Avec la pénurie d’essence, il avait été étudié avec Echo et Valerian de modifier le chalutier pour qu’il puisse être uniquement dirigé avec les voiles. Les plans avaient demandé un certain temps d’étude et de préparation, mais la modernisation du chalutier devenait quand même une priorité, malgré les dégâts occasionnés par la tempête. Alors une fois que la sécurité du camp avait été revue et consolidée, ils s’étaient lancés ensemble dans l’entreprise - avec Yann aussi. Cela ne se ferait pas en un jour, mais ils y arriveraient.
Et aujourd’hui, ils s’occupaient du renforcement des cordages pour la manipulation des voiles. Cela leur prendrait une bonne partie de la journée, à avancer doucement, péniblement - et accompagné de la si agréable humeur du grec qui, malgré la tempête, avait tenu à faire partie de l’équipée. Mais au vu de sa mauvaise humeur qui les mettait un peu tous à cran, la blonde ne pouvait pas s’empêcher de se demander si c’était vraiment une bonne idée. Une énième fois, elle soupira auprès d’Echo en avisant l’air lugubre de leur leader. « Il faut qu’on s’occupe des voiles avant et du centre, elles nous serviront pour donner de la puissance en mer. » Parce que malgré l’ambiance un peu tendue, ils avaient beaucoup de travail à faire. Et c’est dans un mouvement qui sonnait un peu comme une marche funèbres qu’ils se déployèrent aux différents postes.
Elle était en train de s’occuper des voiles à l’avant quand le grec vient lui prêter mains fortes. Même en tirant la gueule, ça ne l’empêchait pas d’anticiper les mouvements de la blonde pour travailler ensemble correctement. Ça ne l'empêche pas de lui souffler un peu dans les bronches, à un moment donné. « Toi et moi, quand c’est terminé ; faut qu’on parle. » Lâche-t-elle, de but en blanc. Ce n’était pas une question d’ailleurs. En fait, elle se faisait du souci pour lui, depuis un moment déjà. Tout comme Cesare, elle l’avait vu décrocher petit à petit depuis le Merchant, puis après la mort de Sasha. Elle avait déjà eu du mal à réussir à parler avec l’italien alors, avec Valerian c’était encore plus compliqué. Elle n’avait pas les mêmes moyens de pression pour forcer le dialogue. Et puis, de base, Guinevere n’était pas très douée pour ça. Mais force est d’admettre que se contenter d’être là ne suffisait plus en fait. Plus aujourd’hui. Alors, ça n’allait pas lui plaire… Mais les amis, genre les proches, c’était aussi là pour ça, pas vrai ?
La mine revêche - comme à son habitude depuis plusieurs semaines, Valérian s’activait en silence aux côtés de Gin et Yann avec qui il réhabilitait le Revenge. La tache était fastidieuse ; qui plus est, sous le soleil de plomb qui écrasait leurs dos de tout son poids, cherchant de toute évidence à faire flancher leur volonté. Une paire de lunettes de soleil sur le nez, le grec se protégeait ainsi tant bien que mal de l’aveuglante clarté que la crête dorée des vagues faisait miroiter.
Il grimaçait sous l’effort, et maugréait régulièrement dans sa barbe. Des perles de transpiration constellaient son font, tandis que ses joues étaient rougies par l’effort et le prodigieux agacement que lui inspirait cette corvée, comme une gerbe d’essence projetée sur des flammes. « Il faudrait que nous trouvions de nouvelles voiles. » grommela-t-il en reliant péniblement l’une des voiles à son mât par le biais de bagues d’envergure. « Les bandes autocollantes que nous avons utilisées pour réparer celle-ci ne feront pas long feu… j’ai souvenir d’un magasin d’équipement nautique à proximité de l’ORB, mais il existe probablement d’autres enseignes à Port Angeles… » Assurément, les magasins de ce genre ne devaient pas manquer dans les parages.
Si les Exilés voulaient se déplacer en mer sans dépenser de carburant, alors il leur faudrait se munir d’un équipement adapté… qui ne courait cependant plus les rues. Les quelques bateaux que l’on trouvait échoués sur les côtes étaient en effet dans un état déplorable, et leurs voiles, de fait, parfaitement inutilisables. Il restait à espérer que les shipchandlers n’aient pas été pris d’assaut depuis l’épidémie : peut-être pourraient-ils alors y trouver leur bonheur.
En compagnie de Gin, le grec acheva péniblement sa tâche, puis actionna la drisse pour hisser la voile sur son mât. Satisfait, le grec contempla son oeuvre en hochant la tête : « voilà qui devrait faire l’affaire ! » dit-il en se frottant vigoureusement les mains. « Il nous reste la grand-voile à réparer, et nous en aurons terminé pour aujourd’hui. »
Tous les trois répétèrent l’opération avec celle-ci. Reclus dans un mutisme ombrageux, le grec s’exécuta pourtant dans une parfaite synchronie avec Gin, anticipant avec facilité ses gestes ; travaillant de concert avec elle comme si la jeune femme avait partagé ses pensées. En proie à cette colère qui ne le quittait plus depuis des semaines, il n’eût cependant de cesse de maugréer et de pester dans sa barbe ; si bien que Gin l’interpella finalement d’une voix sèche.
« Oh-oh, voilà qui semble bien sérieux ! » ironisa le grec avec mauvaise humeur, en faisant mine d’être inquiété par la perspective de devoir lui rendre compte. « Dis-moi, Gin, qu’est-ce qui me vaut d’être convoqué aussi sommairement qu’un élève par son proviseur ? »
Il eût un sourire mièvre, acide : « la qualité de mon travail te déplaît-elle ? »
Every time that I look in the mirror, all these lines on my face getting clearer. The past is gone. Oh, it went by like dusk to dawn. Isn't that the way ? Everybody's got their dues in life to pay.
« Ouais, on doit s’mettre en chasse bientôt pour ça. J’peux trouver quelques motivés pour aider s’tu veux. » Ou des volontaires un peu obligés, ça c’était facile. Mais pour l’instant, c’était pas ça qui la faisait souffler autant. Le travail qu’ils abattaient était harassant. Le soleil tapait pas mal pour ne rien rajouter. Faire ces rafistolages n’était pas plus simple que d’installer de nouvelles voiles, au contraire. Ils avaient tous conscience que ça ne tiendrait pas longtemps, mais en attendant ; ils faisaient avec les moyens du bord. Enfin, ils actionnèrent la drisse et la voile se hissa fièrement sur le mât. Enfin, fièrement ; il fallait le dire vite. Mais cela suffirait pour le moment. La grand voile à présent.
Si leurs gestes s’harmonisaient parfaitement, l’humeur du grec lui pesait pas mal. C’est vrai qu’avec le temps, ils avaient appris à fonctionner ensemble, sans devoir essayer de s’expliquer. Et même avec sa gueule de six pieds de long, le duo fonctionnait quand même - c’était presqu’impressionnant. Puis d'habitude, c’était elle la chieuse en fait. Alors d’accord, le travail était quand même fait. Mais elle n’aimait pas le voir comme ça - tout comme elle avait détesté de voir Cesare s’enfoncer dans son mutisme après la mort de Sasha. Alors, puisque visiblement Guinevere s’était mise en tête de régler les problèmes des autres - pour une fois - elle avait interpellé Valerian sans détour, une fois que le travail serait terminé.
« Non mais… C’est que tu te fous de ma gueule, en plus ?! » Dit-elle, après quelques secondes silence choqué, en voyant Valerian minauder avec une méchanceté qu’elle détestait voir chez lui. « T’es encore pire que j’pensais. » Qu’elle gronde, gagné par sa mauvaise humeur, elle aussi. Il ne fallait pas qu’elle oublie l’objectif qu’elle avait. Sinon, ça allait finir dans le sable à se battre comme des gamins. « C’est exactement pour ça qu’il faut qu’on cause. » Et avec humeur, elle lui balance le cordage qu’elle avait dans les mains avec plus de force que nécessaire. Du coin de l'œil, elle peut voir Yann s’écarter un peu du champ de mire. « Tu m’apprendras pas à jouer aux garces, alors ouais. On termine ça, on vérifie la voile et on va s’expliquer tous les deux. » Est-ce que ça allait améliorer l’ambiance dans leur travail ? Absolument pas. C’était même pire. Au point que même Yann commença à ronchonner. Si Valerian réplique, la blonde décide de royalement l’ignorer - quitte à lui tirer puérilement la langue à ses provocations.
Ce n’est que quand ils terminent, que Valerian se détourne de leur tâche que la blonde vient poser sa main sur son épaule pour l’arrêter dans son élan. « Tu vas nulle part. » Sa poigne est ferme. Yann lui, déguerpit avec soulagement. « T’as un problème, Valerian, c’est d’ça qu’on doit causer. » C’était un peu mal parti la conversation calme et compatissante, pas vrai ? Bizarrement, c’était plutôt comme ça qu’elle réglait ses problèmes avec Cesare, avec Valerian ? C’était une première.
« Tu crois ? » rétorqua le grec avec acidité, tandis qu’un sourire narquois flottait sur ses lèvres. Il dévisageait son amie d’un air ouvertement moqueur, lui opposant une franche hostilité. En agissant de la sorte, Valérian cherchait à s’isoler du reste du monde, s’enfouissant toujours plus profondément dans la solitude, mais aussi à contenir le bouillonnement d’émotions qui déferlait en lui.
Les mâchoires contractées, il refoulait obstinément la haine qui louvoyait pernicieusement à l’orée de ses lèvres, cherchant la moindre occasion pour s’y frayer un chemin et déferler à l'extérieur avec une force destructrice. Plus le temps passait, et plus ces occasions devenaient fréquentes : sa haine franchissait la barrière de ses réticences avec de plus en plus de facilité, comme de l’eau filtrant au travers d’un barrage, jusqu’à le rompre et se libérer de ses entraves dans une incontrôlable explosion.
Si Valérian retenait cette haine en lui, Guinevere n’était pas dupe. « Je ne vois pas de quoi tu veux p… » Alors qu’il maugréait, le grec reçut le cordage de plein fouet, ce qui lui coupa momentanément le souffle. Il releva les yeux, l'air indigné : « Gin ! » fustigea-t-il en la foudroyant du regard, tandis que la jeune femme, parfaitement indifférente, s’attelait à nouveau à la tâche en lui promettant une discussion à laquelle il ne pouvait, de toute évidence, pas espérer se soustraire. « C’est ça, compte là-dessus ! » Très mécontent de la tournure des événements, Valérian grommela dans sa barbe. Ses yeux noirs fondirent comme des rapaces vers Yann qui, stupéfait, s’était immobilisé et dévisageait avec une certaine appréhension ses compagnons. « Qu’est-ce que tu regardes ? » l’apostropha sèchement le grec. « Bouge-toi ! Nous avons du pain sur la planche ! »
Déconcerté par la violence de Valérian, le rouquin lui rendit un regard médusé, puis, avec sa bonhomie habituelle, haussa vaguement les épaules avant de se remettre sans un mot au travail - ne souhaitant de toute évidence pas se mêler à cette histoire. Le trio poursuivit sa besogne, et les rares échanges qu’ils eurent furent des grognements brefs, acides ; couplés à des regards furieux qui transperçaient le silence comme des lames chauffées à blanc.
Enfin, lorsqu’ils eurent terminé, Yann s’éclipsa rapidement tout en marmonnant “aller voir ailleurs s’il y était“ ; et, l’expression renfrognée, Valérian jeta son sac sur son épaule avec l’intention de l'imiter, tout en évitant soigneusement de croiser le regard perçant de Guinevere qu’il sentait peser dans son dos. Alors qu’il s’éloignait en silence, la main de la jeune femme se referma brusquement sur son épaule et l’arrêta dans son élan.
« Qu’est-ce que tu veux, Gin ? » cracha le grec en se dégageant d’un geste brusque. « Tu n’as pas quelqu’un d’autre à aller emmerder ? Cesare, Yulia, Dana… je suis certain que tous apprécieront ta compagnie à sa juste valeur. Ce qui n’est pas mon cas, actuellement. »
Il la toisa de tout son haut, les yeux débordant de noirceur : « alors maintenant, sois gentille et fous-moi la paix ! »
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Alors c’est ça que Cesare ressentait quand elle avait des journées où tout ce qui l’intéressait, c’était de mordre ? Elle penserait peut-être à s’excuser tout à l’heure, parce que c’était putain de chiant. Même le pauvre Yann qui ne voulait pas s’en mêler s’en prenait plein la tronche gratuitement. Tu m’étonnes qu’il ne réclamait pas son reste en déguerpissant du bateau une fois leur travail achevé. Il lui aurait été tellement plus facile de faire pareil, mais le grec n’allait pas bien - et pas seulement aujourd’hui. Cette humeur, c’était sur tout le monde qu’il la rejetait. Et puisqu’elle était bien chauffée, elle aussi, c’était probablement le moment de mettre le feu aux poudres - vraiment ?! En tous cas, c’était comme ça qu’elle gérait les choses aujourd’hui. C’était étonnant comme les choses s'inversent pour le moment ; une conversation profonde avec Cesare, et de la violence avec Valerian. Le monde à l’envers.
D’ailleurs, elle n’aurait pas soupçonné la vipère cachée en lui, si elle n’était pas en train de se prendre son venin dans la tronche. Heureusement pour elle, elle en avait vu d’autres et c’est un sourire narquois qui étire ses lippes alors qu’il tente de la renvoyer se faire voir ailleurs. « Ne joue pas à ça avec moi, Valerian. » Qu’elle menace, doucereuse. « Tu vas perdre. » Pourquoi se retenir, après tout ? Il connaissait sa part d’ombre, elle la découvrait mais se sentait suffisamment armée pour y faire face. Elle s’avance et se place devant lui, l’empêchant de descendre du bateau. « Tu ne descendras pas tant que tu m’auras pas craché c’qui te rend aussi con. » Et s’il fallait y mettre de la force, elle n’hésiterait pas. Alors, est-ce qu’ils en allaient vraiment en venir aux mains ? Vu la tempête qui faisait rage dans les prunelles de son ami, elle était prête à encaisser - et rendre les coups.
Alors elle s’avance encore vers lui, lui laissant le choix entre reculer ou se heurter à ses prunelles d’acier. « Alors, c’est quoi qu’tu n’digères pas Val’ ? C’est quoi qui t’pousse comme ça ? Franchement, t’es pas celui qui tue avant de réfléchir, mais en c’moment, j’ai l’impression qu’tu dérailles complètement. » Qu’elle lui sort, sans ménagement, sans douceur. De toute façon, il était bien trop en colère pour qu’elle tente d’arrondir les angles - et puis franchement, elle n’en avait pas envie. Elle ne comptait pas le lâcher, mais pas le dorloter non plus. « C’est quoi, c’est Reese ? New Eden ? C’est nous ? On a enfin trouvé un lieu où s’poser après tout c’temps à galérer, alors c’est quoi, Valerian ?! C’est quoi qui t’fais dérailler et qui t’fait ressembler au pire des crétins que j’connaisse ?! » Elle s’énerve aussi et s’enflamme. Elle déteste le voir se consumer comme ça, sans rien pouvoir faire pour l’aider. S’il a besoin de cette rage pour lui dire, pour parler, elle va le lui en donner. Il pouvait lui faire confiance là-dessus.
« Je ne joue pas. » rétorqua froidement Valérian en plantant ses yeux noirs, gorgés de colère, et semblables à des nuages sur le point de se fendre pour répandre l’orage qu’ils contenaient, dans ceux de la jeune femme. Seuls quelques centimètres les séparaient à présent. La colère qu’ils irradiaient se propageait dans l’air comme une onde de choc. Ils abritaient chacun dans leur coeur une noirceur qui s’éveillait en présence de l’autre ; si bien qu’en cet instant, le silence tombé sur le pont du bateau frémissait d’appréhension.
Les deux amis se dévisageaient en chien de faïence, les traits durcis, taillés dans une roche immuable, leurs regards incendiés de colère. Si Gin inspirait en cet instant à Valérian un prodigieux agacement, il ne commettrait cependant pas l’erreur de la sous-estimer. Derrière le badinage, les moqueries, l’attitude je-m’en-foutiste qui la caractérisait tant, se cachait en effet une dangereuse hargne qu’il avait déjà vue à l’oeuvre, et notamment lorsqu’ils avaient abattu ensemble cet homme, des mois en arrière. D’une certaine manière, Gin était faite du même bois que lui : instable, imprévisible, mais certainement plus vicieuse qu’il ne le serait jamais.
En quelques enjambées décidées, la jeune femme se planta fermement devant Valérian. « Dégage de mon chemin, Gin ! » rugit-il en tentant forcer le passage. En vain : « Putain, mais pourquoi faut-il que tu me casses autant les couilles ?! Pousse-toi ! » Le volume de sa voix enflait petit à petit, nourri par le capharnaüm d’émotions qui ébranlait le grec avec la violence d’une lame de fond : un chaos que supplantait une colère viscérale. Mais il en fallait plus pour impressionner la navigatrice et faire flancher ses résolutions.
Ses prunelles bleues figées dans l’acier, Gin s’avança vers le grec et le contraignit, malgré-lui, à faire un pas en arrière. La voix de la jeune femme s’éleva à nouveau, vindicative, furieuse, et le bouscula aussi certainement qu’elle l’aurait fait à bout de bras. « RIEN ! » hurla-t-il à pleins poumons. « Il n’y a rien, Gin ! Putain de rien ! » Au moment où il éructait ces mots, les images de Sasha, le crâne pulvérisé, et du sourire exultant de joie de Maverick se superposèrent pourtant dans son esprit. Les cris de la femme de Colville remontèrent à sa surface, tout comme les voix de Yulia et de Lex : t’as pas envie d’entendre ça, Val…
Une lueur ironique étincela dans ses yeux et un rire sans joie, glacial, souleva les épaules du grec. La colère qui l’avait consumé quelques instants auparavant s’était soudain évanouie, noyée par la méchanceté qui ourlait à présent ses lèvres. « Oh, je vois. » ronronna-t-il d’une voix onctueuse. « Alors c’est tout ce que tu as trouvé pour attirer mon attention ? Cesare n’est pas disponible, alors tu viens m’emmerder, c’est ça ? »
Il s’avança d’un pas vers la jeune femme et se pencha pour susurrer à son oreille. « C’est ce que tu cherches, n’est-ce pas ? Une baise rapide ? Un petit coup dans la cabine ? (il eut un petit rire narquois) Navré de te décevoir, Gin, mais tu me fais à peu près autant envie que le contenu des latrines. »
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Les planches du bateau grincent sous ses pieds quand elle s’avance et que lui recule. Elle s’était dressée devant plus féroce que ça, et puis… C’est Valerian. Elle est de toute façon obligée de tenir. Malgré ce visage haineux qu’elle ne lui reconnaît pas, malgré cet orage noir et dangereux dans ses prunelles, malgré ce rictus qui déforme sa bouche quand il lui crie de le laisser tranquille. Elle sait qu’elle n’a pas d’autre choix que de faire face. Mais heureusement pour elle, du mordant elle en a assez. Et puis sa colère nourrissait la sienne. C’est si facile de la laisser monter et gagner en puissance. Mais ils en faisaient les frais tous les deux.
RIEN. « MON CUL VAL ! » Qu’elle rétorque, sur le même ton que lui. « Ca peut pas être rien, mais vas-y sers-moi encore des couleuvres, c'est l'tour de chauffe. » Au loin, Yann se retourne et semble hésiter, avant de finalement laisser tomber pour laisser les deux amis souffler leur propre tempête. Elle avait presque l’impression que le vent venait de se lever en même temps que leurs menaces. Elle le voit qui sombre, elle sait qu’elle n’est pas loin de ces flashs qui traversent son regard et qui l’enferment toujours un peu plus, toujours plus loin d’eux tous. « Val, j’peux pas t’aider si tu m’parles pas. J’compte pas t’lâcher. » Elle le dit avec une mauvaise humeur évidente, une acidité qui transperce, mais ça n’en reste pas moins une promesse ferme qu’elle lui fait. Parle-moi. Et puis soudain, il se calme.
Du moins, c’est ce qu’elle croit quelques secondes. La colère brûlante laisse place à un rire froid et sans âme. La blonde se tend, les poings crispés et attend, sans comprendre. Oh je vois. La voix est aussi mielleuse qu’offensante. Putain, mais ça c’est mon truc. Elle a un mouvement de recul, sourcils froncés et mâchoire bloquée. « Qu’est-ce que tu fous… » Ses dents grincent alors que c’est au tour du grec de mordre, à son tour de faire mal. Il se penche et murmure à son oreille ; c’est sale et humiliant. La navigatrice est soudain silencieuse, son regard le suit alors qu’il se redresse devant elle, satisfait de son petit effet. Parce qu’elle ne peut pas cacher la blessure qu’il vient de lui faire. Il lui en faut beaucoup pour garder son calme, respirer, prendre sur elle et… Non mais en vrai, qui y croit ?! Putain de merde.
Alors, elle avance. Dans une attitude féline et dangereuse. « Alors, c’est tout ce que tu penses de moi ? » Qu’elle commence presque triste, mais il y a un grain dans sa voix, une lueur dans ses prunelles que le grec doit sûrement avoir reconnue. C’est à son tour de venir le frôler, si proche qu’elle pourrait même l’embrasser. « T’en as encore ? Parce que t’as raison… ça m’excite » Il la traitait en chienne, il n’était pas prêt. Et puis elle vire encore. Brusquement, son genoux se lève pour venir lui éclater ses bijoux de familles. Son geste est précis et surtout ; elle ne se retient pas. Le grec se plie en deux devant elle et elle ne lui laisse pas le répit de s’en remettre. Sa main vient attraper sa tignasse noire, tordant sa tête sur le côté pour le forcer à la regarder. Du plaisir, elle en prenait et il était hors de question qu’il loupe ça. « Vilain, vilain, Valerian. Mais on dirait que ça t’plait aussi quand ça fait mal ? » Qu’elle lui demande, doucereuse. « Parce j’vois qu’t’en as pas assez, toi non plus. » Elle parle des ombres et des fantômes qui l’habitent et qui le bouffent. La blonde le relâche et ricane à son tour, en faisant quelques pas en arrière.
Guinevere pouvait tout à fait utiliser sa propre douleur pour se composer un personnage aussi détestable qu'il l'est. « J’me d’mande bien pourquoi j’m’échine… Sans doute parce que je crève d’envie d’une p’tite baise vite fait avec toi » Elle se permet même le luxe de l’imiter et de forcer le trait, bien sûr. « Va falloir faire mieux qu’ça, Valerian… Parce que pour c’qui est d’toucher l’fond, j’y connais un rayon. » La blonde sourit, pleine de rancune et de douleur, celle-là même qui faisait briller ses yeux l’autre soir quand, dans une chambre miteuse, elle avait étripé ce connard sans aucune once de remords. « En plus, ça n’prend pas… J’sais t’a aimé ça. » En référence à cette noirceur qu’ils avaient partagé cette nuit-là et qui, sans cette once de lucidité, aurait dérapé vers quelque chose que… En réalité, ils auraient tous deux regretté. Mais ce n’était pas le sujet actuellement.
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