The Walking Dead RPG

« La prochaine à droite. » Je vérifie dans le rétroviseur que les autres nous suivent bien, et je pointe du doigt l’énorme bâtiment qui vient d’apparaître au coin. Au cas où Mark ne l’aurait pas vu. Je me redresse un peu alors qu’il ralentit, tachant de voir ce qui peut se cacher sur le parking et aux alentours, mais il n’y a pas l’air d’avoir tant de morts que ça vu la zone énorme. De nombreuses barricades qui semblent dater, d’innombrable voitures abandonnées, détruites, ou ce qu’il en reste, et un bric-à-brac de tout et n’importe quoi. « Vous voyez quelque chose ? » Par là, j’entends des traces de vie, de pillards ou autres dangers plus incontrôlables que quelques rodeurs. Vu d’ici, il n’a pas l’air d’y avoir de morts récents, ni de cadavres fraîchement tués. S’il y a des survivants, ils se font discrets.

« On va direct en zone de chargement, tous les meubles sont près des caisses de toute façon. » Je hoche la tête en notant les sorties possibles en cas de problèmes. « Il devrait encore y avoir des matelas, couvertures et tout à l’étage, on devrait en profiter. » Vu qu’on a le 4x4 et le pick-up, on devrait avoir la place. « Tu sais qu’on va plus se perdre à l’intérieur qu’en voulant repartir. » J’ai un sourire, avant de hocher la tête. « J’ai toujours rêvé de faire une partie de cache-cache là-dedans, c’est l’occasion où jamais. » Il esquisse un sourire et regarde l’autre voiture. « On reste groupés. » Ce n’est pas vraiment une question. Quel rabat-joie.

On a de la chance, les plots qui barraient l’accès à la zone sont déjà démolis, même si la zone est du coup elle aussi remplie de pseudo-barricades. Je descends pour commencer à pousser quelques trucs, pour permettre aux deux véhicules de se garer, non sans jeter un coup d’œil à l’intérieur du magasin. Evidemment, il y en a déjà qui se ramènent, dehors comme dedans.

Je vais récupérer mon sac, quand bien même ne devrais-je pas en avoir besoin, ainsi que ma batte. On ne sait jamais qu’on se retrouve coincés ou séparés, j’ai de quoi m’en sortir le temps de retrouver ma route. Vérifiant que mon couteau est à portée de main, je me tourne vers les autres. « On commence par les meubles. Je passe devant, Mark et Rodney à l’arrière… Si Rodney est capable de se tenir et de ne rien faire de stupide. » « Hé, je fais jamais rien de stupide !... Me regardez pas comme ça ! » « On se garde en visuel quoi qu’il arrive. »

Je jette un coup d’œil à Alice. Depuis qu’on a perdu Alaska et Nova, elle est… un peu à l’ouest je dirais. « On y va ? » Peut-être que Rodney a raison, et que ce n’est pas lui que je vais devoir avoir le plus à l’œil après tout. J’inspire en fixant ce qu’il reste de la porte vitrée de l’énorme magasin. C’est vraiment une idée idiote. Ce qui explique sans doute que j’ai tellement hâte d’y entrer.

“Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde.“

Rodney au volant, Alice avait à peine suivi des yeux le trajet, bien qu’elle ait prétendu le faire. Elle n’avait pas le cœur à parler, surtout en tête à tête, et si elle marmonnait quelques onomatopées à ce qu’il lui disait, il cessa bien rapidement de parler. Elle aurait, auparavant, probablement babillé, évoquant les coussins et autres éléments de confort et de décorations qu’ils pourraient trouver dans le magasin d’ameublement, mais elle n’était pas du tout engageante, actuellement. Elle s’était refermée comme une huître, et peinait à dépasser l’apathie qui l’avait prise. Même si son air morose ne faisait du bien à personne, et surtout pas à elle-même. Elle n’était pas capable de sortir de l’état dans lequel la mort d’Alaska et Nova l’avaient plongée. Elle aurait voulu aller voir les coupables, participer à la mission de récupération de Peter, mais elle n’en avait pas eu l’opportunité et, même si elle refusait de la reconnaître, elle savait que c’était pour le mieux. Mais elle n’avait malgré tout pas fait son deuil, pas pu passer outre. Tapotant nerveusement sur sa cuisse, elle n’avait qu’une hâte : que le trajet se finisse. Elle sentait les regards fréquents de Rodney vers elle, comme s’il craignait qu’elle… quoi ? Qu’elle explose ? Qu’elle ouvre la portière et se mette subitement à courir ? Qu’elle fonde en sanglots ? Elle avait suffisamment pleuré, et elle n’avait nulle part où aller.

Sitôt qu’il fut garé, elle sauta hors de la voiture, écoutant d’une oreille distraite leurs paroles. «  On a besoin de planches et de cordes. Pour le ponton. » Peut-être que Lennox le leur avait déjà dit, mais elles étaient endommagées, et plusieurs avaient failli céder alors qu’ils marchaient à peine dessus. « Qu’on ne perde pas notre voilier... » Elle avait dit ça d’un ton plat, comme si ça l’indifférait, alors qu’auparavant, elle y prêtait attention et était peut-être même un peu pénible à exiger qu’ils fassent attention.

Sans attendre leur réponse, elle se dirigea vers les caddies et fracassa les chaînes avec la crosse de son fusil-harpon, sans succès, hormis un certain fracas métallique. « On devrait avancer, si des rôdeurs se ramènent. » Au mieux, ils auraient le champ libre pour visiter le magasin. Au pire, ils pourraient les tuer un à un. Plaçant la flèche sur le fusil, elle s’avança d’un pas rapide vers l’entrée. Ils la suivraient.

Je retiens un soupir alors que mon regard passe de l’un à l’autre. L’équipe de choc. Heureusement que Mark tient la route. Rodney aussi pour être franche, c’est simplement qu’il semble ne jamais rien prendre au sérieux. Je sais que j’ai également tendance, parfois, à essayer de plaisanter pour dédramatiser des situations, mais lui est au niveau au-dessus. Mais on peut compter sur lui. Comme sur Alice en temps normal. Sauf que la situation actuelle est tout sauf normale. Les blessures et les morts sont bien trop récentes, les peines sont bien trop lourdes encore pour pouvoir faire semblant de l’ignorer.

Ces morts sont difficiles à accepter. C’est le cas à chaque fois certes, mais dans les cas présents, ne pas avoir pu les voir, rend les choses plus difficiles et plus irréelles à la fois. Paradoxalement, on sait bien que chaque sortie peut être la dernière, on vit constamment avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Mais si j’arrive à encaisser leurs morts, ce n’est clairement pas le cas d’Alice. En même temps, elle et Alaska étaient plus proches que je ne pouvais l’être d’elles, même de Nova. Chacun a sa période de deuil et sa façon d’appréhender et d’accepter les disparitions. Du temps, de la patience et du soutien, c’est tout ce que nous pouvons lui apporter.
Sauf que cela la met en danger. Nous met potentiellement en danger par conséquent.

« Le ponton n’est pas déjà réparé ? » Peut-être pas entièrement, même s’il m’avait semblé que si. Lennox m’avait dit qu’ils l’avaient remis en état ensemble d’ailleurs, Alice et lui, non ? Et je ne suis pas certaine que l’on trouve de tels matériaux dans ce magasin qui plus est. « On verra ce qu’on peut faire. On ne perdra pas le voilier ne t’en fais pas. »

Un regard aux autres alors qu’elle s’éloigne un peu, et je hoche la tête. Oui, je vais garder un œil sur elle. « Faites attention derrière. » Je la rejoins rapidement, mon arme à la main, et me glisse à ses côtés en silence. J’entends bien des râles, mais je m’attendais à ce qu’il y en ait bien plus. Sans doute la plupart des morts ont-ils pu sortir. Tant mieux pour nous.

Je lance un regard à Alice en murmurant. « Je sais que je suis sans doute une des dernières à qui tu voudrais en parler, mais je sais écouter et je garde plutôt bien les secrets quand il faut. » J’esquisse un mince sourire à son intention, avant que mon attention soit détournée en entendant des grognements. Sans vouloir déjà allumer ma lampe torche, j’avance un peu, m’écartant de quelques pas sur la gauche. J’aperçois une silhouette entre les caisses, mais je n’arrive pas à avoir suffisamment de place pour lui asséner un coup. Je recule pour ne pas qu’il m’attrape, avant de laisser un juron en coréen, donnant un coup de pied quand celui au sol essaie de m’attraper. Je grimpe sur le tapis d’une caisse pour avancer. « Il y en a au sol, faites gaffe. »

Spoiler:

“Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde.“

La blonde fronça les sourcils, alors que Moon rebondissait sur le ponton. Il l’était ? Elle était persuadée qu’ils n’avaient pas fini de le consolider, mais elle la faisait douter, soudainement. « Je ne croyais pas... » Elle irait vérifier, à leur retour. Au pire, ça ne serait jamais perdu, si elles trouvaient des planches et des cordes. Acquiesçant, elle s’éclipsa rapidement pour essayer d’aller chercher un chariot, sans grand succès, alors que Moon se rapprochait d’elle. Elle ne s’attendait pas du tout à la remarque qu’elle venait de lui faire. Elle s’était un peu éloignée d’elle, dernièrement – de tout le monde, à vrai dire – mais elle l’appréciait malgré tout. Plus que les autres, probablement, au final. Ou, du moins, elles s’étaient entendues plus vite qu’Alice n’avait pu le faire avec les autres, à qui il avait fallu du temps pour digérer les circonstances de leur rencontre.

« Je… Ce n’est pas que je ne veux pas en parler, mais est-ce qu’il y a vraiment quelque chose à dire ? » Ses yeux cernés, rougis par les crises de larmes inexplicables auxquelles elle succombait parfois, parlaient pour elle. Elle ne voulait pas la repousser, mais elle était sceptique quant à sa nécessité de dire qu’Alaska lui manquait, de parler de la plaie béante qu’elle avait laissée. Peut-être qu’elle avait tort, peut-être qu’elle avait besoin de ça pour avancer. Parler d’elle à Roman, sans forcément évoquer sa mort, lui avait fait du bien. Mais elle ne savait pas bien quoi dire. Moon connaissait Alaska, elle pourrait partager ses propres souvenirs d’elle avec Alice, contrairement à l’ancien mafieux. Est-ce que ça l’apaiserait, d’entendre quelqu’un d’autre se confier ? La navigatrice n’en savait rien. « Tu voudrais en parler ? » Plus de Nova, peut-être. La journaliste saisirait-elle l’occasion de se remémorer les deux femmes ?

Alice avait embrayé le pas à la Coréenne, entrant cette fois définitivement dans le magasin. Tout semblait sombre, et les quelques râles audibles ne lui semblaient pas si menaçants que ça. Malgré le côté labyrinthique des lieux. Si elles avançaient progressivement, tout devrait bien se passer. Mais si elle avait armé son fusil-harpon et qu’elle essaya de tirer en voyant Moon escalader un tapis roulant, elle vit ses flèches se figer dans des coussins multicolores remplis de sable, qui se déversa sur le sol et sur quelques uns des rôdeurs présents. « Bordel ! » La pénombre n’aidait pas, mais elle maniait normalement bien mieux son arme. Elle sursauta, sentant une main dans son dos alors que Rodney l’écartait. « Eh ben, vous pouvez plus vous passer de nous ? » La navigatrice lui adressa un regard à mi-chemin entre la colère et la peur, ne ressemblant pas à grand-chose, alors qu’il achevait deux des rôdeurs devant elles. Une petite partie de ceux présents, si elle en croyait les râles qui continuaient à se faire entendre.

Un infime pincement des lèvres qu’un sourire vient rapidement remplacer. « Il n’est peut-être pas totalement réparé, j’ai peut-être mal compris. Lennox m’a expliqué, mais je n’y connais rien. » Un haussement d’épaules pour signifier que cela n’a guère d’importance. Quand bien même suis-je sûre de ce que Lennox m’a dit concernant le travail qu’ils avaient accompli tous les deux sur le ponton et dans le lac. Et si cela peut l’occuper et lui changer les idées ma foi, pourquoi l’embêter ?

Je ne suis pas certaine de pouvoir faire grand-chose de plus pour l’aider, si ce n’est peut-être lui rappeler qu’elle n’est pas seule et qu’elle peut se reposer sur nous. Je ne suis pas forcément la mieux placée pour ça, alors que je suis la plus solitaire du lot. Ou étais ? Hum. J’y réfléchirai plus tard. Mais écouter les gens et me souvenir de leurs histoires est ce que j’ai fait durant ces dernières années, je crois être plutôt douée pour ça.

« Il y a toujours des choses à dire sur les disparus. Ce qu’ils ont fait de grand, de banal, de beau, d’intéressant. Ce qu’ils aimaient, ce qui les faisaient vibrer. Ce qu’on aimait chez eux et ce qu’ils aimaient chez nous. Ce qu’on voyait chez eux que les autres ne voyaient pas. » J’ai un mince sourire. « Il y a toujours beaucoup de choses à dire. Et en général, cela fait du bien, de se souvenir. » Je marque un silence avant de reprendre. « Nova était l’une des personnes les plus coriaces que j’ai croisé. Et j’ai croisé beaucoup, vraiment beaucoup, de personnes d’origines différentes. » Je lui jette un coup d’œil. « Et Alaska était une licorne. Je dois t’avouer que je n’ai jamais compris comment des personnes aussi candides et… gentilles pouvaient exister. Même avant la fin du monde. » Il n’y a pas de jugement dans mes mots, c’est un simple constat.

Tout en parlant, nous sommes entrées dans le magasin, suivies des deux hommes, et nous tombons un peu trop rapidement, et maladroitement, sur des morts. L’espace réduit entre les caisses et la pénombre ne sont pas vraiment des alliés de qualité. J’échappe de peu à l’un d’eux, et c’est Mark qui me rejoint, plantant son couteau dans le crâne du mort à terre. « Il suffit de demander. » Je secoue la tête, un mince sourire reconnaissant aux lèvres, alors que Rodney joue au chevalier blanc de son côté avec Alice. J’avance sur le tapis, abattant ma batte sur l’un de ceux arrivant vers nous. Evidemment, je vise trop haut et ma batte passe au-dessus de sa tête. Je saute à terre et recommence, l’atteignant sans mal cette fois-ci. Il s’écroule et je jette un coup d’œil aux autres pour être sûre qu’ils s’en sortent.

Et si durant une seconde, tout semble aller bien, j’ai ‘impression de me retrouver dans un gag l’instant d’après. Mark est aux prises avec un des morts et se retrouve au sol, le mort lui tombant dessus. Dans le même temps, Rodney continue son cinéma, parvient à en tuer deux à la suite sans mal, mais il glisse sur je ne sais quoi et tombe au sol, un mort lui agrippant la jambe. « Ils sont beaux nos sauveurs. » Je rejoins Mark, qui n’a au final guère besoin d’aide, pour repousser le corps sans vie sous lequel il est coincé. « Qui ne peut plus se passer de qui ? » Un coup d’œil à Alice, la laissant sauver l’homme à son tour.

“Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde.“

La navigatrice avait fini par hausser les épaules, à la dernière mention du pont. Elle n’aurait pas été surprise que, dans l’état second dans lequel elle se trouvait bien souvent ces derniers temps, elle n’y ait pas prêté attention. Même si l’idée la dérangeait un peu, ça n’aurait rien de dramatique. Elle avait été beaucoup plus surprise – et plus tendue, plus attentive aussi – quand Moon avait évoqué le fait d’en parler. Elle n’avait pas le moindre doute concernant le sujet qu’elle voulait aborder, mais elle aurait peut-être pu s’en sortir avec une plaisanterie sur les confidences que la Coréenne voudrait lui faire. Sauf que ni l’esprit ni le cœur n’y était, et elle n’avait pu s’empêcher de répondre de manière bien trop terre à terre.

Elle écoutait en tout cas attentivement Moon, alors qu’elle faisait une sorte de… plaidoirie, sur les bienfaits de ne pas enterrer profondément les souvenirs que l’on avait des gens. Dans un rictus à moitié convaincant, elle l’interrompit brièvement dans son grand discours, essayant de faire de l’humour : « C’est avocate que tu aurais dû faire. Même si ton travail était tout aussi important, il suffit que tu te mettes à parler pour que tu attires l’attention et donnes envie de t’écouter – et d’adhérer à ce que tu dis. » C’était, et Alice espérait que Moon le comprenne, un compliment. Même si ça pouvait être à double tranchant. « Nova était… Je ne sais pas. Implacable ? Elle semblait sans peur. » Ce qui était impossible, bien sûr. « Déterminée. Valeureuse. » Alice l’appréciait, même si la réciproque n’était pas vrai et qu’une parole en trop causait souvent des étincelles.

Fermant les yeux, déglutissant, elle reprit la parole après avoir pris une longue inspiration. « Alaska était peut-être un peu licorne mais surtout un phénix. Malgré tout ce qui se présentait à elle, elle représentait un espoir inextinguible, ou peut-être n’était-ce le cas que pour Alice, et une lumière pour nous éclairer dans la noirceur et nous inciter à avancer en toute confiance. » Un peu comme elle même, peut-être, même si parfois – souvent – elle brillait trop intensément, aveuglait et agaçait ses compagnons d’infortune. Alaska comme elle. Ce pensée lui réchauffa un peu le cœur, malgré elle. Moon avait peut-être raison, au final. « Si tu devais citer une chose que tu n’oublierais pas, sur l’une ou l’autre, ce serait quoi ? »

Peut-être aurait-elle dû se concentrer sur leur environnement, alors que Rodney l’éloignait d’un geste assuré, abattant sans hésiter les deux rôdeurs qui lui échappaient. Grimaçant, elle lui fit un signe de tête en guise de remerciement, avant d’esquisser un sourire dépourvu de chaleur. « Moi qui pensais que tu t’étais planqué dans la piscine à balles… » Ça pouvait peut-être faire des redoutables projectiles, remarque. Même si elles devaient être incroyablement légères. Faisant mine d’être vexé, l’homme avait déclaré libérer le passage – sans compter sur le rôdeur qui avait profité de sa chute et le maintenait au sol. D’un geste rapide, elle lui planta son couteau de survie dans le crâne, libérant Rodney, fronçant les sourcils en remarquant une tâche rougeâtre dans la pénombre. Du sang ? Plissant les yeux, elle en approcha ses doigts, remarquant un emballage. « Tu plaisantes ? Tu as piqué des bonbons ? Tu sais que ça va te rendre malade ? » Lui tendant la main, elle l’aida malgré tout à se relever, avant de lui fourguer le premier objet qu’elle trouvait dans la main, avec un sac de courses. « Tiens, si tu veux un souvenir, ramène plutôt ça, et arrête de manger des bonbons périmés. » Si elle l’entendit rouspéter, elle l’ignora, poursuivant vers ce qui semblait être l’espace salle de bains. « A moins de trouver des peignoirs, on peut tracer… »

Je suis bien placée pour savoir ce que ressentent, et à quoi ressemblent, les personnes ayant perdues des proches. J’ai passé ces dernières années à sillonner les routes, parfois en compagnie d’inconnus qui me confiaient leur histoire et pleuraient leur mort. Je devrais sans doute me compter parmi ces personnes, mais je me suis rendue compte que la recherche de la vérité ne primait finalement pas toujours à mes yeux, étant donné que j’ai toujours refusé de m’appesantir à ce qu’il avait pu se passer chez moi, et que je refuse donc d’envisager les conséquences.

Un sourire amusé étire mes lèvres. « J’aime beaucoup trop être sur le terrain pour farfouiller et parler aux gens, jamais je n’aurais pu rester enfermée dans un bureau à examiner des dossiers. » Je lui jette un coup d’œil. « Mais merci, c’est un joli compliment. » Je retrouve le silence quand elle reprend la parole, commençant par parler de Nova, rebondissant sur mes propres paroles. « Oui, ce sont des adjectifs qui lui convenaient bien. » Elle était courageuse et têtue, c’est le moins que l’on puisse dire.

Quant à Alaska… Je la laisse continuer, à son rythme, un infime sourire indiquant que je lui prête attention. « C’est une très belle façon de se souvenir d’elle. Elle était parfois trop joyeuse, trop innocente, trop rayonnante… Mais tu as raison, il faut des gens comme elle, pour éviter que l’on ne se fasse dévorer par l’obscurité. C’était une lumière. » Je lui adresse un léger sourire, avant de hausser les sourcils. « Une seule chose ? » Difficile à dire comme ça. « Une sensation de sécurité. Avec Nova. Elle était tellement sûre d’elle, tellement forte que… Je ne m’inquiétais pas quand elle était là, je savais qu’elle protégeait mes arrières. C’était un roc. » J’ai un sourire amusé. « Ça et la tonne de sucre qu’elle mettait dans son café, ça ne collait pas du tout avec son image de gros dur. » Je secoue la tête. « Alaska… C’était le contraire, elle était totalement inconsciente des dangers… Son insupportable optimiste, qui était aussi éreintant que bienvenu. C’est ça que je n‘oublierais pas. »  J’ai un sourire en y repensant. « Et toi ? »

Mais rapidement, même ces sujets deviennent secondaires alors que nous rencontrons quelques rodeurs perdus dans le magasin. Rodney et Mark viennent nous prêter mains fortes, et nous parvenons sans trop de mal à nous en débarrasser rapidement, même si cela ne se fait pas sans quelques péripéties. Mais tout va bien, c’est le principal. Vu que l’on vient d’entrer dans le magasin, le contraire aurait été un peu contrariant. Mais il en est certains qui aiment se frotter au danger, comme si les morts ne suffisaient pas. Et si je dois reconnaître que c’est un peu mon cas, je ne m’y risquerais pas avec de la nourriture. Je fixe Rodney d’un air sceptique. « Vraiment ? » « Oh ça va, c’est bourré de produits chimiques, ça se périme pas ces trucs ! » J’échange un regard avec les autres, et secoue la tête sans cacher ma consternation. « Tout le monde finit par mourir un jour de quelque chose. » Je hausse les épaules et suis Alice plus loin dans le magasin. « C’est super cool les peignoirs, surtout en hiver. Et ça donne grave un genre, tu devrais en prendre un pour Taylor aussi. »


Je désigne l’espace suivant. « L’espace chambre, on trouvera les couvertures et coussins ici. Faudra passer par le hangar pour trouver les cartons de meubles. On fera ça en dernier. » Je leur jette un coup d’œil. « L’espace enfant doit être juste après, j’aimerais y faire un tour. On pourrait trouver des lampes de chevet et des peluches, peut-être des jouets. » On y est, autant en profiter non ? Vu qu’on arrive à trouver ce qui nous faut assez rapidement, on devrait pouvoir charger rapidement les véhicules.

“Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde.“