The Walking Dead RPG

Le père de Lukas ? « C’est pas le tien ? Tu es… sa demi-sœur, peut-être ? » Je n’avais pas les détails. Ce n’était peut-être pas si important. A mes yeux, la notion de famille avait déjà pas mal évolué. Il s’agissait parfois juste de personnes qu’on considérait comme tel, parce qu’on avait l’impression d’avoir vécu toute une vie avec eux, au travers des épreuves traversées depuis la pandémie. « Tu as perdu Lukas de vue quand vous deviez fuir Seattle à cause de New Eden ? » Je devais lui paraître un peu bête à lui poser toutes ces questions, mais elle n’était pas franchement claire en vérité.

« Euh… ouais. » Est-ce que j’étais vraiment pote avec Johanna ? On avait le même objectif, mais elle n’était pas si facile à vivre. « Plus avec Abi. » Je me frottai l’arrière de la tête, un peu gêné. « Non je la connais depuis le motel… » Il allait vraiment falloir que je raconte encore cette histoire ? La honte. « Je voulais la sortir de là pour qu’elle se prostitue pas… et l’emmener chez nous. » A l’époque, Ruben et moi étions vraiment crédules.

J’eus une moue légèrement ennuyée sans rien dire de plus. J’aurais dû me douter qu’elle me demanderait, à l’image de son frère, pourquoi je n’étais pas chez moi. « C’est compliqué… je cherche ceux qui s’en sont pris à ma sœur et ça me demande du temps. Je peux pas rentrer sans ça, parce que je suis parti de ma propre initiative alors… j’ai aucune idée de si on me laissera ressortir si je me pointe à nouveau là-bas avant. » Je ne voulais pas lui en dire plus que ce qu’elle avait besoin de savoir, par mesure de sécurité. Si on l’interrogeait sur les Scarecrows, mieux valait qu’elle n’en sache pas trop.

Et si Jodie avait l’air d’être plutôt du genre farouche, elle ressemblait subitement à une gosse émerveillée à l’idée de pouvoir monter sur un cheval. « Jamais ? » Je le répétai, surpris. « Je veux dire... Jamais, jamais ? » J’avais tellement de mal à imaginer qu’on ne puisse jamais être monté à cheval ! Je le faisais avec mon père avant même de savoir marcher. « J’ai fini mon sac, mais je les attendais pour repartir… et ça permettra à Anoki de se dégourdir un peu les pattes ! Tu viens ? » J’accrochai mon arbalète à mon dos, vérifiant rapidement que mon couteau était à sa place. Je pris le strict nécessaire pour quelques heures de promenade à dos de cheval, soit juste une gourde d’eau et du nécessaire basique.

Je descendis ensuite par l’échelle au rez-de-chaussée pour rejoindre le box improvisé pour Anoki lors de cette semaine de pause. « Tu veux t’occuper de lui ? » Si elle était comme son frère, j’étais certain qu’elle en mourrait d’envie. Je lui montrai les brosses à utiliser. « Celle-là, tu fais des cercles avec sur les zones charnues, et ensuite tu passes celle-ci un peu partout. Je te montre après pour les pieds ! » J’étais beaucoup trop enthousiaste à partager ma passion, comme d’habitude. Puis elle devait avoir l’âge d’Isa’, même si la ressemblance s’arrêtait à sa chevelure sombre. Niveau caractère, ce n’était pas trop la même.

« J’suis sa sœur. » J’fronce les sourcils avant de soupirer. « On a pas le même père. Le mien a essayé de m’bouffer au tout début, et d’puis, c’est Egon, son vieux, qui s’occupe de nous. » J’le dis ptet avec trop de détachement pour que ça soit pas louche... Tant pis. Je le fixe. « C’est mon p’tit frère. » Et y a rien qui changera ça. J’ronchonne, plus piteuse qu’autre chose. « Ouais. On était pas au même endroit, j’étais avec le vieux, on a pas eu l’temps de le retrouver qu’ils étaient déjà partout. Il s’est retrouvé tout seul et… ça a été compliqué, pour lui. » Parce que je l’avais pas retrouvé à temps. J’sais bien que j’suis pas responsable, mais j’ai quand même promis de toujours veiller sur lui.

J’esquisse un sourire, de ceux un peu gêné et incertain. « Ouais, Mary est plus facile à… apprécier. » Sans parler qu’elle est pas psychopathe comme sa frangine. Mais je buggue un peu sur la suite. Whaou, je m’attendais pas à ça. Le motel ? Mary ? Mais attends… quoi ? « T’es allé au motel ? » Ouais, c’est une question importante. Les mecs sont vraiment tous les mêmes… Eurk. « Mais euh… Mary y bossait pas. » Si ? Putain, j’en sais rien en fait. Lukas le sait ? Mais c’est une gamine, ce serait plus que carrément glauque. Ouais, ce s’rait pas la première, ce s’ra pas la dernière. C’est trop dégueu.

Je le fixe alors qu’il s’explique un peu. « Je vois. » J’ai une hésitation. « Elle est toujours en vie ? Ta sœur ? » Je hausse une épaule. « Mais j’comprends pourquoi tu… fais ce que tu fais, et pourquoi tu rentres pas du coup. Les autres t’aident pas ? J’croyais que vous étiez un groupe solidaire et tout… » Comme quoi, les groupes c’est de la merde, j’l’ai toujours dit.

J’fronce les sourcils quand il reprend, me renfrognant malgré moi. « Jamais jamais ! C’est bon, c’pas un drame ! On a pas tous la chance d’avoir eu un cheval et des parents qui t’apprennent. On a pas tous eu une vie trop cool avant tout ça. » Non mais sérieux c’est quoi son problème ? Même moi j’suis pas aussi vexante avec ceux qui savent pas faire du patin ou du roller, alors que bordel, c’est sacrément plus facile et accessible. Connard arrogant. J’le fixe, butée, parce que bon quand même, j’ai un peu envie d’aller l’voir son cheval. Et de monter d’ssus pourquoi pas. Fait chier. « J’te suis. » Je laisse deux mots sur une feuille pour prévenir les autres s’ils rentrent avant, et j’récupère mes armes et mon sac.

J’descends après lui et j’reste un peu en retrait quand il s’approche de son animal. « Oh euh… Il a essayé de me manger quand j’ai voulu approcher tout à l’heure. » Bien sur que non, il a pas vraiment voulu me bouffer, mais il était un peu trop agité quoi. J’m’approche lentement après avoir pris la brosse qu’il m’a indiquée. « Anoki hein ? » Je commence à l’brosser sur les flancs et la croupe. « Ça a une signification ? » Je tends la main vers son museau alors qu’il tourne la tête vers moi et la pose dessus, un sourire idiot venant étirer mes lèvres. Je le gratouille en souriant un peu plus, avant d‘avoir l’air embarrassé. « Il est avec… à toi depuis longtemps ? » Tout en parlant je continue de le brosser, changeant de brosse quand j’ai fait les deux côtés. « Et tu sais en faire depuis tout p’tit donc ? » Vu qu’c’est visiblement hyper choquant de pas savoir monter à cheval même en pleine apocalypse zombie.

Donc… elle était sa demi-sœur, non ? Elle essayait encore de m’embrouiller. Je devais peut-être comprendre par là qu’elle considérait le père de Lukas comme le sien, de par sa relation compliquée avec son géniteur. J’avais du mal à me représenter ce que ça pouvait être, vu que j’avais toujours été assez fusionnel avec mon père avant que Raina ne rentre dans sa vie. Et c’était une question bien trop personnelle pour que je la lui pose directement. « L’essentiel, c’est que vous ayez réussi à vous retrouver. » Je lui offris un mince sourire en réponse. « Vous avez eu de la chance dans votre malheur, non ? »

Je devins un peu rouge quand elle m’interrogea concernant le motel. « Euh… » Je me passai une main derrière la nuque, comme à chaque fois que j’étais gêné. « Elle habitait au motel, pour être exact. Et… et je croyais que c’était juste un hôtel normal à la base ! J’avais besoin d’un endroit où dormir, et d’une bonne douche, c’est tout. » Je grimaçai un peu, conscient que cette justification devenait de plus en plus ridicule avec le temps, même si elle n’en était pas moins vrai.

Je toussai un bref rire à l’entendre me faire les mêmes réflexions que son frère. « Vous vous ressemblez, tous les deux. Il m’a dit exactement la même chose que toi… » J’hochai la tête pour lui confirmer que ma sœur était encore en vie. « Ils ne cautionnent pas ce que je fais. Ils ont trop peur pour agir. » Et peut-être qu’ils avaient raison d’avoir peur d’un colosse comme New Eden, mais ça ne m’arrêtait pas pour autant. J’avais besoin de faire quelque chose pour elle, n’importe quoi qui puisse l’aider à aller mieux.

Je levai les mains en signe de reddition, à l’écouter s’agacer et me traiter de gosse privilégié parce que j’avais un cheval à moi. Je ne pouvais pas trop la contredire là-dessus, parce que ça se faisait rare mais… ce n’était pas donné non plus à tout le monde de pouvoir s’en occuper. Jodie restait néanmoins curieuse, au point de vouloir passer outre pour faire un petit tour à cheval. Ca me faisait sourire, même si j’espérais qu’Isalín ne prendrait pas ombrage que je promène une autre fille qu’elle derrière Anoki en son absence…

Anoki détailla la nouvelle venue avec un certain degré de méfiance. Je le calmai d’une caresse sur l’encolure, avant de lui faire signe d’approcher. « C’est normal. Il a eu des déboires à l’extérieur. Ils sont nombreux à vouloir me le voler, parce que ça se troque à très bon prix. Alors, avec le temps, on est devenus méfiants tous les deux. » Hors du camp, Anoki attendait toujours de savoir si je validais la personne qui m’accompagnait. Il pointa ses oreilles dans sa direction quand elle l’appela par son prénom. J’eus un sourire amusé à sa question. « Ca veut dire clown. Je ne sais plus en quelle langue… » Mais ça lui allait bien. Je ne perdis pas mon sourire, à l’observer le brosser avec application. « Ca permet de tisser un certain degré de confiance entre lui et toi, de t’en occuper un peu. » Je lui tendis le cure-pied quand elle eut terminée, passant une main le long de son antérieur pour qu’Anoki me donne la patte. « Tu fais comme moi, et il va te la tendre naturellement. Ensuite, on lui mettra la selle. » Le licol, quant à lui, était toujours en place. Ca permet d’être plus rapide en cas de problèmes. Anoki était habitué à celui-ci plus qu’à la bride. « J’ai littéralement grandi avec lui, en fait. Je l’ai eu pour fêter mes six ans, alors il a… sans doute onze ans maintenant. » J’avais du mal à tenir le compte des années, mais une chose était sûre : « J’ai appris à monter à cheval avant même de savoir marcher, mon père n’arrêtait pas de me faire monter devant lui. Il s’occupait d’un élevage d’Appaloosa comme Anoki. » Il me manquait aussi, par moment. « Et toi ? Tu avais bien des passe-temps avant tout ça, non ? Tu faisais du sport ? »

J’le fixe un instant en silence et j’ai un sourire. « Ouais, on s’est r’trouvés. On finit toujours par se retrouver. Ça marche mieux quand on est tous les deux. » On s’en sort toujours mieux, et toute façon, j’pourrais pas sans lui. Et j’crois qu’il pourrait pas sans moi non plus. Après tout, on est le seul truc stable et solide dans la vie de l’autre depuis le début non ?

Whaou. Il est encore plus facile à faire rougir que l’frangin, c’est marrant. « Tu savais pas ? Même moi j’en avais entendu parler quand on était sur Seattle !... T’as dormi là-bas donc. C’est l’seul endroit que t’as trouvé pour pioncer ? » Trop bizarre non ? Finalement Lukas est pas l’seul à s’retrouver gêner comme ça, et ça reste trop facile de l’emmerder.

J’fronce les sourcils en l’entendant rire, avant d’avoir un sourire en coin. « On a toujours fonctionné à deux, je… j’me suis beaucoup occupée de lui quand on était plus petits. » J’avais pas trop eu l’choix quand papy était mort, si j’avais pas pris soin d’lui, personne l’aurait fait. Comme lui avec sa sœur visiblement. « Pourquoi ils cautionnent pas ? Vous vous protégez pas entre vous ? Ils ont peur ? Et toi t’y vas seul ? C’est des trouillards ou t’es inconscient ? » Beaucoup d’questions d’un coup j’sais, mais en même temps, ça s’justifie avec c’qu’il dit non ?

Il peut bien faire genre il est désolé, ça r’tire pas c’qu’il a dit, et surtout c’qu’il pense. Et ça l’empêche pas d’être un p’tit con prétentieux. J’pensais pas qu’il y avait encore des gens comme ça en vie, ils se sont pas tous fait manger ou tabasser à mort par les autres ? Okay, j’vais trop loin. Un peu. Ouais, ouais, il ressemble pas mal au frangin. Trop adorable pour se faire tabasser… en général. Mais bref ! Son ch’val m’intéresse plus qu’son mépris.

« Normal, ça fait un sacré paquet de steaks en même temps. » Anoki bouge ses oreilles et secoue la tête, et j’ai une moue. « Ou un super moyen de locomotion… » Je le gratouille sur le museau. « Clown hein ? » Mouais, s’il essaie pas à nouveau de m’bouffer, j’trouverai ptet ce nom marrant.  Je jette un coup d’œil au cavalier, avant de rapidement reprendre ma tâche. Ouais, j’fais ça sérieusement. Ça m’arrive d’être appliquée et concentrée, quand c’est pas des trucs chiants. Ça, c’est plutôt cool. Jusqu’à c’qu’il me tende le cure-pied que j’regarde en fronçant les sourcils. J’tente de faire comme il me montre, et j’me prends pas d’coup, donc j’dois pas trop mal me débrouiller. « Tu l’as eu en cadeau d’anniversaire ? À six ans ? » J’le fixe, un peu interdite. Tu m’étonnes que ce soit devenu un sale con arrogant. Et qu’il y tienne à son canasson. J’le laisse finir son histoire, jetant un regard en coin au cheval. Un appaloosa. Okay. « Carrément un élevage… La plupart des gens grandissent sans voir de cheval, en vrai. C’est pas un truc… hyper commun, surtout en ville. » J’grimace. « C’était pas commun. » ça l’est sans doute un peu plus maint’nant, vu qu’ça devient compliqué de s’déplacer autrement qu’ à pied sinon. « Du patin. Moi c’est du patin que j’ai su faire avant d’savoir marcher… Enfin pas avant, mais t’as pigé. Mon grand-père m’a appris… » J’ai un sourire, comme toujours quand j’parle de lui. « Il adorait ça. Il était dans l’équipe de hockey de Seattle, il était vraiment bon… il avait arrêté suite à une blessure. Mais il m’entraîné. J’étais dans l’équipe junior, du collège. Et c’était hyper cool. » J’relève le menton. « Et je suis super douée sur des patins, ou des rollers. »

J’regarde le cheval, puis lui. « Tu fais tout ça à chaque fois ? Y a autre chose ou on y va ? »

« Non, non ! Je n’ai pas dormi là-bas. J’ai quand même compris avant que… » Je me grattai l’arrière de la tête, de plus en plus gêné à mesure. « Enfin je veux dire, quand une fille commence à se déshabiller devant toi… bon ok, j’ai pris mes jambes à mon cou ! » Inutile d’épiloguer davantage, non ? « Mais je suis revenu m’excuser… » Je devrais arrêter de parler. J’aggravais toujours plus mon cas avec elle.

Je préférais changer de sujet, à la réflexion. « C’est toi l’aînée, alors ? » Je les enviais. Ils avaient tellement l’air de tenir l’un à l’autre, comme s’ils avaient toujours été ensemble. Je ne pouvais pas m’empêcher de repenser à ma sœur. Elle me manquait. J’avais un mal fou à me rappeler d’elle avant sa mort. C’était encore et encore la même scène qui me revenait en tête, quand elle était sur le point de me mordre.

Je me secouai un peu pour me chasser ces idées noires de la tête, essayant de reprendre le fil de notre discussion. Sauf que… je ne savais pas vraiment quoi dire à Jodie. On aurait dû se protéger entre nous. « Ils ont peur de ce que New Eden pourrait faire de pire encore… et ça les paralyse. » Mais est-ce qu’ils avaient raison d’avoir peur ? Est-ce que c’était moi l’inconscient ? « Je sais pas. Ca se discute, non ? Mais je ne suis pas seul à agir contre eux. »

J’avais réussi à la faire bouder en soulignant le fait qu’elle ne savait pas monter à cheval. Je me renfrognai aussitôt quand elle compara Anoki à un bon morceau de steak, sans faire le moindre commentaire. Je l’avais peut-être cherché, mais qu’elle ne s’étonne pas si l’hongre lui mettait un coup de sabot. « Tu devrais pas dire ça devant lui, ils le sentent quand on leur veut du mal. Et c’est pas juste un moyen de locomotion, c’est mon ami. » Elle n’avait pas l’air de bien le comprendre, avant que je lui précise qu’on avait grandi ensemble lui et moi. Ca avait l’air de la surprendre. Je compris rapidement la raison. « Je ne pouvais pas monter à cheval quand j’étais chez ma mère, à Seattle… c’était nul. J’attendais toujours avec impatience de pouvoir retourner chez mon père à la campagne. Je détestais la ville. » Je savais bien que ce n’était pas commun ici. C’était même un sport de riche pour la plupart.

Je relevai la tête avec émerveillement quand elle me confia aimer le patin. « Sur glace ? Comme Isa’ ! » Et elle était même dans une équipe de hockey ? « C’est génial… » Il faudrait vraiment que je les présente, elles devraient bien s’entendre avec cette passion commune. « Oh euh… Isa’ est ma petite amie. C’est une athlète olympique de patin sur glace, et elle a ton âge. » J’avais ce sourire un peu bête gravé au visage. Jodie finit par me rappeler à la réalité en me demandant si on pouvait y aller. « Euh… oui. On met juste la selle et c’est bon. » Je lui montrais rapidement comment la placer correctement sur le tapis avant de serrer la sangle. Anoki me suivit ensuite à l’extérieur sans que je n’ai à me saisir des rênes. « Je t’aide à monter ou ça va ? » Je grimpai en premier, bien vite rejoint par Jodie. Je n’avais pas relevé un détail important avant de lui proposer de monter derrière moi… c’était un peu gênant une telle proximité avec une autre fille qu’Isalín. « Euh… cramponne-toi où tu peux. » J’allais arrêter de la détailler comme ça pour me concentrer sur la route. « Bon, c’est où ? »

Il est quand même marrant. A ses dépends, mais faut voir sa gueule. « Une des putes s’est désappée d’vant toi et tu t’es cassé ? » J’le fixe avec de grands yeux avant d’souffler un rire. « Et t’es trop poli donc, c’est noté… Mais genre, t’as vraiment rien fait avec la nana ? Ou une autre ? » Ce s’rait possible ouais, mais ça va à l’encontre de tout c’que j’sais sur les mecs, ce serait grave bizarre.

Je hoche la tête. « Evidemment qu’il est plus jeune. » ça s’voit un peu quand même putain non ? «  T’es l’ainé ou elle est plus vieille que toi ta frangine ? » Est-ce que Lukas f’rait ça aussi pour moi ? Sans doute que oui, il est bien assez idiot pour ça. Et si j’comprends ce que Joachim veut faire, en fait, j’peux comprendre aussi que son groupe veuille pas, ptet que c’est pour le protéger lui. Surtout quand il m’parle d’à qui il s’en prend. « New Eden ? Tu vises direct les gros tarés… » J’l’observe avec un hochement de tête. « On va dire que c’est les deux. Pas tout seul, c’est quoi ? Tu sais qu’en face, ils sont… beaucoup ? »  Du coup, l’inconscience est valable. Mais ils devraient quand même se soutenir.

S’il m’a vexé, j’crois que j’y arrive aussi. « J’lui veux pas de mal, j’expose des faits. » J’ai une moue en passant ma main sur son encolure. « Mais ton ami, ça sonne pas mal. » Et vu les années passées avec la bestiole, ça peut s’comprendre. « J’comprends, c’est difficile de pas pouvoir faire c’qu’on aime. Ça a été horrible quand on est retournés chez ma mère… Tes parents étaient séparés ? » Ouais, c’est de la curiosité pure, j’vois pas l’soucis, s’il veut pas m’répondre, il le f’ra pas.

Si j’m’emballe, un peu, en parlant patin à glace, j’pensais pas que ce serait son cas. J’le dévisage avant d’écarquiller un peu les yeux. Ah quand même… enfin, si on met de côté son sourire débile digne du frangin, j’avoue que j’suis un peu impressionnée… et qu’j’ai presque envie de la rencontrer. « Sérieux ? Du patinage artistique ? C’est trop cool ! Elle était dans l’équipe olympique ? En individuel ou en couple ? » C’est du patin, j’ai l’droit d’m’y intéresser ! Bon, d’accord, c’pas pour autant que j’oublie l’cheval. Et les pièges, vu qu’on y va pour ça à la base. J’fais attention à comment il met la selle et les trucs là, et j’le suis à l’extérieur, jetant des coups d’oeil pour être sûre d’pas avoir de mauvaises surprises. J’cligne des yeux à sa question, le haut du cheval étant presque plus grand que moi. « J’vais y arriver. » Tant bien que mal… Bon, au final, je galère et il m’aide, mais j’suis sûre j’aurais pu y arriver seule ! C’est quand même méga haut ! Il est marrant lui, il veut que je m’accroche où ? Je me mords la lèvre, hésitant une seconde, avant de passer mes bras autour de lui. Hum. Le bon côté, c’est qu’j’suis sans doute pas la seule à être mal à l’aise… Mais j’ai carrément pas envie d’tomber.

J’tends la main pour lui indiquer la direction, continuant de lui dire vers où aller. Bon, okay, c’est plutôt cool de monter à cheval. J’finis même par me décrisper un peu, même si j’suis pas prête de le lâcher vraiment, un sourire sans doute aussi débile que le sien quand il parlait de sa copine sur le visage. Sourire qui s’agrandit en voyant le lièvre dans le collet alors qu’on s’approche du premier endroit. Après quelques innocents détours. « Arrête-toi ! » Okay, j’sais pas comment on descend d’ce truc… c’est un peu emmerdant. J’me laisse glisser sur le côté et j’arrive debout sur mes deux jambes. Parfait. « Hé j’suis pas tombée ! » J’relève la tête vers lui en souriant de plus belle. « C’est trop bien ! Et ça le fait pas chier qu’on soit deux sur son dos ? » Pas qu’j’sois bien lourde, mais bon. « C’est facile à apprendre ? A l’conduire… l’guider ? Enfin tu vois… » Je toussote, me détourne et récupère le lapin. « On a du lapin à diner ! » Les autres collets sont pas très loin, on a aussi vite fait d’aller les récupérer à pieds.

« Euuuh… » Mon visage prenait subitement une teinte rouge assez soutenue, tandis que Jodie multipliait les questions sur les prostituées du motel. « Si… après. Quand je suis revenu m’excuser avec des chocolats… mais c’était pas pour la payer ! » Non, en fait, Ellie avait couché avec moi gratuitement, parce qu’elle avait été touchée que je puisse me préoccuper d’elle, et peut-être aussi parce que je lui avais dit qu’elle était vraiment belle sans son masque. Ca n’avait pas été convenu. Je chassai ces pensées de mon esprit en secouant vivement la tête. « On peut parler d’autre chose, s’il te plaît ? »

Parler de ma sœur de cœur m’allait bien mieux. Je soufflai, d’un ton presque soulagé : « C’est ma sœur ainée aussi. » J’avais toujours été le petit frère. « On n’a pas de lien de sang mais… depuis le début de la pandémie, on est ensemble, avec mon père. » Donc nous en étions bientôt à sept ans de vie commune avec Juliet, et autant dire qu’à mon âge, ça représentait beaucoup. C’était la moitié de ma vie. « J’avais une sœur qui s’appelait Nora. » J’eus un sourire triste, sans mentionner ce qui lui était arrivé. Perdre un proche, dans le contexte actuel, était tristement courant. Je relevai un regard plus bravache vers elle, à l’entendre émettre quelques réserves concernant ma lutte contre New Eden. « On est beaucoup aussi en face ! » Enfin, si on ne comptait que les Scarecrows, pas tellement mais…

Jodie commençait à me braquer un peu. Elle devait le sentir, parce qu’elle nuança aussitôt ses paroles. J’hochai la tête sans mot dire, l’observant caresser doucement Anoki pour l’apaiser un peu. « Mes parents étaient séparés oui. Et… et les tiens ? » Si elle posait la question, j’imaginais que je pouvais lui rendre la pareille sans que ce soit indiscret non ? « On a essayé de retrouver ma mère au début de tout ça, mais on sait pas ce qu’elle est devenue. Je suis resté avec mon père pendant tout ce temps. » Précisai-je finalement.

Je m’emballai davantage à l’idée de parler d’Isalín et de son passe-temps favori. Une fois à cheval, je ne m’arrêtai pas pour autant. « Du patin artistique en individuel ! Elle devait intégrer l’équipe olympique dans deux ans, un truc comme ça ! En tout cas, elle travaillait dur pour. » Je souris d’un air rêveur. « Elle est trop forte, mais je l’ai jamais vu faire du patin… » J’aurais bien voulu, en vérité. « Ca te donnerait pas envie d’en refaire, toi ? » Je ne m’imaginais tellement pas ne plus pouvoir monter à cheval. C’était comme si j’aurais dû cesser de marcher en fait.

Ce n’était pas vraiment évident d’aider quelqu’un à monter à cheval quand on était déjà dessus. Je pensais qu’elle n’aurait aucun mal à le faire, mais je me retrouvais maladroitement à lui attraper la cuisse pour la hisser sur Anoki. C’était aussi gênant que lorsque Jodie m’attrapa par la taille pour se maintenir. J’avançai tranquillement dans un pas actif ensuite, pour ne pas la désarçonner par un galop d’entrée de jeu. Je suivis ses indications, en silence, même si passer deux fois devant un arbre marqué d’un coup de couteau dans l’écorce me fit tiquer. « Euh… on n’est pas déjà passé par là ? » Ca n’avait pas tellement d’importance, parce qu’elle finit par me dire de m’arrêter. Je lâchai un bref rire amusé quand Jodie se félicita de ne pas être tombée. « On est à l’arrêt, j’espère pas ! » Monter à cheval semblait bien l’enthousiasmer, elle commençait à me mitrailler à nouveau de questions. « Un cheval de son gabarit peut porter jusqu’à quatre-vingt dix kilos environ. A nous deux c’est limite, mais on le déséquilibre un peu surtout, donc on peut rien faire de fou. » Je lui offris un sourire jusqu’aux oreilles, autant à apprendre qu’on mangerait de la viande ce soir qu’à l’idée de lui apprendre à monter à cheval. « Ouais, carrément ! Quelques heures suffisent pour connaître les trois allures déjà, si tu veux que je te montre ! » C’était la même que son frère, c’était amusant.