« Je n’ai pas besoin de ton aide ! » cracha Valérian devant la prévenance dont faisait preuve son amie. Il discernait en effet les intentions bienveillantes de la jeune femme, bien qu’elles fussent pétries de violence, et de maladresse peut-être, parce qu’elle était, comme lui, prompte à se laisser déborder par ses propres émotions devant la détresse d’autrui. Une part du grec refusait cependant de laisser Gin approcher. Elle répugnait à ce que la jeune femme franchisse ses remparts, si bien qu’en cet instant, il se comportait comme un animal acculé qui montre les crocs.
« POUSSE-TOI ! » rugit-il en cherchant à forcer le passage. Mais Gin ne bougea pas, et resta fermement campée devant lui, ses orbes bleus étrécis par un mélange de détermination et de défi. Putain ! pesta intérieurement le grec. Pourquoi fallait-il qu’elle soit aussi obstinée ?!
Ce n’était pas en tempêtant que le grec aurait raison de son entêtement. Aussi, changea-t-il radicalement d’approche : les flammes de sa colère s’éteignirent tout à coup, noyées par la marée de glace qui cristallisa ses iris noirs. D’un calme réfrigérant, il toisa la jeune femme, les lèvres retroussées en un rictus narquois. Il fit alors un pas allègre dans sa direction, avalant ostensiblement la distance qui les séparait pour venir chuchoter à son oreille quelques propos foncièrement méchants, humiliants.
Valérian recula ensuite et rencontra le regard troublé de Gin. Elle avait soudain perdu contenance, et le grec sut qu’il l’avait profondément blessée. La jeune femme se ragaillardit néanmoins vite et adopta un comportement félin. Ses yeux bleus se plissèrent en deux fentes menaçantes ; et elle louvoya jusqu’à lui. Le grec se raidit aussitôt, tous les sens en alerte. Il fut cependant incapable d’éviter le coup qu’elle porta brutalement à son entrejambe. La douleur fut aigüe, fulgurante : elle éclata dans une gerbe de souffrance blanche, aveuglante, qui le plia en deux. « Ah, la sa…lope… » gémit-il péniblement en portant ses deux mains à son entrejambe meurtri. La souffrance, remontée jusqu’à son abdomen, était telle qu’il en eût la nausée.
Valérian sentit tout à coup qu’on agrippait ses cheveux pour le contraindre à lever la tête. Le surplombant de toute sa hauteur, Gin le nargua alors d’une voix cauteleuse qui le hérissa spontanément. « Va te faire foute ! » vociféra-t-il de cette même voix étranglée. Il se dégagea brusquement et tituba maladroitement en arrière, les traits défaits par cette souffrance atroce, inimaginable pour une femme. Au prix d’un effort suprême, le grec ressembla ses esprits et foudroya son amie du regard. « Tu ne pouvais pas t’en empêcher, pas vrai ? » articula-t-il d’une voix rauque, les lèvres étirées d'un sourire sardonique. « Toujours cette obsession avec ma queue ! On en revient au même problème : tu me mets la main, le genoux, et tout ce que tu veux au paquet à la moindre occasion ! C’est fatigant, réellement : il faut que tu passes à autre chose, ma pauvre Gin ! »
Aux minauderies de la jeune femme, un ombre se déploya sur son visage, durcissant spontanément la ligne de sa mâchoire. La mention de cette fièvre qui les avait envahi tous les deux, les ramenant à leurs plus bas instincts, libéra en lui une fureur blanche, incontrôlable. « Tais-toi ! » la coupa-t-il brusquement, saisi d’une honte brûlante. « Je n’ai pas aimé ça ! Tu dis des conneries ! »
Gin se répandit pourtant en provocations, si bien que cette violence déborda finalement Valérian. « TAIS-TOI ! » rugit-il en la repoussant brutalement en arrière. « Je t'interdis de mentir ! Je n'ai jamais aimé ça ! Tu entends ?! ALORS FERME-LA ! »
Every time that I look in the mirror, all these lines on my face getting clearer. The past is gone. Oh, it went by like dusk to dawn. Isn't that the way ? Everybody's got their dues in life to pay.
Dire qu’à la base, elle venait pour l’aider. Paye ta bonne action, Guinevere. La note n’est-elle pas suffisamment salée pour toi ? Ce serait si facile de le laisser là, dans sa merde. Parce que putain, elle n’a pas mérité ça. Ni la colère, ni les mots durs, ni cette humiliation qui la fait se sentir si sale aux yeux de quelqu’un qu’elle estime plus que n’importe qui d’autre. Mais il a plusieurs façons d’agir pour autrui, mais celle de la navigatrice était forcément frontale. Le problème avec Valerian, c’est que sa rage ne fait qu’alimenter la sienne. Et que sa part d’ombre se nourrit de la sienne. En vrai, était-ce réellement si nouveau que ça ?
L’humiliation est une arme puissante. Mais sans doute que le grec ne réalise pas qu’elle est passée maître dans l’art de s’en servir pour mordre. Elle a bien trop souvent flirté avec la dépravation pour ne pas en user. Elle se sent pourtant sale en cet instant. La raison voudrait qu’elle recule et qu’elle fasse descendre la tension entre les deux adultes. Les blessures au contraire, l’incitent à pousser davantage. Puis toucher le fond, c’est son rayon, n’est-ce pas ? S’il veut y aller, elle le rejoindra. C’est aussi simple que ça. Mais dans son regard, on pouvait deviner que ce n’est sûrement pas la réaction qu’il attendait d’elle. Il n’avait fait que réveiller la garce en elle. Il n’était pas prêt pour cette facette - elle non plus, pas devant lui, mais elle était déjà allée bien trop loin que pour faire machine arrière. Elle s’abîmera. Mais tant pis. Et puis, à regarder son sourire sardonique sur ses lèvres et ses lueurs mauvaises dans ses prunelles, on s’y méprend, c’est vrai.
Un rictus alors qu’il essaye encore de l’enfoncer. « Oh mais je te baise quand je veux, Valerian. » Ce n’est pas le fond de sa pensée. Mais simplement une provocation en réponse à la sienne. « Et puis c’est si drôle de te voir faire ta mijaurée alors que t’es plus en chien que tu l’prétends. J’suis sûre que Reese me contredirait pas. » Ses paroles suintent de mauvaiseté et de mépris. Elle n’est que le reflet de ce qu’il lui montre aujourd’hui. Un animal blessé et acculé qui sort les crocs avant de se faire mordre. La situation est en train de se dégrader beaucoup trop rapidement. Alors la question était : jusqu’où iront-ils pour se faire du mal ? Quelle limite parviendront-ils à atteindre ?
Mais la honte qu’il ressent alors l'exalte ; elle ricane, telle une hyène victorieuse. « Je le savais. » Son regard s’allume d’une lueur folle. La situation s’envenime. Elle est parvenue à appuyer là où ça fait mal et elle s’en régale. Peu importe la véracité de ses propos car soudain, ce n’est plus ça qui compte. Elle veut blesser, comme il vient de le faire. « Voyons, Val tu crois que j’l’ai pas senti ? Tu as aimé ça. Tu as aimé c’qu’on a fait ensemble à c’gars, et t’as aimé que j’te grimpe dessus après… Si j’avais pas arrêté on… » Mais elle n’a pas le temps de continuer à répandre son venin qu’il la repousse brutalement pour la faire taire. Elle se prend le bord du bastingage dans le dos, s’appuie dessus et… Se met à rire. Encore. « Des mensonges ? Vraiment ? » C’est sans doute la goutte de trop pour le grec.
Parce que de rage, il se jette sur elle. Et de fureur, elle le réceptionne. Les coups partent vite, ils finissent rapidement par perdre l’équilibre et à rouler sur le pont en essayant par tous les moyens de rendre les coups, de se tirer les cheveux, comme des putains de sales gosses dans une bagarre de merde. C’est pathétique.
A un moment donné, le grec est au-dessus d’elle sa main lui arrachant presque sa tignasse, alors qu’elle-même se débat prête à renverser la tendance, ce qu’elle parvient à faire, non sans mal. Et une fois au-dessus de lui, elle se met à hurler. « ARRETE CA ! » Le cri est autant de rage que de douleur. Pour autant, elle a sa main en l’air, prête à frapper de nouveau s’il refuse.
Devant les provocations de Gin, Valérian éclata d’un rire narquois. Il n’y avait plus rien de rationnel à cette discussion, si tant est qu’on puisse encore appeler ça une “discussion.“ Ils cherchaient chacun à faire le plus de mal à l’autre, empruntant pour cela des chemins de moins en moins détournés - cédant peu à peu à une méchanceté foncière, gratuite. « Quoi ? T’aimerais t’en assurer, c’est ça ? » rétorqua-t-il en dévorant l’espace qui les séparait. « Tu cherches à t’inviter dans notre relation ? Désolé de te l’apprendre, Gin, mais nous sommes au complet ! » La tension se déployait dans son corps comme une voile gonflée par le vent. Elle redoublait les battements de son coeur sur les barreaux de sa cage thoracique. Cette colère aveuglait le grec, si bien qu’il fut incapable de prévoir l’attaque de la jeune femme. Le genou de celle-ci s’écrasa brusquement contre son entrejambe, lui arrachant un cri de douleur.
Au supplice, Valérian se ramassa sur lui-même. S’il était parvenu à la déstabiliser dans un premier temps, Gin reprit à ce moment-là l’avantage. Elle le surplomba de toute sa hauteur, le regard nimbé d’un voile de folie. Ses attaques se firent alors plus précises, plus insidieuses : elles créèrent une faille dans la carapace du grec, et exhumèrent, comme un déterre un secret longtemps enfoui, une vérité qu’il exécrait de tout son être, et qu’il avait enterrée au plus profond de lui-même dans l’espoir que jamais elle ne refasse surface. « Tu mens ! » hurla-t-il, aveuglé par sa souffrance et sa colère. Valérian savait, au fond de lui, que de réfuter aussi violemment les affirmations de son amie constituait en soi un aveu, mais ses émotions l’y enjoignaient. Elles le traversaient avec la violence d’une lame de fond ; si bien qu’il avait l’impression d’être un pantin désarticulé, dont on a coupé les fils - soumis à la violence d’un océan déchainé.
Valérian était écartelé par la honte et la colère. Les provocations de Gin déterrèrent chez lui des souvenirs qu’il repoussait de toutes ses forces, comme s’il avait tenu à distance un animal enragé, cherchant à le mordre. Ils s’infiltrèrent par les brèches de sa volonté, lui rappelant avec une effrayante acuité le plaisir ignoble qu’il avait pris à regarder son amie mutiler leur captif ; puis le désir foudroyant qui l’avait saisi quand, couverte de sang, elle l’avait embrassé. Son corps avait cédé à cette impulsion avec un abandon déconcertant. Seule l’image de Reese, qui s’était imposée à son esprit, l’avait brusquement réveillé. « TAIS-TOI ! » Avec un cri de rage, Valérian se jeta sur Gin. Ils tombèrent tous les deux à la renverse sur le pont, et, en poussant des cris étouffés, cherchèrent aveuglément à se frapper, à se griffer, à s'arracher les cheveux…
La colère, telle une purée de pois, occulta tout raisonnement rationnel chez Valérian. Il se débattit un long moment contre Gin, sans avoir réellement conscience de ses gestes ni de la frénésie qui s’était emparée de lui. Avec force vociférations, ils prirent à tour de rôle l’ascendant sur l’autre, dans une lutte maladroite, jusqu’à ce que Gin ne parvienne à le clouer au sol - brandissant un poing en l’air, prête à le frapper de nouveau. À son cri de souffrance, ils se figèrent tous les deux, le souffle court, échevelés et couverts d’égratignures. Ils se dévisagèrent longuement dans un silence choqué, tandis que se dissipait cette frénésie de leurs esprits.
Finalement, Valérian remua sous la jeune femme. « Pousse-toi. » grogna-t-il. « Bouge tes fesses, Gin ! » Elle obtempéra finalement, lui permettant de se redresser sur son séant. Le grec avait dû mal à croire qu’ils aient pu s’oublier à ce point ; aussi resta-t-il un instant indécis, peinant à mettre de l’ordre dans ses idées.
« Quels cons… » maugréa-t-il en secouant la tête, abasourdi. Une douleur sourde à son avant-bras attira soudain son attention, et le grec retroussa sa manche pour y découvrir une marque distincte de morsure. « Bon sang, Gin… tu m’as mordu ?! »
Every time that I look in the mirror, all these lines on my face getting clearer. The past is gone. Oh, it went by like dusk to dawn. Isn't that the way ? Everybody's got their dues in life to pay.
La tension est telle que la blonde a oublié les raisons qui l’ont poussé à venir, à parler, à le bousculer pour qu’il crache enfin ce qui le pesait. C’est la part sombre en elle qui a pris le dessus, cette part même qu’ils partagent sans vraiment l’assumer. Il s’était passé bien des choses ce soir-là et si elle en parle ici, avec provocation et désinvolture, c’est pourtant bien un sujet sur lequel elle ne revenait pas, d’ordinaire. Elle avait pris son pied dans la torture, dans tout ce sang répandu au sol mais aussi sur elle. S’il n’y avait pas eu cette… espèce de conscience chez elle, puis chez lui, Guinevere l’aurait sans doute entraîné avec elle dans les tréfonds de leur noirceur. Et la vérité ? C’est que ce n’est pas le regret qui la tient, comme elle le laisse à penser en s’attaquant à lui. Mais bien la honte.
Leur rage mutuellement alimentée, ils s’entraînent encore l’un et l’autre. Cognant, griffant, mordant. Jusqu’à ce que ce soit trop. Jusqu’à ce que de nouveau cette conscience refasse surface et que tremblant de rage et de peine, elle lui demande d’arrêter. Souffrance. C’est tout ce qu’elle ressent là, alors que son poing tremble au-dessus de lui et qu’ils se regardent, épuisés et surpris par ce déchaînement de violence. Et finalement, ça s’arrête. Elle met quelques secondes à réagir, tellement tendue par l’effort qu’elle a dû mal à lâcher prise alors même que c’est elle qui l’a supplié d’arrêter. Se dégageant, elle se laisse tomber par terre, à côté de lui, dans un silence douloureux et confus. Elle déteste ça. Ou plutôt, elle déteste faire ressortir cette part d’elle qui blesse, qui mord, là où ça fait mal.
Quels cons. Elle a un rictus. Sans blague. Elle n’arrive pas à dire quoi que ce soit, alors quand il s’offusque soudain qu’elle l’ait mordue, la navigatrice le regarde, un peu surprise. Puis elle avise la marque de dents bien imprimée sur son bras. C’est sans doute nerveux, mais elle éclate de rire qu’elle stoppe pourtant rapidement. « On dirait bien oui… Mais j’te signale que j’vais finir avec un oeil au beurre noir à expliquer à Cesare, et j’crois que j’me suis froisser une côte. » Lâche-t-elle, en se tenant le flanc douloureusement. Elle tente un sourire, maladroit, à son ami. Elle l’observe en silence, les nuages noirs sont malheureusement toujours là au-dessus de sa tête. « J’suis désolée. J’voulais juste que tu cesses de faire le gros con et qu’tu m’dises c’qui n’va vraiment pas. » Qu’elle lui dit, d’un ton plus feutré. Mais ça avait dérapé. « Mais t’es un salaud plus coriace que je n’l’aurais cru. » Elle détourne la tête pour regarder le pont du navire. Il avait su frapper au bon endroit - métaphoriquement. Il avait appuyé sur quelques blessures qu’elle avait au fond d’elle.
Puis elle finit par le regarder de nouveau, avec attention. « Mais… T’es pas obligé d’tout garder pour toi, d’accord ? » Qu’elle lui lâche, finalement. Elle ne sait pas si ce sont ses mots ou l’enchaînement de violence qui vient de se dérouler mais, après un long silence et un regard qui en dit beaucoup, le grec finit par s’excuser lui aussi, et à lui parler de ce qui pesait sur son cœur depuis trop longtemps déjà.
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