La revoilà dans les rues de Walla Walla. Après encore quelques examens, les médecins lui ont confirmé qu’elle se remettra de ses plaies. Physiques tout du moins, car ce qu’elle a subit la poursuivra à tout jamais. Ce que ces démons ont osés lui faire, elle ne pourra jamais l’oublier et si ses plaies se referment lentement mais surement, celle de son âme aura besoin d’un peu plus que quelques mois pour se fermer totalement. La confiance qu’elle pouvait mettre dans les autres n’a plus lieu d’être, elle se méfie de tout le monde, mais plus particulièrement des hommes. Il n’y a que M. Phillips en qui elle voit son sauveur qui pourrait se vanter de pouvoir l’approcher sans être trop craint par le petit animal blessé.
Elle se promène pour le moment toute seule, on l’a autorisée pour aujourd’hui à se rendre dans un endroit ou elle pourra se fournir en livres. On ne lui a pour le moment encore pas assigné de travail, ou d’occupations alors il faut bien qu’elle occupe son esprit pour ne pas trop penser à ce qu’il lui est arrivé. Les cauchemars dont elle est victime sont déjà bien suffisants pour la torturer.
Mais si la petite est débrouillarde, elle n’a clairement pas trop le sens de l’orientation et si on l’a laissé aller seule récupérer des livres, elle aurait certainement préféré qu’on l’y conduise car depuis une bonne demi-heure, elle a l’impression de tourner en rond. Elle est persuadée d’avoir déjà vu cette maison quelque part. En réalité, la petite n’est pas que perdue physiquement. Être dans cet endroit, dans cette ville la perturbe et la rassure en même temps. On lui a assuré qu’ici, elle ne craignait plus rien. Que personnes ne lui ferait plus de mal, mais elle a l’impression, qu’à chaque coin de rue, à chaque angle de maison, les silhouettes de ses agresseurs apparaissent. Elle ne se sent vraiment pas en sécurité. Et la voilà qui commence à paniquer. Une crise passagère qu’ils lui ont expliqué à la clinique. Pourtant, elle a l’impression que ça fait des heures qu’elle suffoque, que sa tête tourne, qu’elle a l’impression d’être dans le noir le plus total.
C’est finalement le son d’une voix qui la sort de sa torpeur. Les yeux écarquillée elle pose son regard sur l’homme qui lui parle, elle a un réflexe de recul, elle ne le connait pas après tout et elle doit sembler aussi effrayée qu’un petit animal sauvage que l’on surprend. Elle n’a pas compris et se contente bêtement de répondre « Pardon ? » en secouant la tête, comme pour se remettre les idées en place.
Après avoir passé une bonne partie de la journée au Regency dans le second District pour les répétitions de mon prochain concert, avec plusieurs gars de mon nouveau groupe, j’ai repris la direction du quatrième district pour rejoindre Grace. Cela fait peu de temps que nous avons emménagé dans notre nouvel appartement et je peine encore à trouver mes marques. Mes migraines se font exceptionnelles ces derniers temps et j’ai pu reprendre une vie normale après plus de six mois de galère.
Mon nouveau travail est assez prenant mais pas aussi bien payé que je le voudrais. En complément, il m’arrive de donner des cours de musiques aux enfants des castes supérieures. Cela n’est qu’occasionnel, malheureusement. Néanmoins, nous vivons plutôt bien avec Grace, même si – comme à son habitude – elle se montre têtue et obstinée pour pas mal de chose. Rester tranquille à la maison, se reposer ; ce n’est pas vraiment son truc… Malgré les recommandations des médecins…
D’ici quelques mois, nous serons trois ; et, j’angoisse terriblement. J’ai déjà posé tout un tas de questions à Papa et Tasya, concernant la paternité et tout ce qui va avec. Je dois dire que je regrette un peu maintenant. Y’a plein de trucs qui me font vraiment flipper et je ne sais pas si je serai à la hauteur. Je me suis déjà occupé des enfants de ma tante, de mon frère et de ma sœur… Mais ce n’est pas pareil…
C’est en pensant à tout cela que j’arrive finalement au District 4. Passant devant la bibliothèque, je continue d’avancer d’un pas relativement long. Guitare sur le dos, attachée en bandoulière, je progresse mains dans les poches, plutôt songeur. Ce n’est qu’en relevant les yeux que j’aperçois finalement, une jeune femme. Je l’observe un instant, m’arrêtant quelques secondes. La voyant faire volte-face à plusieurs reprises, la mine paniquée, je fronce légèrement les sourcils. J’hésite un moment, mais en voyant qu’elle semble perdue, je décide d’aller à sa rencontre. « Mademoiselle ? Tout va bien ? » Elle s’écarte finalement, visiblement apeurée. Je répète alors d’une voix calme et rassurante « Tout va bien ? Vous avez l’air perdue ? Je peux vous aider peut-être ? » J’affiche un léger sourire, bienveillant et amical avant de me présenter « Je m’appelle Victor. Victor Ross. »
" Oui je … Je … Je crois que je me suis perdue “ Fini-t-elle par réussir à dire. Et c’est le cas. Perdue, dans les rues de la ville de son nouveau foyer, mais aussi dans sa tête, c’est un capharnaüm complet. L’homme semble doux et bienveillant, c’est du moins ce que sa voix et sa façon d’être semble montrer. On lui a déjà répété plusieurs fois qu’ici, elle n’est censée ne rien craindre, mais c’est que James lui avait dit aussi. Qu’elle ne risquerait rien tant qu’elle serait à ses côtés alors qu’il avait été la source de sa plus grande souffrance.
Il se présente, c’est déjà pas mal pour un début alors elle répond, poliment “ Je suis Jordane. Jordane Hills “ Un petit sourire timide s’affiche sur son visage. Elle se sent bête d’être comme ça, mais il lui faudra forcément un temps d’adaptation. A toute cette nouveauté, toutes ces nouvelles personnes qu’elle va rencontrer, ici la vie est grouillante de petites âmes. Pas comme dehors. Ici, on dirait presque que la vie n’avait jamais changé en six années bientôt déjà “ Je suis arrivée il y a quelques semaines seulement … “ Ose t’elle finalement avouer “ Et je n’ai pas encore trouvé tous mes repères “ Confie-t-elle. Le rouge lui monterait presque aux joues de devoir avouer à un parfait inconnu qu’elle n’est pas le plus débrouillarde ici. Elle a toujours eu quelqu’un à ses côtés pour l’aider. Se retrouver seule, alors qu’elle est entourée de tellement de personnes qui ne veulent que son bien.
“ Je cherche la bibliothèque “ continue-t-elle. Si déjà il lui demande, il pourrait peut-être la renseigner et lui montrer le chemin. Elle l’observe un instant, il a l’air jeune et pourtant, on dirait qu’il a déjà bien avancé dans sa vie. Elle ne saurait pas dire pourquoi. Il a, en tout cas, un visage angélique, ça elle ne peut pas le nier. Elle voit sur son dos, une guitare et se permet alors de demander “ Vous êtes un musicien ? “ Et, encore une fois le rouge monte à ses joues. Elle ne s’est pas rendu compte qu’elle était peut-être un peu trop familière avec Victor Ross, donc. Ici, on le lui a fait comprendre, les hommes étaient à respecter “ Pardon, c’est peut-être indiscret … “ qu’elle marmonne.
La jeune femme finit par se présenter à son tour. Elle m’explique qu’elle est arrivée il y a peu de temps. J’affiche une mine bienveillante avant de lui souffler « C’est normal. Et puis Walla-Walla est une grande ville, il faut un peu de temps pour s’y faire. » C’est pour tout le monde pareil, j’imagine. A notre arrivée avec Papa, je me souviens avoir été impressionné par tout ce qu’il était possible de faire ici… Après plusieurs années de survie dans le ranch de mes grands-parents, je n’avais jamais pensé pouvoir retrouver un semblant de confort…
« Oh c’est par là ! Suivez-moi, je vous accompagne ! » Je lui fais signe de me suivre. « C’est plus loin dans la rue. » Nous nous mettons en route avant qu’elle ose me questionner sur mon travail. Alors que je m’apprête à lui réponse, Jordane semble brusquement gênée. Je m’abaisse légère, surpris. Mais je ne tarde pas à la rassurer « Non ! Pas du tout ! » Après tout c’est normal de poser ce genre de questions, de vouloir en savoir plus sur les autres. J’imagine qu’elle ne doit pas connaître grand monde si elle est là depuis peu de temps… « Je fais partie d’un groupe de musique, je rentrais chez moi après ma répétition. » Que je lui explique simplement, affichant un léger sourire pour la rassurer.
Et alors que nous approchons de la bibliothèque, c’est à mon tour de lui demander. « Vous aimez lire ? » Étant donné qu’elle cherche la bibliothèque, j’imagine que c’est idiot de lui poser cette question. Mais peut-être qu’en discutant un peu, elle se sentira mieux. Je la sens plutôt réservée et pas tellement à son aise. Je ne m’en formalise pas vraiment néanmoins, préférant poursuivre la discussion. « Ça tombe bien, je n’ai plus grand-chose à lire. Cela ne vous dérange pas que je vienne avec vous ? » Et alors que nous arrivons devant l’entrée du bâtiment, j’ouvre la porte avant de l’inviter à entrer « Après vous ! » Un sourire rassurant étire mes lèvres alors que je lui fais signe d’entrer.
Pour le moment, le jeune homme qui l’accompagne semble être poli et courtois. Son visage laisse transparaitre une sorte de bienveillance qui rassure Jordane, mais qui, en même temps la force à se tenir sur ses gardes. Elle ne se rappelle que trop bien les faux sourires et les fausses bonnes paroles de Lee et de James qui l’avaient mise en confiance, bien trop rapidement. Mais, même si elle garde ses distances, elle se permet un petit sourire timide “ Oui, c’est … Si différent de dehors. Je crois que ça me donne un peu le tournis “ Elle dévie aussitôt son regard vers le sol, impressionnée également.
Et si, elle avait pu penser qu’elle avait fauté en posant trop de question, Victor se veut à nouveau rassurant, et lui répond sans aucunes retenues ni commentaires. Il est musicien donc, une information qu’elle retient dans le coin de sa tête.
Le chemin jusqu’à la bibliothèque n’est finalement pas si long que ça et ils ne finissent pas y arriver rapidement. Elle ose alors lancer un petit “ Je n’étais pas si loin finalement. Mais … Merci “ Elle esquisse un petit sourire à la question qu’il lui pose ensuite “ Oui, j’aime beaucoup lire. Je n’avais pas énormément de passe-temps chez moi avant “ Et alors que la situation semble moins la stresser, le fait qu’il lui demande s’il peut venir avec elle la rend à nouveau toute rouge. Décidément. Elle ne sait plus où se mettre et espère simplement que le jeune homme en face d’elle ne le remarquera pas trop. Voir pas du tout, ce serait encore mieux. Elle met du temps à répondre pour finalement bégayer “ Ou... Oui bien sûr ! “
C’est finalement lorsqu’il ouvre la porte et lui propose de la suivre qu’elle finit par ne plus se sentir bien du tout. Son cœur se met à battre à tout rompre dans sa poitrine, mais ce n’est pas parce qu’elle a peur. Non, elle n’est pas rassurée, c’est certain, mais le contact avec Victor, sa politesse et sa bienveillance apparente la rendent mal à l’aise. Ses pensées se brouillent, elle ne sait pas si, il est sincèrement gentil ou s’il joue, lui aussi un rôle, mais dans tous les cas, la situation la déstabilise au plus haut point “ M... Merci “ qu’elle se contente de tenter de lui répondre. Mais sa voix est saccadée et hésitante. Pourquoi est-ce qu’elle se sent comme ça ? C’est pourtant bête, elle le sait.
Il la suit, et tout deux arrivent donc dans l’entrée de la bibliothèque. Les yeux de Jordane s’illuminent soudain lorsqu’elle contemple l’endroit remplis de livre. C’est cette fois-ci un sourire grand et sincère qui s’affiche sur son visage “ Quel endroit magnifique ! “ finit-elle par s’exclamer. Et, comme une enfant découvrant un cadeau elle se retourne vers Victor, oubliant presque son malaise “ C’est incroyable ! “ qu’elle lui indique, hésitante quant à l’endroit où elle va commencer ses recherches pour trouver le bon livre. Et avant de se lancer elle hésite “ Et vous ? Vous aimez lire quel genre de livres ? “ Peut-être que ça l’aidera à choisir le sien.
La jeune femme n’a pas l’air très à l’aise. Néanmoins, je fais de mon mieux pour la rassurer. Walla-Walla est une ville immense et c’est normal d’être perdu au départ. « J’ai mis un peu de temps à me repérer aussi à mon arrivée. » Cela fait quelques années maintenant… Pourtant, je me mets à la place de la jeune femme, c’est toujours impressionnant d’arriver dans un endroit inconnu. Elle semble être seule, ce qui ne doit pas arranger les choses. J’ai eu la chance d’arriver ici avec plusieurs membres de ma famille…
Quand nous arrivons devant la bibliothèque, Jordane semble se détendre un peu plus, visiblement rassurée. Je lui souris à mon tour alors qu’elle me dit aimer lire. C’est également un de mes passe-temps favori avec la musique.
Pourtant à ma question, je remarque à nouveau une certaine crainte à mon égard. Est-ce que le fait que je puisse l’accompagner la dérange ? Elle semble surprise que je le lui propose, visiblement un peu gênée. Cela ne semble pas s’arranger quand je l’invite à entrer dans la bibliothèque. Elle semble déstabilisée et je n’ai aucun mal à le remarquer. Je me contente de lui offrir un sourire rassurant – encore une fois – elle n’a vraiment rien à craindre ici. Elle me remercie en bafouillant légèrement, et je n’y prête pas vraiment attention ; faisant comme si de rien n’était.
Ce n’est qu’une fois à l’intérieur que son regard s’illumine devant la beauté du lieu. Jordane met de côté sa gêne et ose même me demander ce que j’aime lire. Amusé, je lui réponds alors en lui faisant signe de me suivre « Je lis un peu de tout. Mais j’aime beaucoup les histoires d’aventures. Je n’ai jamais vraiment voyagé avant et ça m’a permis de découvrir beaucoup d’endroits que je ne connaissais pas… » Un bon moyen de m’évader un peu, de rêver… Ce que j’apprécie faire encore aujourd’hui à travers mes lectures… Avançant jusqu’à l’une des étagères, je parcours des yeux la tranche des nombreux livres qui y sont rangés, cherchant un livre à lui proposer. Tout en gardant un œil sur les livres, je lui demande alors « Et vous ? »
L’endroit est si beau, et si paisible que Jordane se sent d’un coup totalement rassuré. Et si ce n’est pas réellement la présence de Victor qui la gêne c’est plutôt le fait d’être simplement à ses côtés. De voir à quel point il semble si bienveillant, gentil et doux avec elle. Oh elle n’est pas stupide, elle sait qu’il fait cela pour être poli, après tout, il ne la connait pas et elle non plus d’ailleurs. Mais curieusement, elle ne peut pas empêcher son cœur de battre un peu plus fort. Surement l’excitation d’être dans un endroit entouré d’autant de livre.
Victor lui indique alors qu’il aime les livres d’aventure. Voilà une idée des plus intéressante, elle n’a jamais vraiment eu l’occasion de lire ce genre d’histoire. Alors pourquoi ne pas tenter l’expérience “ Oh ! Je pense que vous avez raison, je vais essayer d’en trouver un " Et elle le suit, puis, une fois dans la bonne allée, elle se met à chercher. Au bout de quelques instants, elle se tourne vers Victor “ Est-ce que vous auriez un livre à me conseiller peut-être ? “ Si déjà il semble apprécier ce genre-là, il doit surement être le plus à même à lui indiquer un livre qui pourrait lui plaire “ Je dois avouer que je suis plutôt du genre, … histoire romantique “ finit-elle par lui avouer, le rouge montant à nouveau à ces joues.
Elle reprend ensuite ce qu’il lui dit, qu’il n’a jamais eu l’occasion de voyager et, forcément, curieuse comme elle est, elle demande “ Vous avez toujours vécu ici ? A Walla Walla je veux dire “ On ne pouvait pas dire qu’elle avait beaucoup voyagé non plus, mais depuis le début de la pandémie, elle avait tout de même visité un bon nombre d’endroit. Seulement, ils n’avaient plus du tout la même image qu’autrefois “ Tout à tellement changé depuis ces dernières années. Je crois que je regrette aussi un peu de ne pas avoir pu visiter autre chose que mon village “ Même si, au final, au bout de son année à Seattle, elle avait voulu rentrer chez elle. Sans sa famille ce n’était pas pareil en fin de compte.
Finalement au bout de quelques secondes supplémentaires à regarder la liste des livres, cette fois-ci dans l’allée des histoires d’amour elle en tend un à Victor “ Tenez, j’ai beaucoup aimé celui-ci “ et elle lui tend un livre intitulé Si je reste “ Le personnage principal fait de la musique “ Puis elle lui sourit. Une histoire triste, mais si belle quand on y pense. Elle continue ensuite “ Si vous voulez, on pourra en rediscuter ensemble une fois “ En tout bien ton honneur, évidemment.