The Walking Dead RPG

La navigatrice accueillit la remarque de Moon avec un léger sourire. « Ne va pas me dire que tu étais incapable de tenir en place, petite, et qu’il fallait presque t’enchaîner pour ne pas te perdre de vue, je ne te croirais pas. » Elle la taquinait, même si le ton n’y était pas vraiment. Elle n’aurait pas tant de mal que ça à le croire si elle le lui affirmait, cela dit : malgré leurs caractères différents, elles étaient toutes les deux plutôt solaires – quoi que la Coréenne devait être plus sage qu’elle, probablement. « Qu’est-ce que tu ressens, quand tu es sur le terrain, à enquêter ? » Et comme faisait-elle pour ne pas avoir froid aux yeux ? Si Alice était une battante, elle fuyait malgré tout le danger, si tant est que ce soit possible. Moon elle… affrontait le danger, sans ciller. Elle était forte.

Si elle observait sa vis-à-vis, et si elle avait simplement dit ce qui lui passait par la tête, elle n’était pas aussi sûre qu’elle de ce qu’elle venait d’avancer. Est-ce qu’elle n’essayait pas de se dire ça pour se convaincre de sortir la tête hors de l’eau, plutôt que de pleurer son amie ? N’était-ce pas lui tourner le dos que de ne pas lui accorder au moins ça ? Elle essayait d’aller de l’avant, mais elle peinait à ne pas s’accuser de vouloir le faire, la plupart du temps. « J’espère que les autres se souviendront d’elle comme ça… » Et pas comme de la pile électrique agaçante qu’elle pouvait être pour la plupart d’entre eux. « Moi ? Je… Je connaissais moins bien Nova, et je ne crois pas qu’elle m’appréciait vraiment. » Elle haussa les épaules, comme indifférente : ce n’était ni la première, ni la dernière. « Mais on fonctionnait bien, ensemble. Là où elle était trop stricte, j’étais l’inverse. Mais son raisonnement implacable m’aidait à me recadrer. Et je l’aidais à voir ce qui lui échappait, en dehors de ça. » En tout cas, c’est ce qui lui venait à l’esprit.

« Et… Je l’ai rencontrée, Alaska, à Olympia. » Elle ne savait pas vraiment ce qu’ils en savaient. « Elle était perchée sur le rebord d’une fenêtre, sans garde-fou, en train d’observer les gens. N’importe qui aurait pu arriver derrière, sans raison. Et pourtant, elle semblait sereine, comme si rien ne pouvait lui arriver. Comme si le meilleur l’attendait. Et quand elle m’a vue… Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais son visage s’est illuminé, et elle m’a fait signe. » Et de là était née une amitié qui ne serait peut-être jamais égalée. La coïncidence avait voulu qu’elle se trouve dans un musée maritime, exactement ce dont Alice avait besoin. La navigatrice avait été intriguée, mais elle avait fini par ne plus se poser de questions et par accepter la jeune femme excentrique dans sa vie, comme si elle avait toujours été là.

Elle hocha la tête alors que Moon surenchérissait sur les bonbons à manger, souriant légèrement concernant les peignoirs. « On devrait chercher les plus kitsch du magasin et en prendre un pour chacun. Et la même en blanc, pour les plus rabats-joie. » Parce que derrière la blague, qui ne ferait probablement pas rire les autres, l’idée était quand même qu’ils puissent profiter de la chaleur du vêtement.

« Allons-y. On peut se mettre chacune d’un côté de l’allée, on aura un œil sur l’autre comme ça. Et nos preux chevaliers peuvent nous accompagner… jusqu’à ce qu’ils se mettent à vomir du moins. » Levant les yeux au ciel devant le majeur levé qu’ils lui adressaient, elle s’avança quoi qu’il en soit, prenant un panier pour jeter tout un tas de choses qui pourraient égayer les lieux – fausses plantes, photophores, bougies… Même si elles ne venaient pas là pour ça, ça pouvait être un plus, n’est-ce pas ? Elle refilait dans le plus grand chariot les couettes, les plaids et les coussins, à charge de Mark de les porter. « Celle-là, elle est pour toi. Ces petits robots, ce vert assorti à tes yeux, digne d’un petit garçon comme toi. » Elle n’osait pas se confronter à son regard, des fois que sa blague tombe à l’eau. Elle essayait, au moins.

Je souffle un léger rire à sa remarque. « Non en effet. L’éducation en Corée est plutôt stricte, et rares sont ceux qui dérogent à la règle… mais j’étais déjà particulièrement curieuse. » Ou avide de connaissances, ce qui revient au même. « Et j’ai toujours eu ce besoin, cette envie, d’aller au contact des gens. » Je réfléchis un instant, même si je connais déjà plus ou moins les réponses. « De l’excitation. J’adore trouver des indices, des informations, et comprendre ce qui s’est passé. J’ai envie de découvrir les secrets et de trouver les réponses. De l’enthousiasme, de la curiosité. Et il y a ce plaisir indéniable que j’ai quand je trouve quelque chose. » Je grimace un sourire. « Et cette montée d’adrénaline, qui prend presque le pas sur tout le reste, quand je me retrouve face à un danger… » Je n’irai pas me mettre volontairement en danger non plus, mais quand ça arrive, je me sens… vivante. « Ce n’est malheureusement pas ce que j’ai acquis de mieux ces dernières années. » J’ai un sourire. « Mais je crois que j’ai eu besoin, trop souvent, de me prouver que je pouvais y arriver, que j’en étais capable, que j’étais assez forte pour survivre quoi qu’il arrive… C’est devenu un peu trop… obsessionnel. En quelque sorte. » Grimaçant de nouveau, je hausse les épaules, comme pour signifier que cela n’a guère d’importance.

Et on enchaine sur le coeur du problème… Enfin, d’un des problèmes… « Nova n’était pas d’un abord facile il faut le reconnaître. » C’était même le moins que l’on puisse dire. Je l’observe alors que l’on aborde le sujet épineux. Son sujet épineux. Celui qui ll’empêche de respirer et pour lequel elle se fustige. Je ne suis pas sûre de m’y prendre correctement avec elle, mais j’essaie de lui faire prendre conscience que parler est une bonne chose, tout comme se souvenir de la personne… et dépasser la douleur engendrée par sa perte. Je souris en l’écoutant et je laisse filer quelques secondes de silence. « Les plus belles rencontres sont souvent les plus inattendues. Et parfois, il en est qui arriveront quoi qu’il arrive. Comme prédestinées ? Je crois que c’est le terme que vous utiliseriez. Peut-être vos esprits se connaissaient-ils déjà. Et si vous devez revenir… Vous réincarner… peut-être vous retrouverez-vous à nouveau. » C’est bien plus compliqué que cela, mais ce n’est pas le moment pour un cours philosophique. « C’est cette rencontre et son sourire quand elle t’a vu qui doivent t’aider à avancer. Je ne dis aucunement de tourner la page, encore moins d’oublier ce qu’elle a été et tout ce qu’elle a représenté pour toi. Mais célébrer la vie est une façon de rendre hommage aux morts, et savoir que l’on est en paix, heureux, leur permet également de trouver l’apaisement. » Et c’est bien tout ce que nous pouvons faire pour eux.

En attendant, on peut compter sur Rodney pour nous entraîner sur des sujets bien plus légers. Je pointe Alice du doigt quand elle surenchérit sur ma proposition. « C’est une excellente idée ! Je ne suis pas sûre qu’il y en ait des kitsch ici, mais si c’est le cas,  les ronchons y auront le droit. » Parce que je serais prête à payer pour voir Lennox avec un truc du genre. Pour les gamins par contre, on en trouvera peut-être des plus sympas.

J’esquisse un sourire alors qu’Alice continue de parler et de tenter de plaisanter, sourire qui s’agrandit en voyant la réponse presque simultanée des deux hommes. « Et de toute façon, j’ai l’estomac plus solide que ça. Même si je ne promets rien devant cette avalanche de couleurs. » Tout comme elle, j’attrape ce qui me semble encore en état, utile ou plus décoratif, alors que nous longeons les allées et remontons le magasin. « Le vert assorti à mes yeux hein ? Je suis blessé que tu ne me regardes pas plus souvent. Et je préfère celle avec les baleines. » « Oh, prends celle avec les baleines, elle est trop cool ! » J’en récupère une avec des chats, et continue d’entasser couettes et autres produits pouvant paraître du luxe aujourd’hui.  

« On charge tout ça et on récupère les cartons pour les meubles qu’il nous manque ? » Mark se retourne et agite le petit papier avec les places desdits meubles. La seconde suivante, après avoir tenté de s’appuyer contre un mur, il s’écroule avec, et entraîne Alice avec lui en voulant se retenir. « Mark, Alice, ça va ? » Le temps se suspend un instant, alors que le silence revient. Jusqu’à ce que ce dernier ne soit rompu par un cri. Merde. Je lâche ce que je tiens, Rodney passant déjà par le trou, et je vois des boules rouler à terre. Quoi ? Et c’est à mon tour de les rejoindre… pour me retrouver dans une piscine à boule. Super. Evidemment, on ne voit pas grand-chose. « Vous êtes là ? » J’avance à tâtons, et me fige en sentant un truc sous ma main. Je retiens de justesse un cri quand je ne me rende compte qu’il s’agit d’une espèce de poupon et non pas d’un vrai bébé. Fait chier ! Et ce cri retenu m’échappe quand une main se pose sur mon bras. « Oh putain Rodney ! Tu n’es vraiment pas drôle ! » Je lui donne un coup dans l’estomac, le repoussant, lui et son sourire hilare, pour essayer de sortir de là.

“Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde.“

Si son sourire ne montait pas jusqu’à ses yeux, il était bien présent, même léger, alors qu’elle discutait avec Moon. Elle avait toujours réussi à le faire plutôt facilement, et ça semblait encore être le cas, malgré le fait qu’Alice se soit renfermée, récemment. « J’ai toujours su que tu étais étrange. » Mais dans le bon sens. « Je comprends. En quelques sortes. Je faisais du surf, avant. C’est exactement ce que je ressentais, à l’idée de dompter une nouvelle vague, plus grande, plus dangereuse, plus sauvage. » Ca n’avait en revanche peut-être aucun sens pour Moon. « J’imagine que ça ne faisait pas parti des choses que tu avais le droit de faire, hein ? » Elle lui adressa un sourire un peu désolée, trouvant assez triste qu’elle ait subi une éducation aussi stricte. « Mais ce que tu décris, on dirait ce que je ressentais. Même si… Même si je ne pourrai pas prendre ce genre de risques maintenant. Mais tu es forte, très forte. » Il fallait de la force, et beaucoup d’inconscience, pour se confronter au danger comme elle le faisait – même si Alice n’évoquerait pas le second point.

« Pas vraiment, non. Mais elle était entière, franche, et elle ne reprochait rien qu’elle aurait fait elle-même. » Elle avait beau être trop intransigeante aux yeux d’Alice, elle ne pouvait pas l’accuser d’être fausse. Elle était intègre, avant tout le reste. Alice releva la tête, surprise, en entendant les paroles de Moon. Elle ne s’était jamais vraiment posé de telles questions. « Tu… Tu y crois vraiment ? Qu’un jour, on se retrouvera, toutes les deux, même dans une autre vie ? Qu’on est… liées ? » La pensée serait douloureuse, parce qu’elle avait l’impression de ne pas avoir eu Alaska assez longtemps dans sa vie, mais si elles se retrouvaient un jour… Alors ça adoucirait sa peine. Elle grimaça pourtant, à l’évocation du sourire d’Alaska. « On croirait entendre Roman… » Pourtant, Moon et lui étaient on ne peut plus différents. Mais ils avaient tous les deux cherché à l’aider. « J’essaye, réellement. D’avancer, de penser à elle de manière positive… Parfois, je suis triste et heureuse à la fois. » Mais jamais uniquement heureuse, quand elle pensait à son amie. Est-ce qu’elle y parviendrait, un jour ?

Elle ne put quand même pas retenir un sourire, alors que les peignoirs venaient sur le tapis. « Tu sais ce qui serait parfait ? S’il y avait un magasin de pop culture dans la galerie. Pour trouver des pyjamas de Pokémon ou quelque chose comme ça ! » Elle n’en avait jamais eu, mais elle avait toujours trouvé l’idée sympa. « Mais les plaids kitsch, ça sera déjà bien, si on trouve ! » De toute façon, les forcer à utiliser des couvertures moches pouvait marcher, les obliger à mettre des pyjamas du genre… plus compliqué. Si elle devait se forcer à continuer dans le jeu qu’elle avait lancé, défendre ses tentatives d’humour maladroite, elle pointa son doigt en direction de Mark. « Et moi, je suis choquée que tu ne reconnaisses pas mon humour à sa juste valeur ! » Bon, il y avait mieux comme humour, elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir.

Elle continuait malgré tout à avancer derrière lui, s’apprêtant à répondre à Moon, réponse qui se transforma en un cri de surprise. « Ouiiiiiiii » dont l’intensité diminuait petit à petit. Elle tenta de parler, mais elle était submergée par… des balles ? Ils étaient vraiment dans une putain de piscine à balles ? Si elle essaya de se relever, elle glissa sur le sol, criant à nouveau en sentant une main sur son épaule, puis le long de son bras. Bordel ! Elle voulait pas se faire croquer comme ça. Elle essaya de se dégager quand elle sentit la prise se raffermir, avant que Mark ne la saisisse par la taille pour l’aider à se relever. « Bordel, tu m’as fait peur ! » S’accrochant malgré tout à lui, elle murmura. « Faut qu’on trouve comment sortir. Tu sais où est le bord ? » Elle espérait que oui. « Moon ? Rodney ? » Elle s’efforçait de pas parler trop fort, juste au cas où. « Je sens un mur, là ! Aide moi ! » Elle l’aiderait en retour, et ils pourraient guider Moon et Rodney, s’ils n’en étaient pas déjà sortis.

Mon sourire vient en réponse à celui d’Alice et je lui fais un clin d’œil. Etrange n’est pas le pire  adjectif que l’on m’ait attribué. « Oui, c’est une bonne comparaison. Un peu plus de danger, une vague plus grande, un angle différent… » Je tourne la tête vers elle et hausse un sourcil. « Et au risque de te surprendre, j’ai déjà essayé et je ne me débrouillais pas trop mal. Toujours sous surveillance d’un moniteur, de la nounou ou de mon frère, mais j’ai eu le droit. Il y a quelques plages sympas pour en faire en Corée, que ce soit à Busan ou près de Seoul. Il y a des spots de plongées sympas aussi. Tu en as fait longtemps ? » Mon sourire se fait plus mince et je laisse mon regard se perdre autour de moi. « C’est de cette manière que j’ai réussi à survivre toutes ces années. J’ai appris à me débrouiller et à survivre, quoi qu’il arrive. A dépasser mes peurs et à affronter chaque obstacle. A mesurer les dangers et à prendre des risques. Je ne suis pas… Ce n’est pas uniquement de la force. Il y a une part d’inconscience, pas mal d’arrogance et énormément d’obstination. » Et ça ne m’avait pas toujours réussi. Mais j’étais en vie. Alors… Oui, je suppose que je suis forte.  

« Oui, c’est sans doute ce qui faisait qu’on s’entendait bien, sa franchise et cette… intégrité qu’elle avait. » Quand bien même suis-je bien plus volubile et à l’aise avec les gens qu’elle ne l’était. J’ai un mince sourire à ses questions. « Je pense que quand deux êtres sont liés et qu’ils n’ont pas pu arriver au bout de leur relation, quand il y a une part d’inachevé, il est possible, voire probable, qu’ils se retrouvent. Le cycle des réincarnations n’est pas aussi simple que la version que l’on entend souvent, mais je crois que les liens importants demeurent tant que l’on est prisonnier du saṃsāra. » Je grimace. « Je ferai un cours sur le bouddhisme pratiqué en Corée un jour. » Même si j’étais bien loin d’être assez calée pour pouvoir prétendre le faire. Je hausse un sourcil en la regardant. « Ah oui ? C’est donc un homme on ne peut plus sage. » Et si nous étions plusieurs à lui dire, peut-être finirait-elle par nous écouter. « Personne ne te demande d’essayer sans cesse d’être heureuse. Et il n’est pas contradictoire de ressentir ces deux émotions en même temps. Le deuil est un processus complexe et propre à chacun. Chaque étape est importante, et il te faut prendre le temps nécessaire pour chacune. C’est de se laisser dévorer par la tristesse et la culpabilité qui serait dangereux. » Plein de jolies paroles bien plus facile à dire qu’à appliquer. Mais ce n’est pas comme si je pouvais faire grand-chose de plus.

J’entends déjà les autres soupirer en levant les yeux au ciel. « Vendu ! On ira faire un tour rapide dans la galerie après. » J’ai un grand sourire. « Et si on ne trouve pas ça ici, on cherchera ailleurs une autre fois. » Non parce que maintenant qu’on en a parlé, j’ai l’idée en tête, alors j’en trouverai. Et si nous restons tous les quatre attentifs à ce qui nous entoure, cette petite parenthèse réussi malgré tout à alléger l’athmosphère et à faire sourire tout le monde. Même si elle se force, quelques sourires sincères semblent éclairer le visage d’Alice, que Rodney comme Mark  se plaisent à taquiner.

Jusqu’à ce que ce soit le drame. Drame étant un bien grand mot en vérité au final. Je me retrouve dans la piscine à boules, pestant contre moi-même de les avoir suivis alors qu’ils ne craignaient au final aucun danger. Théoriquement… sans compter sur l’humour immature de certains d’entre nous. Comme si ce genre de trucs n’était pas assez glauque sans en rajouter. A tout moment, je m’attends à réellement me faire attraper la jambe par un enfant oublié-là il y a sept ans de cela… « ça va, même si vais tenter de noyer Rodney avant de sortir de là. » Je lui lance quelques boules dessus pour le principe, avant de me frayer un chemin à travers la mer en plastique.« Hé! » « C’est fou comme ça résiste au temps ces trucs. » « Attends-moi. » « T’as peur qu’un gremlins te saute dessus ? » « Ahah… » Je l’entends néanmoins qui accélère, ce qui me fait sourire alors que je sens le mur en tendant la main. Je sursaute en voyant une main se tendre vers moi, avant de reconnaître Mark à contre-jour.  Un soupir et j’attrape sa main, sortant sans difficulté de ce terrible piège. Rodney me suit de près et j’ai un sourire soulagé en voyant Alice. « Vaut mieux éviter de s’appuyer sur certains murs. » Mark a un sourire contrit et j’acquiesce d’un signe de tête, tout en ramassant ce que j’avais précipitemment lâché.« Tant d’aventures à conter… Tout le monde va bien ? On arrête les conneries ? On peut y aller ? »

“Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde.“

La surfeuse ne put cacher sa surprise, à l’idée que Moon en ait fait aussi, la laissant poursuivre, attendant le moment où elle allait lui dire que c’était une plaisanterie. Moment qui ne vint pas, alors qu’elle enchaînait sur les spots de plongée. « Il faut qu’on trouve des planches et des combinaisons. » L’endroit où en faire ne manquerait probablement pas. « Toute ma vie, je pense. » Jusqu’à l’apocalypse, du moins. Elle avait commencé très jeune, après tout. Elle l’écoutait attentivement, alors qu’elle se confiait. Elles parlaient souvent, toutes les deux, mais les disparitions de Nova et Alaska semblaient avoir donné un autre tournant à leurs discussions. « Eh bien, sache que je suis impressionnée. Mais je peux te le dire, quand tu agis de manière inconsciente, si tu veux. » Car elle était bien plus sage qu’avant, pour sa part.

Si elle retenait tout ce que Moon lui disait, si elle espérait sincèrement que ça soit vrai, elle se contenta de hocher la tête, même si elle ne savait pas ce qu’était le saṃsāra. Même si elle ne savait pas si elle y croyait réellement. « Va pour le cours ! » Pour l’instant, elle devait décider d’accepter ou non cette idée. Elle ne put s’empêcher de sourire, alors qu’elle rebondissait à sa remarque sur Roman. « Tu devrais le lui dire, il apprécierait. » Sincèrement – il avait tellement l’habitude d’être rabaissé, par rapport à sa fratrie. Quelque chose qu’Alice comprenait, et ce à quoi elle pouvait compatir. « Je… Oui, tu as sûrement raison. J’aurai voulu la protéger. » Quand bien même c’était impossible.

Elle s’efforçait tout de même de ne pas laisser ses émotions négatives peser sur le reste du groupe – quitte à devoir broyer du noir dans son coin et s’isoler des autres. Elle faisait un effort, quand elle était en leur compagnie. Comme à l’instant, à rentrer dans le jeu des plaids et des pyjamas kitsch. « Marché conclu. » Qu’importe que Rodney et Mark soient sûrement mécontents à cette idée. Quoi que… Ils voudraient sûrement leur pyjama combinaison, non ? Si elle s’inquiéta dans un premier temps, s’agaçant même sur Mark qui ne l’aidait pas assez vite à son goût, elle se mit à rire malgré elle. « Les autres vont se foutre de nous. » Et, bizarrement, ça ne la dérangeait pas. Si elle ne craignait pas ce qui se cachait dans la piscine à balles, elle aurait sûrement essayé d’y nager et d’y noyer les autres. Mais elle finit par s’en extirper avec l’aide de Mark, avant qu’ils n’aillent aider les autres. « Allons-y, oui. » Après tout, ils avaient encore beaucoup à récupérer. Et il leur fallait rentrer avec, après.

Je vois bien qu’elle est surprise, mais je ne vais pas m’en formaliser, surtout après m’être confié au sujet de l’éducation stricte et rigoureuse qui fut la mienne. Mes parents en demandaient beaucoup, comme tous les parents coréens, peut-être davantage encore pour ancrer leur supériorité. Mais ils savaient aussi que les efforts méritaient d’être récompensés, et peut-être craignaient-ils de nous perdre en nous en demandant trop, sans nous offrir parfois de quoi souffler. C’était sans aucun doute l’un d’un des innombrables avantages d’être née au sein d’une famille fortunée, de pouvoir ainsi tous partir en vacances chaque été. Malgré tout, je dois être loin, très loin, du niveau de la jeune femme qui me fait face et son enthousiasme me fait rire. « Tu risques d’être déçue de ma performance. Mais ça peut être amusant. » De quoi se noyer dans les eaux glaciales du Pacifique. Comment ne pas être partante ? Et j’aime bien passer du temps avec Alice, elle a tout le temps des anecdotes à raconter ou des choses à m’apprendre, sur la navigation ou autre… Même si, actuellement, elle a surtout besoin d’attention et d’écoute. Je souris, rougissant légèrement. « Merci. Et tu peux essayer, ça marchera peut-être mieux si quelqu’un d’autre me le dis. » Car j’ai beau le savoir, ça ne suffit pas toujours à m’empêcher d’agir.

Je crois que ma tentative pour la consoler, la rassurer, fonctionne un peu. Suffisamment pour lui remonter le moral, ne serait-ce que momentanément. Et peut-être réfléchira-t-elle à notre conversation à tête reposée. Je lui souris en retour, notant dans un coin de mon esprit de rendre ce qui est autant une croyance religieuse qu’une philosophie aussi claire que possible pour des athées. « Je lui dirais. » Même si je ne vois pas en quoi mon opinion pourrait avoir une quelconque importance à ses yeux. « Je sais. Et elle le savait aussi, c’était sans doute son cas à elle aussi. Protège vos souvenirs et sa mémoire, et ne te laisse pas ronger par le reste. »

Ce qui est plus facile à dire qu’à faire, je le sais bien. Mais j’espère pouvoir l’aider, au moins un peu, et puis, à force, elle ne peut que se rendre compte qu’elle n’est pas seule quoi qu’il arrive. Que ce soit les échanges avec Roman et moi, ou les échanges taquins et superficiels avec Mark et Rodney, elle est bien entourée… On est bien entourées. Mon rire se joint au sien et je secoue la tête alors qu’on finit tous par sortir de la piscine. « Sauf si on ne leur dit pas. Et puis surtout, on les obligera à mettre les pyjamas kitsch qu’on va aller chercher de suite. » Je pointe les deux hommes du doigt. « Et ça vaut pour vous aussi. » « Même pas en rêve ! » Je souris et récupère les derniers objets à terre, suivant les autres pour le reste de nos emplettes. On s’en sort plutôt bien dans cette excursion, même si ça ne se fait pas sans quelques surprises. Au final, ça crée de bons souvenirs à chérir.

“Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde.“