The Walking Dead RPG

“Pratiquement tous les jours. On est comme une petite famille, ici.” Souffle-t-il sans chercher à dissimuler son ironie. Le fait est que quelques-unes des filles sont devenues ses amies, parfois ses confidentes. Parfois dans l’autre sens. Mais il se méfie toujours de tout le monde et prend gare à ne pas trop s’attacher. Entre famine, maladies et violences, il sait parfaitement qu’elles peuvent rapidement se faire décimer.

Ray hoche la tête à la positive pour répondre à Elijah. Harper aussi fait partie du bordel. Il acquiesce de la même manière, timidement, quand il évoque ce qui lui est arrivé. Son regard reste planté dans le vide quelques secondes, avant qu’il n’expire et relève les yeux vers le milicien. Il n’est plus tout à fait le même maintenant.

“Tu l’as torturée. Traumatisée.” Sa voix est emprunte de reproche et de nervosité. La jeune femme a évoqué le supplice de l’eau, et Ray s’en fait une idée assez précise, alors qu’on a lui-même retenu enfoncé dans une baignoire glacée. Le froid lui contraignant chaque muscle alors qu’il était incapable de respirer. Impossible de ne pas se mettre à sa place, la rousse et lui portent ce poids en commun. “Je me doute que tu faisais ton travail, mais…” Même si Harper lui a avoué avoir oeuvré contre New Eden, “C’est une bonne personne. Elle ne méritait pas ça…”

D’accord. L’ironie de Ray ne passe définitivement pas aperçu aux yeux d’Elijah. Et s’il ne dit rien là-dessus, il n’en pense pas moins, surtout concernant le comportement de l’ex-kiné. Alors il reste silencieux, son regard rivé sur celui du disgracié: il n’est pas impressionné par ce changement d’attitude, ni même étonné. Je le sais bien, merci. S’il est toujours aussi calme et maître de lui-même, son ton est néanmoins plus cassant. Froid. Tu l’as torturée. Traumatisée. Sans blague, il ne s’en était pas rendu compte lui-même…

Qu’espérait il apprendre au milicien, au juste ? Tu n’étais pas là Ray, tu ne sais pas ce qu’il s’est passé. Et tu sais encore moins ce qu’elle a fait. Mais c’est tellement plus simple d’écouter une seule version de faits, qui édulcore la vérité… Elle servait de diversion, pendant que ses copains piégeaient un convoi et prenaient en otage Evan, Mason et Min-Oh ainsi que deux autres soldats.

Elle se doutait de ce qu’ils avaient prévu, c’est certain. Elle a posé deux bombes sous nos véhicules, et une a presque causé notre mort. Presque, grâce au conducteur, en fait: sans lui, Elijah ne serait pas là pour en parler. Puis elle a saboté des vivres, du matériel qui était tout autant utile au groupe qu’aux habitants de la ville. L’essence, l’eau de pluie… et qu'aurait elle fait de plus, si elle n’avait pas été attrapé ?

Et quand elle aurait pu donner les informations nécessaires pour trouver les otages, et s’épargner des souffrances inutiles, elle ne l’a pas fait. Ce n’était pas faute de l’avoir prévenue, pourtant. Résultat, Mason et Min-Oh étaient les seuls survivants du convoi, les autres ont été tous massacrés. On n’a jamais retrouvé Evan, et Dieu seul sait ce qu’ils lui ont fait.

Enfin, la dernière partie est une semi vérité: mais nul ne doit savoir qu’en fait, Evan est bien vivant. Ni même qu'Elijah l'a vu de ses propres yeux, quelques mois plus tard. Aucun d’entre nous n’est une bonne personne, Ray. Ni toi, ni moi, ni elle.

Il se renfrogne lorsqu’Elijah évoque les noms de Mason et Min-Oh. Ray n’avait pas conscience que Harper avait mis certains de ses amis en danger. Alors il baisse les yeux, en colère mais un peu honteux, quand le milicien lui déballe les raisons de son arrestation. Elle n’est pas toute blanche. Mais à sa place, qu'aurait-il fait ?

Il articule doucement, “New Eden a cherché à prendre le contrôle de force sur Seattle. Il fallait bien s’attendre à ce genre de résistance, non ?” Toujours assis au bord du lit, il relève les yeux vers le milicien.

“Une guerre dans un monde déjà si dépeuplé n’a aucun sens.” Cherchant confirmation dans son regard, oeil tristement indéchiffrable, comme ceux de son frère. Le kiné soupire, “Quand je suis allé sur le terrain, il y a un an, on m’a confié quelques-unes des horreurs perpétrées par nos soldats.” Il n'a plus ses chaînes. Goût aigre-doux de sa nouvelle liberté de parole, ça lui fait tout drôle, il se sent pousser des ailes… “Bien sûr qu’ils ont la haine. Et ce genre de traitements n’arrangera rien.”

Ray marque une pause, darde un air sévère sur le milicien en se relevant. Elijah est à peine plus grand que lui. “Je peux parler, ici. Je ne peux pas tomber plus bas, n’est-ce pas ? A moins que tu ne veuilles me torturer moi aussi, pour haïr cette ville ?” Léger sourire jaune, quand il ajoute, “Mets moi une balle dans la tête, Elijah, plutôt que me faire subir tes tentatives pathétiques de te justifier. Je me fiche bien de tes états d'âme. Ici, personne n'a de morale.” Il lui serait même reconnaissant de mettre fin à sa lamentable existence.

Je n’ai pas dit le contraire. Ce que Ray avance est vrai: et il ne le contredira pas là-dessus. Néanmoins… Il fallait s’y attendre. Mais ces résistants ne peuvent pas prétendre être meilleurs que New Eden, s’ils font la même chose qu’eux. Même si les propos de Deadpool lui ont donné matière à réflexion… Ce point reste à ses yeux une grande hypocrisie: certes ils ne ciblent pas les femmes et les enfants, mais ne commettent-ils pas des atrocités similaires ?

Oui, ça n’a pas de sens. Ils ne font que se décimer d’autant plus. Peut-être est-ce leur destin, justement: de disparaître. S’éteindre. Mais les humains sont incapables de vivre sans conflits. L’histoire en est la preuve la plus concrète. Concernant les horreurs de New Eden… J’en ai aussi entendu parler. Cet été. Cliffdel lui revient souvent à l’esprit, tout comme les paroles d’Evan et de Deadpool à ce propos.

Pour le reste, l’ex-kiné ne lui apprend pas grand chose. Son attitude par contre le fait bien plus tiquer, son regard reste fixé sur lui, tandis que le plus jeune se relève. Que tu détestes cette ville ou non, je m’en contrefous. Et ce sous-entendu qu’il torture tout ceux allant à l’encontre de New Eden, alors que ce n’est pas le cas, l’énerve un peu.

Me justifier ? La blague de l’année celle-là. Non, absolument pas. Et encore moins auprès de toi. S’il est toujours d’apparence calme, ses paroles deviennent plus froides et acerbes, tandis qu’il s’approche de Ray. Mais j’imagine que se foutre des œillères en gobant une demi vérité est tellement plus simple que de voir au-delà. Il peut toujours parler d’états d’âme ou autre conneries du même style, le seul à en avoir ici, c’est lui.

Sans blague. Vient-il d’ouvrir les yeux sur le sujet ? Et se comporter en moraliste quand on est mal placé pour le faire, ça c’est ironique à souhait.

Le ton a changé. La confiance qui aurait pu se tisser entre eux se déchire déjà.

Ray peine à comprendre le positionnement d’Elijah. Il semble contre la politique de la guerre. Mais trouve juste la punition des résistants. Ni avec le système, ni contre. Il ne veut simplement pas se mouiller. Dans sa position, le kiné aurait peut-être adopté la même stratégie. Même s’il se voit mal torturer qui que ce soit…

Ray regarde son vis à vis de travers, jugeur. Il fronce les sourcils quand l’autre approche. La proximité l’intimide, même s’il essaie de ravaler sa nervosité pour lui tenir tête. Il aimerait sincèrement qu’Elijah le tue. Mais il se doute qu’il ne prendrait pas la peine de l’achever.

“Qu’est-ce que tu sous-entends ?” souffle-t-il froidement. Les mots du milicien sonnent comme une provocation, et Ray ne peut s'empêcher de se dire qu’il fait référence à sa thérapie - cette vérité qui semble peu à peu perdre de son sens et lui échapper. Il soupire, comme pour se défendre, “Je n’ai jamais cherché à faire de mal à qui que ce soit.”

Ce que tu as fait, quand le prêtre était en train de décéder. La réponse est directe, dénuée de tout louvoiement: son regard reste quant à lui posé sur Ray, peu impressionné par le ton froid de ce dernier. Ou par son attitude, qui veut paraître assurée, sans l’être réellement. Qu’importe la raison, quand bien même elle soit compréhensible et justifiée, laisser sciemment une personne mourir n’a rien de moral. Il a un temps de silence. Mais comme tu le dis, personne n’en a, n’est-ce pas ? Ils l’ont tous perdue dès le début de l’apocalypse, plus ou moins. Et tu ne fais pas exception. Et dans son cas, tout jugement de sa part sur ce point est plutôt inconvenant...

Le prêtre.

Leurs regards se confrontent alors qu’Elijah déroule le fil de sa pensée. Tout le contraire de ce que ses amies lui rabâchent depuis l’incident pour tenter de le rassurer. Ray souffle du nez. Bien évidemment, il se sent insulté.

“C’était un accident. Et Sciortino n’était pas un homme de Dieu. Un imposteur, tout au plus.” Il a un sourire jaune, tremblant. “Certainement pas le seul.”

Il tourne le regard vers la grande fenêtre fissurée qui laisse passer l’air froid de l’hiver. De cet étage, on aperçoit distinctement l’église du bidonville. Ray n’y a jamais mis les pieds. Sa foi est brisée, entachée d’une haine viscérale.

“Je ne regrette pas de l’avoir laissé mourir. Juste d’avoir fini ici.” En emportant, avec lui, Tasya et Phoebe. Il tourne les yeux vers Elijah et ajoute, après un instant d’hésitation, “Tu devrais partir.” En détournant le regard vers le sol. Le kiné a conscience de décliner une aide précieuse dont il aura beaucoup de mal à se passer. “Ce n’est pas la peine de revenir.”