent devant une vaste demeure.

Le bâtiment ne lui dit absolument rien. « Donne-moi ça, je te la rendrais après. Je ne veux pas que tu puisses agresser quelqu'un avec. » Le garde lui arrache sa béquille. « Sans ça, je ne peux pas marcher » réplique-t-elle. L'homme a un sourire goguenard, visiblement, cette situation l'amuse beaucoup. Il la pousse contre le mur et entreprend de la fouiller une dernière fois pour être sûre qu'elle ne cache rien sur elle. La mexicaine ferme les yeux tandis qu'il s'exécute, prenant bien son temps. Quand il a enfin fini, il frappe à la porte et elle se recule légèrement.

Je vérifie une dernière fois le salon, lissant un plaid posé sur le dossier d’un des fauteuils. Les jouets sont rangés, les poussières sont faites, le sol est lavé. Et il en est de même dans toute la maison. Je retourne dans la cuisine, jetant un coup d’œil au four, avant de mettre de l’eau à chauffer. Voilà, ça devrait être suffisant pour aujourd’hui. Si tout va bien, ce sera même plus que suffisant. Ah des fleurs !

Lori relève la tête vers moi et m’observe en fronçant un peu les sourcils. « Je peux te demander pourquoi tu as fait le ménage alors que la femme de ménage est censée arriver aujourd’hui ? » Je la fixe et je pince les lèvres en cherchant mes mots. Lori a un peu grandi depuis quelques temps, mais elle est encore beaucoup trop façonnée par les préceptes bancals de New Eden. « Je n’aime pas quand la maison est en désordre tu le sais. Et Tasya, la femme qui doit venir, est une de mes amies. » « Mais c’est une disgraciée ! » Je l’observe, elle et son air choqué, et je fronce les sourcils à mon tour. « L'Éternel est miséricordieux et compatissant, Lent à la colère et plein de bonté. La miséricorde et la bonté sont ce qui nous différencie des monstres, ne l’oublie pas. Qui plus est, aucun homme n’a le pouvoir de retirer les Grâces offertes par Dieu. » Je lève une main quand elle s’apprête à répliquer. « Aucun Lori. » Je me rapproche d’elle et glisse une mèche de cheveux derrière son oreille. « Soli Deo gloria. Certains semblent l’avoir oublié, ne fais pas la même erreur ma chérie. » Elle garde le silence un instant et hoche la tête. « Je dois y aller. Mais je vais y réfléchir. Passe le bonjour de ma part à ton amie. » Je lui souris et l’embrasse sur le haut du crane avant qu’elle ne se lève et récupère ses affaires pour aller en cours. Ce serait quoi pour ça si jamais ils l’apprenaient ? La langue ? Peut-être.

Je retiens un soupir et sors pour couper les derniers lys de la saison. Je stoppe, sécateur et fleurs en mains, en entendant des voix. Et si mon premier réflexe est de sourire, je me ravise rapidement en entendant l’échange. Je me redresse, époussetant ma robe, plaçant les fleurs dans un panier, le visage fermé. Arrivant derrière eux alors que cet ignoble personnage frappe à ma porte, je toussote pour attirer leur attention. Il se retourne, prêt à une énième stupidité, mais a le bon sens de s’arrêter. « Ah. C’est chez vous ? » « En effet. » Je gravis les trois marches du perron, échangeant un regard rapide avec Tasya, avant de le fixer à nouveau. «  Mon époux n’’apprécierait pas d’apprendre que l’on maltraite l’un de ses domestiques. Et nous sommes chez lui. » Je tends la main, le regard glacial. « La béquille. » « Mais… » « Nous attendons qu’elle puisse se déplacer aisément. Si elle tombe et se casse l’autre jambe, à quoi bon ? » Il me rend la béquille que je donne à Tasya sans un mot. « Pourquoi vous voulez cette handicapée t’façon ? C’est qu’une… une moins que rien, qu’est-ce que ça peut vous foutre ?...Madame. » « Nous sommes tous des créatures de Notre Seigneur. La charité et la bienveillance envers son prochain ne sont pas sujets à caution. »

Je lui adresse un sourire qui n'atteint pas mon regard, et sans plus lui prêter attention, j’ouvre ma porte et laisse entrer Tasya. J’attends quelques secondes, m’assurant qu’il ait bien fait demi-tour, avant de me tourner vers elle. Je m’approche d’elle et la prend avec douceur dans mes bras. « Tu ne crains rien ici…» Je me recule un peu pour l’observer, mon cœur se serrant en la voyant ainsi. « Tu… Tu veux prendre un bain chaud ? J’ai préparé de quoi manger si tu préfères. On pourra discuter ensuite. Je… Oh Tasya, je suis tellement désolée. » Je grimace un sourire. « Je suis contente de te voir. »

Tasya se laisse faire tandis que l'homme la fouille. Elle ne réagit plus à ce genre de choses : elle n'a pas le choix et si elle proteste, les conséquences seront immédiates, elle le sait. Du bruit derrière elle la fait presque sursauter tandis que le garde frappe à la porte. C'est Hailey qui se tient devant eux et c'est une très bonne surprise pour Tasya. Ainsi, c'est elle qui l'a fait venir ici et cette découverte met fin à toute l'angoisse qui entourait cette question. La mexicaine suit l'échange entre les deux sans dire un mot. Elle récupère sa béquille mais conserve une expression assez fermée. Son regard suit l'homme tandis qu'il s'éloigne. Il ne partira pas loin, elle en est certaine. Le garde restera dans le coin, au cas où si elle tente quelque chose comme s'enfuir ou s'en prendre à ceux qui l'engagent. Elle est une paria, une menace, une pestiférée. Et comme il le dit si bien, c'est une moins que rien et si ça ne tenait qu'à lui, elle ne serait pas dans les districts.

Elle rentre à l'aide de sa béquille. Son regard se pose sur la jeune femme, sans comprendre : un bain chaud ? De quoi manger ? « Je... » souffle-t-elle, une expression confuse dans le regard. Quand Hailey vient la prendre dans ses bras, la mexicaine se laisse faire et la serre contre elle aussi. « Je suis contente aussi » murmure-t-elle. La brune a du mal à réaliser qu'elle est bien ici, dans cette maison, en compagnie d'une amie. « C'est toi qui m'as fait venir alors » Elle esquisse un sourire, sincèrement soulagée. Elle avait imaginé les pires scénarios, mais aucun n'incluait la demande d'une amie. Elle ne savait même pas que c'était possible.

Quant au reste de ses questions, elle est plus hésitante. « Je suis censée faire du ménage » Son regard se pose sur la petite maisonnette, bien trop propre. C'est dans cet optique qu'elle est venue ici, mais visiblement, Hailey n'a pas besoin de ses services. Elle a même l'impression de faire un peu tâche ici. Le bidonville ne brille pas par sa propreté et même si elle a pris une douche glacée avant de venir, elle a ce sentiment que la saleté la suit, est incrustée en elle. « Comment vas-tu ? Et comment va Gabrielle ? » demande-t-elle d'une petite voix.

Je me rends bien compte que ce genre d’actions peut sembler veine et superficielle. Et sans doute est-ce le cas quelque part. Pourtant, ça aurait été bien pire de ne rien faire et de fermer les yeux sous prétexte que justement, ça ne changerait pas grand-chose.

Sans doute qu’à ma place, Mei aurait déjà tenté d’entrer au bidonville, sans doute… Elle a tenté bien plus, risqué bien plus, et à présent, elle… n’est plus là. Outre le fait que je suis loin d’être aussi courageuse ou inconsciente qu’elle, je ne peux – et ne veux – perdre ce que j’ai. Je ne parle pas de la maison ou du reste, mais comment pourrais-je continuer sans mes enfants, sans ma famille ? Et si je venais à me faire punir, voire à me faire tuer, à quoi cela servirait-il ? Je sais, j’envisage l’extrême, mais après tout… c’est justement envisageable.

Et c’est bien parce que je sais tout cela que j’ai agi ainsi. Parce que Tasya est mon amie. Parce qu’elle aussi a une famille et des enfants. Et même si ce ne sont que quelques heures, ce sera peut-être suffisant pour la soulager et l’aider à tenir. A défaut de pouvoir l’en sortir, je peux au moins lui offrir une bulle loin des horreurs et des souffrances. Peut-être même lui apporter un peu de bonheur et de douceur.

J’ai un sourire confus et peiné alors qu’il lui faut quelques instants pour comprendre et réaliser. « Je suis désolée si cela t’a inquiétée. J’ai arrangé ça comme j’ai pu. Je ne pouvais pas te prévenir. » Je serre sa main. « J’essayerai d’obtenir plus de temps. » Après tout, Benjamin et moi avons de quoi payer maintenant… Payer pour offrir à une amie du repos et de la bienveillance… Il n’y a rien qui va.

Je la fixe et secoue lentement la tête. « Tasya. Penses-tu vraiment que je te ferais venir pour faire du ménage chez moi ? » Je fronce les sourcils. « Et je suis beaucoup trop exigeante et maniaque pour laisser qui que ce soit faire quoi que ce soit à ma place. » J’ai un mince sourire. « Viens, allons nous asseoir. » Je la guide jusqu’au salon sans trop lui laisser le choix et la laisse s‘installer sur le canapé avant de répondre à sa question. « Gabrielle va bien, elle grandit bien trop vite. Elle commence à bien marcher, on ne peut plus la quitter des yeux. Et elle commence malheureusement à entrer dans la phase des non. Non a tout ce qu’on lui dit ou demande… Mais elle est adorable. Elle est chez Mason, avec Leo. Les autres enfants la ramèneront tout à l’heure, tu auras le droit de voir le troupeau… » Si tout va bien, et il n’y a pas de raison que ça n’aille pas, ils devraient même être plus nombreux que prévus. Et si j’ai bien évidemment eu un sourire plus qu’attendri en parlant de ma fille, il disparait au reste. « Je vais bien. » Ce n’est pas vraiment un mensonge. Je suis en bonne santé, avec les gens que j’aime, je n’ai absolument pas à me plaindre. Je la détaille un peu, mon regard s’arrêtant sur ses diverses blessures. « Tu as vu un médecin ? Tu veux que je tente  de faire venir Min-Oh ? Ou je peux regarder si tu le désires… » Je me mords la lèvre. « Je ne vais pas te demander comment ça va, mais s’il y a quoi que je puisse faire, surtout n’hésite pas. » Je laisse filer un soupir. « Je m’excuse, je parle bien trop… De quoi as-tu besoin, ou envie, là de suite ? Tout ce que je peux, je le ferai. »

« Non, non, ne t'inquiète pas » Certes, Tasya avait eu quelques appréhensions en se demandant qui pouvait bien requérir ses services, mais ils sont vite balayés désormais. Elle a un pâle sourire quand son amie lui parle du ménage comme étant une excuse et elle hoche la tête doucement, la suivant bien sagement jusqu'au salon. Elle s'assoit sur le canapé, pas forcément des plus à l'aise. Tout lui semble bien rangé, bien propre et d'un simple regard à ses ongles noircis, abîmés, lui donne l'impression qu'elle va souiller cet endroit.

Tasya esquisse un petit sourire en songeant à la fillette de Hailey. Si elle est évidemment contente de savoir que Gabrielle va bien, son cœur se serre toutefois en songeant à ses propres jumeaux, quelque part dans le district 4. Que font-ils ? Qui s'en occupent ? Comment vont-ils ? Elle ne le sait pas et elle n'a aucun moyen de le savoir malheureusement. Elle ravale sa tristesse pour tourner un regard empreint de bienveillance envers la jeune femme devant elle. « Elle commence à marcher... J'ai l'impression que c'était hier que tu nous donnais un cours de danse à Jacob et moi, avec ton ventre rebondi » Et pourtant, déjà plus d'une année. De cette époque, elle a l'impression d'avoir perdu toute son insouciance pour n'avoir que des poids sur les épaules. Elle hoche la tête, elle sera évidemment ravie de voir les enfants d'Hailey. C'est toujours étrange de n'en croiser aucun au bidonville.

Petit à petit, elle se détend, elle baisse ses barrières. Hailey affirme qu'elle va bien et Tasya en est soulagée. Ce n'est pas parce que leurs conditions de vie sont maintenant différentes qu'Hailey doit automatiquement aller bien. Beaucoup de personnes vivent mal l'autorité de New Eden et l'enfer peut revêtir bien des visages. Quant au soin, la mexicaine secoue vivement la tête. « Non, non, c'est gentil, mais nous avons un dispensaire, ils ont pu soigner mes blessures et Ray les surveille » Dans son malheur, elle avait eu la chance de tomber avec un médecin. Tasya hausse les épaules, elle n'ira pas jusqu'à dire qu'elle va "bien" mais elle va toujours mieux qu'à son arrivée dans le bidonville. Elle était en miettes, là, elle se remet, petit à petit. « Tu en as fait déjà énormément » Beaucoup plus qu'elle ne peut le croire. C'est une bouffée d'oxygène pour Tasya.

De quoi a-t-elle besoin ou envie ? Ses yeux montrent un instant la confusion qui la traverse. Elle ne sait pas vraiment ce qu'elle veut ou ce dont elle a besoin. Elle hésite, pose son regard autour d'elle. « Un verre d'eau ? » Au moins, elle n'aura pas à traverser le bidonville pour aller la chercher cette eau-là. Et après une nouvelle hésitation, elle continue. « Je... Tu aurais du pain ? » lui demande-t-elle d'une petite voix. L'image d'un miche bien dorée et croustillante, avec l'odeur qui peut s'en dégager, lui en met l'eau à la bouche. C'est typiquement le genre de produits qu'ils ne peuvent avoir au bidonville, faute de four, faute d'ingrédients pour le fabriquer. Elle ne rêve même pas d'une bonne tartine de pain avec du nutella mais juste d'un bout de pain.

L'Éternel est un refuge pour l'opprimé, Un refuge au temps de la détresse. Mais je sais qu’il est parfois difficile de voir la lumière quand l’obscurité se fait trop profonde. Alors je peux bien soutenir mon amie, le temps qu’elle puisse remonter à la surface et respirer par elle-même, le temps qu’elle retrouve le chemin de ce refuge. Je ne peux guère faire plus, mais si j’étais à sa place, j’aimerais savoir que mes amis pensent toujours à moi et tentent de m’aider. J’espère bien faire en tout cas.

J’ai un léger rire en l’entendant, hochant la tête quand elle répond. « C’est vrai, je me souviens. Le temps passe beaucoup trop vite. » Je me souviens de la raideur et de la gêne de Jacob, de sa douceur et de son enthousiasme à elle… Et de la tendresse qu’il y avait entre eux deux. Ce n’est pas vraiment le genre de sentiments qui s’effacent simplement en étant séparés, mais ce n’est pas ce qui intéresse les autorités, pas davantage que la vérité ou la justice. Mais ce n’est pas nouveau, et encore une fois, ce n’est pas le sujet du jour. Ça ne compte pas pour le moment.

Seule Tasya importe. Et dire que je m’inquiète pour elle, pour eux, est bien en-deçà de la vérité. Mes lèvres se plissent alors qu’elle rejette presque trop vivement mes propositions. J’espère que c’est le cas, et qu’elle peut réellement être suivie. « … Comment va-t-il ? Et Phoebe ?... Tu n’es pas obligée d’en parler, c’est juste que nous n’avons pas de nouvelles et que nous ne pouvons pas… Mason essayera de faire plus… d’aller vous voir peut-être. » Parce que nous essayons. Ou eux surtout, je n’ai aucun pouvoir, et puis… je suis sans doute encore trop peureuse, trop lâche, pour faire des coups d’éclats comme certaines d’entre elles ont le secret. Je lui souris, guettant malgré tout un signe ou je ne sais quoi dans son regard. « J’aimerais pouvoir faire plus. » Rien de tout ça ne sera jamais suffisant.

Je jette un coup d’œil à l’horloge. Nous avons un peu de temps avant qu’ils n’arrivent, assez pour qu’elle puisse manger un morceau. Son air déboussolé me serre le cœur, et ma main attrape la sienne avec douceur. « J’ai du thé ou du café si tu préfères. Il doit rester du jus de pommes aussi. » Je la fixe quand elle continue, avec une demande aussi simple. Pourtant, celle-là aussi, je la comprends. Ca a l’air trop simple et c’est pourtant une des premières choses qui a pu me manquer durant nos années d’errance, à Mei et moi. L’odeur du pain chaud, le croustillement de la croute, la douceur de la mie.Je me lève rapidement, et vais préparer un plateau, avec du pain, du chocolat, une clémentine et une pomme. Je dépose le tout devant elle. « J’ai préparé de quoi manger, des plats, pour après, si tu veux. » Je lui laisse quelques instants, la laissant prendre son temps et savourer, en en profitant pour vérifier l’entrée. Pas de traces du garde, ni de quiconque pour le moment.

Je reprends place à ses côtés, l’observant avec attention. « De quoi avez-vous besoin ? Je sais, tu vas me dire tout, mais en priorité ? » Mes sourcils se haussent. « Tu as rencontré un certain Jenkins ?… Vu le nombre de personne là-bas, ma question est stupide, je m’en rends compte en la posant. »

Un sourire ravi étire mes lèvres alors que l’on sonne à la porte. « Ne bouge pas, je reviens vite. » A peine la porte ouverte, c’est un brouhaha de voix plus ou moins enfantines qui se fait entendre. Le temps de dire bonjour à tout le monde et d’envoyer les plus jeunes dans la salle de jeu, je récupère ma fille et me dirige vers le salon. « Tasya ? Tu as de la visite. » Je m’écarte pour laisser passer Sally qui pousse une double poussette jusqu'à Tasya. Je serre son bras avec douceur, avant qu’elle ne s’éclipse à son tour après un immense sourire. « Je me suis dit que c'est de ça... d'eux... dont tu aurais le plus besoin. »

Comment vont-ils, tous ? « C'est difficile » murmure-t-elle. Ce n'est pas vraiment une surprise. « On survit » Parce que ce n'est pas une vie là-bas, loin de leur famille, plongés dans la misère la plus profonde. Elle n'arrive pas à lui dire pour Phoebe, pour ce qu'elle fait là-bas pour leur permettre d'avoir un toit sur la tête. « Ray va mieux lui aussi » Sa morsure à la jambe est en bonne voie de guérison. La sollicitude de son amie la touche énormément.

« Je veux bien du jus de pommes, merci » Un nouveau sourire soulève ses traits lorsque Hailey parle d'un repas. Et devant le plateau qu'elle lui apporte, Tasya a l'impression de rêver. Du chocolat, du pain, une clémentine, une pomme. La mexicaine hésite avant de prendre du chocolat et croquer dedans. Elle ferme les yeux pour mieux en apprécier la saveur. C'est une explosion de goût après plus d'un mois sans aucun met sucré. Elle a l'impression de revenir deux ans auparavant quand elle a été retrouvée presque morte de faim par les patrouilles de New Eden. « Merci » souffle-t-elle à Hailey et en quelques bouchées, elle a quasiment tout fini, laissant juste la pomme. Son estomac habitué aux petites quantités ne supporte pas plus.

De quoi ont-ils besoin ? Tasya secoue la tête. Ce dont elle a besoin, c'est de revenir auprès des siens, le plus vite possible. Elle a besoin de Jacob, elle a besoin de ses enfants. Malheureusement, ce n'est pas possible. Hailey veut aider alors la brune murmure : « Des tickets de rationnement ? » Elle ne veut pas faire la manche ou soutirer de l'argent à Hailey, mais oui, quelques tickets comme convenus en échange du ménage, elle ne dira pas non, pour aider Phoebe. « Oui, il est venu nous voir pour nous apporter des tickets de rationnement. Ils nous ont été bien précieux. » Elle se sent obligée de se justifier : « La vie est chère et pour le moment, nous ne sommes pas en état de bosser plus... On loge au bordel, il faut qu'on paye un loyer » Alors les quelques tickets de rationnement passés par Jenkins leur avait permis de boucler le premier mois de loyer, ce n'était pas négligeable et une précieuse aide.

Tasya esquisse un sourire en voyant les enfants rentrer. Ils la saluent et elle leur rend un petit signe de la main avant de détourner le regard. Cela la renvoie directement à l'absence de ses propres bébés et cela devient difficilement supportable. Son ventre se noue, douloureusement. Elle ne veut pas être impolie ou manquer d'enthousiasme face aux petits de Hailey, mais c'est trop difficile. Et pourtant, au moment où ses yeux fixent le mur en face d'elle, elle les entend. Un cri, un hoquet et elle sait qu'ils sont là. Eva et Elio. Les paroles d'Hailey se frayent difficilement un chemin dans son esprit. Avant même de se retourner, Tasya s'effondre. Les larmes la submergent, impossible à contrôler.

Elle se relève, en oublie même sa béquille et Sally s'avance en poussant la poussette double. Ses enfants ont bien grandi. Eva la fixe de ses grands yeux sombres et d'un air sérieux. Tasya la soulève dans ses bras et  la fillette passe une main dans les boucles de cheveux de sa maman, comme intimidée. Un mois de séparation, à cet âge, c'est beaucoup. Trop ? Elle soulève de son autre bras son petit garçon, retrouvant des réflexes de maman qu'elle ne peut pas oublier. Elio est le plus rapide à réagir, après quelques secondes d'observation, il sourit puis cale sa petite tête directement dans le cou de Tasya et les larmes de la jeune femme redoublent en intensité. Eva laisse échapper un petit cri de joie. Toutes les sensations, les émotions lui reviennent en bloc : leur odeur, leurs petites quenottes qui la serrent, la douceur de leur peau. La mexicaine se remplit de ce moment.

« Merci Hailey, merci... » souffle-t-elle entre deux sanglots. C'est le plus beau cadeau qu'elle pouvait lui faire. Ses deux bébés, la chaire de sa chaire, ils sont réunis pour quelques instants, enfin.