De toute évidence, oui. Mais il va falloir faire avec. La réponse d’Elijah est aussi évidente que la remarque de Ray: néanmoins, il est clair que ce dernier n’a pas d’autres choix devant lui. Ils ne sont que tous les deux actuellement, et aucun personnel soignant n’irait s’aventurer jusqu’ici pour aider un disgracié… Même ceux ayant travaillé avec lui. Imperturbable, le milicien s’empare de nouveau du matériel de soin caché dans son sac, jusqu’à ce que Ray ne finisse par se redresser.
Son attention se pose une nouvelle fois sur ce dernier, attentivement: une fois la couverture enlevée, il peut désormais constater l'entièreté des dégâts… Et ce n’est pas beau à voir. Certes, il a peu de connaissances en soins, mais il est sûr d’une chose: les moyens du bord apposés sur les blessures n’ont que peu d’efficacité. Si ce n’est d’être une protection éphémère. Il faut retirer tout ça, constate-t-il sans pour autant ciller devant le nombre important de blessures. Et s'occuper en priorité de ta joue.
A la demande de Ray, il sort le matériel médical emmené: il n’y a pas grand chose, mais suffisamment pour apporter des soins un minima correct. Normalement. Voilà. Trois compresses, un petit flacon d’alcool, un fil et une aiguille, quatre pansements.
Ray aimerait l’arracher, cette joue qui le démange, le fait souffrir, l’empêche de dormir. Il voudrait aussi la cacher, parce qu’il sait comme elle le rend laid à présent. “Où as-tu trouvé tout ça ?” souffle-t-il en posant les yeux sur le matériel d’Elijah.
Enfin, cela ne le regarde peut-être pas. Ray soupire en commençant la pénible tâche de retirer ses bandages, en profite pour guider l’apprenti infirmier dans les soins à effectuer. Comme s’il n’était pas lui-même le patient… “Il faut commencer par nettoyer avec la lotion. Sans abîmer les tissus cicatriciels… Ensuite, cette pommade. Elle contient un antibiotique. Et… donne moi deux de ces cachets, s’il te plaît.” Il tend une main tremblante, tel un mendiant pour récolter les comprimés au creux de sa paume. Un seul suffirait sans doute à le soulager étant donné sa perte de poids. Mais tant qu’à faire, Ray a bien envie de s'offrir le luxe de planer.
Il les gobe avec le fond d’un verre d’eau et reprend son effeuillage sanglant. Le tissu emporte avec lui une part du sang coagulé et de lymphe, laissant la chair à vif. Il ne saigne pratiquement plus, mais suinte les efforts que sa peau met en place pour se refermer tant bien que mal. Ça le gratte, comme si des centaines de petits insectes fourmillaient sous sa peau… Mais il a suffi de quelques contacts affreusement douloureux et au toucher dérangeant pour l’en dissuader.
Avec plus d’appréhension, il défait le lien qui lui passe en travers du visage pour décoller le pansement de fortune de sa joue. La chair semble se détacher légèrement de son muscle, lui procure d’horribles sensations qu’il encaisse tant bien que mal, pâlissant autant de douleur que de dégoût. “J'ai l'air d’un de ces rôdeurs, n'est-ce pas…?” Murmure-t-il comme une vague tentative de faire passer son malaise pour une plaisanterie, alors qu’il se sent mis à nu face au milicien.
Un endroit où avoir une connaissance peut être particulièrement utile, disons. Ce n’est sûrement pas la réponse que Ray attend, mais celle-ci lui fournit déjà suffisamment de détails. Indirectement. L’ex kiné commence à retirer ses bandages, sous le regard attentif du milicien: ce dernier le laisse globalement faire cette tâche seul.
D’accord, dit-il seulement, retenant ainsi les deux premières étapes à suivre. Son attention se reporte un instant sur la main tremblante du plus jeune, tendue dans sa direction. Nul doute que l’un de deux cachets demandé est de trop, mais soit, Elijah les lui dépose malgré tout. Tiens. Avant de lui apporter son aide pour les pansements les moins accessibles.
Le tout n’est véritablement pas beau à voir. La cicatrisation se fait à peine, et Elijah imagine sans mal à quel point cela doit être douloureux: mais outre ça, il n’a pas de réactions particulières. Véritablement visibles. Il en faudrait plus pour que ce soit le cas, même en voyant la chair se détacher de la joue de Ray…
Non… souffle-t-il, accompagné d’un vague sourire. Loin de là. Le plus jeune ne le croira pas, mais le milicien le pense réellement: certes une telle blessure défigure en partie, indéniablement, mais pas au point de ressembler à un rôdeur. Avant de préparer une compresse et la lotion, pour le début des soins.
Avant de se rapprocher de Ray, pour le soigner dans les meilleures conditions possible: d’une main, il vient tenir délicatement la partie non blessée du visage du plus jeune, tandis que leurs regards se croisent finalement. Prêt ? Tandis qu’il tient une compresse imbibée de l’autre: aucun doute sur le fait que cela sera douloureux, alors Elijah attend sa réponse…
Le regard de Ray s’arrête timidement sur celui d’Elijah. Il ne l’a jamais observé de si près. Il n’a jamais vu en détails la cicatrice qui s’étire de part et d’autre de son oeil. Impact d’une lame gravé dans sa chair. Le milicien semble l’assumer comme un rien. En fait, c’est bien la seule chose qui le distingue de son jumeau, et Ray ne s’est jamais dit que ça le rendait monstrueux. Cette idée le rassure un peu.
“Non…” Il soupire tout bas. Il n’est pas prêt. Il ne veut plus avoir mal. “Mais vas-y.” en baissant les yeux avec appréhension vers la compresse qui approche de son visage, maintenu entre les doigts d’Elijah qui retiennent un léger réflexe de recul.
Sa respiration se coupe au contact froid. Une douleur acide s’infiltre immédiatement dans sa plaie et semble lui brûler les chairs de l’intérieur, étirer ses nerfs, le rouvrir de plus belle. Ray ferme les yeux quand les larmes s’y pressent malgré lui, serre les dents, en apnée, ses longs doigts maigres s’agrippent aux draps et à l’avant-bras de l’apprenti infirmier qui ne pourrait pas rendre le supplice plus supportable de quelque manière que ce soit.
Quand le contact cesse, ses mâchoires se desserrent et les yeux du kiné se rouvrent plein de larmes, d’étoiles et voilés de noir. Il distingue peu à peu le visage de son ami dans ce flou désagréable alors que la douleur persiste, tambourine dans son cœur et sa tête.
Il ne l’a pas lâché. Ray est bien conscient que sa prise empêche le milicien de prendre la pommade pour continuer à le triturer. Que tant qu’il maintient sa poigne serrée, il aura droit à un répit. L’épuisement abat sur lui un vertige dont il peine à s’extirper. Peut-être les médicaments commencent-ils à faire effet.
Leurs regards s’accrochent à nouveau, dans un instant de silence - si ce n’est le sifflement continu dans le fond de son crâne. Ray sent la sueur perler de la ligne de ses cheveux en bataille vers la tranche de sa mâchoire. Il scrute l’oeil d’Elijah, se demande s’il a souffert ainsi. S’il souffre encore, parfois. Ses iris sombres descendent en quelques à-coups le long de ses pommettes, de son nez, jusque sur ses lèvres pincées. Il n’a jamais trouvé les jumeaux particulièrement beaux. Juste… intimidants, et dotés d’une présence indéniable.
De nouveau son regard - l’oeil bien vif, cette fois. Ray y cherche quelque chose, un reflet de la réalité qu’ils s'obstinent tous à nier. Il y trouve une bienveillance à laquelle il ne pensait plus avoir droit. Elijah s’acharne à l’aider, là où les autres tombent avec lui ou le laissent tomber. Qu’ils l’ignorent. Qu’ils lâchent son nom à River, comme faisant partie de cette ridicule rébellion… L’homme qui se tient à ses côtés est comme une dernière bouée de sauvetage dans une mer déchaînée. Ray se redresse un peu plus, luttant contre les éclairs qui parcourent son corps pour venir lui voler un baiser.
Le contact est fébrile, maladroit, étrange. La rugosité de sa peau me rappelle celle de Jake. De Richard. Le dernier homme que j’ai embrassé s’est probablement éteint avec Seattle, il y a plus d’un an maintenant. Le frisson me saisit la nuque, la tête prise dans un tourbillon de culpabilité, de honte et de regrets. Pourtant, j'ai la sensation que les pendules se remettent enfin à l'heure.
Bien évidemment la douleur est là, omniprésente, lorsque Elijah pose la compresse sur la joue meurtrie de Ray, après avoir attendu sa réponse. Difficile d’atténuer quoique ce soit néanmoins, alors il s’applique à nettoyer la blessure de l’ex kiné, laissant ce dernier agripper son avant-bras sans mot dire. Après un instant, qui peut paraître particulièrement long pour le plus jeune, le milicien éloigne finalement la compresse.
Les yeux de Ray se rouvrent, plein de larmes: énième preuve de la douleur provoquée par les soins, cependant nécessaires pour qu’il puisse cicatriser au mieux. C’est fini. Du moins, pour le nettoyage de cette plaie: une étape de moins, et certainement la plus désagréable. Pour autant, l’ex kiné ne le lâche pas: nul doute qu’il a besoin d’un instant de répit. Elijah le laisse donc faire, sans émettre la moindre remarque.
Il sent le regard du plus jeune sur son oeil gauche, le mort. Le milicien le désigne ainsi car, mis à part pour un soucis d’esthétisme, il ne lui est d’aucune utilité. Sous le voile opaque, sa pupille reste inévitablement figée, ne lui laissant qu’une vue particulièrement sombre. L’attention du kiné dessus ne le fait pas tellement réagir: à vrai dire, il est habitué à ce que les regards s’y attardent, sans grande surprise, par pure curiosité. Mais peut-être pas de manière aussi détaillée.
Elijah ne remarque pas de suite que Ray se redresse un peu plus: tardivement, en fait, alors que ce dernier lui vole un baiser. Attends, quoi ? La surprise est courte, quoique visible: clairement, le milicien ne s’attendait pas du tout à ça. Mais il lui suffit de poser une nouvelle fois son regard sur l’ex kiné, pour comprendre. Difficile de ne pas voir à quel point ce dernier semble perdu, actuellement. Plus qu’à l’accoutumé. Ray ?
Depuis quand quelqu’un s’est-il réellement préoccupé de lui ? Cela doit remonter à longtemps, suffisamment pour qu’il en soit troublé. Mais si cela lui permet de surmonter la douleur des soins… Alors cette fois-ci, c’est Elijah qui vient l'embrasser. Le contact est plus assuré que le précédent, emprunt de tendresse, de part l’amitié qui les lie. Puis il s'éloigne après un moment, avant de s'emparer de la pommade non loin, comme si de rien n'était. Il faut soigner tes blessures. Plus vite ce sera fait, moins longtemps ce sera douloureux.
La voix d’Elijah est lointaine. J’ai… du mal à réaliser ce que je viens de faire. Regard perdu sur les lèvres tout juste quittées, incapable de croiser son oeil probablement plein de jugements. Je ne sais pas… Mes yeux me brûlent, mon visage entier est en feu. Tout est putain d’absurde…
Le vertige menace de m’envoyer au sol. Mais, contre toute attente, le milicien se rapproche. Je ne bouge plus d’un millimètre lorsqu’il me rend ce baiser ; refermant comme un réflexe les lippes contre les siennes, les paupières, obscurité réconfortante. Grisante… Je me sens fondre. Les médicaments crament une à une les connexions de mon cerveau en un million de petites étincelles, les endorphines s’agglutinent, et le contact de ses lèvres persiste. Chaud. Légèrement humide - un goût de sel. Rêche, la peau attaquée par l’hiver, et la naissance de sa barbe qui me griffe le menton.
Comme une bouffée d’oxygène après des mois en apnée.
Lorsqu’il s’en détache, il me faut bien quelques secondes pour revenir à moi. Rouvrir les yeux. Observer à nouveau ses gestes, ces mains qui reprennent le chemin du matériel de soin comme si de rien n’était. Je réalise que je l’ai lâché.
J'articule à peine, “D’accord.” La pommade. Mes traits se crispent tout de même d’appréhension lorsque sa main revient, que ses doigts se posent sur mon visage. Je grimace autant de douleur que de dégoût en sentant le relief irrégulier de la plaie qu’il redessine.
L’épreuve n’est pas aussi longue, aussi insupportable que la première. Et c’est avec un certain soulagement que je lui présente mon bras pour la suite du traitement. La chair y est arrachée près du coude. Recousue à la va vite en quelques points fragiles.
“Luther, il…” je parle tout bas, que ma voix ne traverse pas les fines parois de la chambre, “Il semblait être proche de… quelqu’un comme moi. Il savait que… ça ne se guérissait pas…” Une vérité qu’il m’a fallu des mois pour envisager. Encore plus pour l’admettre. Je relève la tête pour tenter de capter son regard, concentré sur ma blessure. “J’aurais du me douter que… c’était toi.”
Bien que ce second contact soit agréable, d'une certaine manière, Elijah ne le fait pas d'autant plus durer. Profitant du fait que Ray mette quelques instants avant de revenir à lui, son bras désormais relâché, il s’attèle à la préparation de la suite des soins. Au moins l’ex-kiné ne proteste pas, une fois son attention pleinement revenue, lorsque le milicien reprend les soins sans mot dire. Il s’applique à la tâche, éloignant sa main de la joue du plus jeune qu’une fois la plaie bien couverte par la pommade.
Quand il présente ensuite son bras, Elijah en observe un instant l’état de plaie, avant de la désinfecter: sans surprise, la chair est arrachée, et maladroitement recousue avec quelques points fragiles. Alors il reprend le traitement avec précaution, son attention restant focalisée dessus: du moins, jusqu’à ce que Ray se mette de nouveau à parler.
En entendant ses mots chuchotés, ses sourcils se froncent légèrement, presque imperceptiblement: difficile de savoir où son vis-à-vis veut en venir… avant qu’il ne donne un peu plus de précisions. Là, l’ancien agent du FBI a un vague sourire, quelque peu amusé. Non, ça ne peut pas être moi Ray. Luther n’a jamais rien su à mon propos.
C’est presque un semi aveu qu’Elijah murmure à Ray, ses mots confirmant tout comme le geste rendu qu’il ne correspond pas tellement à cette “normalité” promue par New Eden. Difficile de faire mine de rien, de prétendre le contraire, au vu de ce qu’il vient de se passer. Que t'a-t-il dit, exactement ? ajoute-t-il avec une certaine curiosité, d’un ton toujours aussi bas.
Avant d’avoir un léger soupir. Inutile de connaitre beaucoup de choses là-dessus, pour savoir que ça ne se guérit pas. Son regard s’accroche de nouveau à celui de Ray. Il n’y a rien à guérir. Rien d’anormal. Le ton de sa voix ne souffre d’aucune hésitation. Et les thérapies qu’ils font subir ne sont qu’un prétexte. Enfin, sauf pour ceux étant persuadés de leur efficacité. Des demeurés finis, sans aucun doute.
Accueil 
