Ce n'était pas fini... Abuser d'elle n'avait pas suffit à calmer ses ardeurs, il n'était pas completement satisfait et son sourire suffisait à signifier que je n'étais pas au bout de mes peines. En fait, ce n'était que le début de la tourmante et je ne le comprenais que trop tard alors que je captais enfin le couteau qu'il avait sorti de sa poche pour l'abattre sur les avant-bras de Nova, l'entaillant largement, profondément. Ses paroles ne parvenèrent pas jusqu'à mes oreilles mais j'imaginais bien un truc du genre "C'est à cause de toi." qui venait briser mon coeur au moment même où éclatait un éclair. Le fracas sonnait comme un gong dans mon esprit, me permettant de retrouver l'usage de mon corps après la stupéfaction. "Non, non, non, non ! Non ! NON !" que je répétais sans m'arrêter, comme un moteur pouvant me tirer de ce bourbier. Avec plus de force et de rage que jamais, plus encore que lorsque j'avais étranglé Eli, plus encore que lorsque j'avais tué Will, j'avais tiré sur mes liens pour les décrocher. Une vie était en jeu et ce simple fait avait décuplé des forces inconnues jusqu'alors. Etait-ce qu'on appelait la force du désespoir ? Sans doute. Ce désespoir me permettait de libérer mon corps et surtout mes mains, me permettait de tituber tant bien que mal jusqu'à l'innocente victime de ce cavalier de l'apocalypse.
Je tremblais. De froid, d'émotion, de fièvre, de peur, de peine. Je tremblais comme une feuille alors que le sang créait un halo rougeatre autour de ma comparse. "Tiens bon, je t'en supplie... Nova, tiens bon...." que je lui murmurais en réfléchissant rapidement à la meilleure décision à prendre. Compresser ? Oui, compresser ! Fallait faire ça, c'était la seule notion que je connaissais, de toute façon et c'était sans doute la seule chance que j'aurais d'empêcher le fluide de quitter son hôte. Me plaçant à genoux au dessus de sa tête, j'apposais mes mains sur ses balafres pour les maintenir. "Reste avec moi... S'te plait, reste avec moi, pars pas..." que je la suppliais alors que mes doigts se couvraient un peu plus de l'hémoglobine de la blonde. Au bout d'une bonne poignée de secondes, un léger mouvement me fit relever la tête de mes prières aux dieux maoris. Pâle, épuisée, souffrante, Nova était en aussi mauvais état que moi mais elle respirait. Difficilement mais elle respirait et ça me soulageait un peu, bien que je pouvais aisément comprendre que son état précaire n'avait rien de certain. Son regard capta le mien et j'accrochais mieux ses bras tandis qu'elle cherchait à se défaire de ma prise, me faisant froncer les sourcils d'incompréhension. "Je... Ne bouge pas, c'est grave, j'essaye de..." commençais-je alors qu'elle cherchait à se défaire encore de ma prise avec le peu de force qui lui restait. "Achève-moi," laissait échapper la femme d'un ton faible et brisé, résigné, même. "Quoi ?" Comment ça que je l'achève ? Qu'est-ce qu'elle voulait dire par là ? Si je meurs, il ne pourra pas m'échanger contre ton fils. finissait-elle d'argumenter en tirant encore ses bras vers elle pour me faire lâcher, ses yeux embués de larmes et sa gorge prise de sanglots qu'elle tentait de camoufler.
En une fraction de seconde, le monde s'écroulait. "Non. Je peux pas faire ça... Je peux pas te laisser mourir... J'aime mon fils tu sais, je l'aime vraiment mais il est en sécurité pour le moment et... Et toi... Tu... Je peux pas t'abandonner..." Ma voix se brisait aussi, mes yeux se remplissaient de larmes. Je constatais, une fois de plus, mon inefficacité, mon inutilité. Encore une personne souffrait à cause de moi... Une innocente personne qui voulait donner sa vie pour celle de mon fils. Je ne cachais pas plus mes sanglots, je ne retenais pas mes larmes et encore moins la peine que je ressentais. Si je voulais sauver mon petit garçon, il fallait que je sacrifie Nova ? Pourquoi est-ce que le monde était si injuste ? Pourquoi est-ce que le maître de l'univers prenait plaisir à nous maltraîter ainsi ? "Baisse pas les bras, on va s'en sortir, tu verras, on va s'en sortir..." J'en croyais pas un mot, j'pouvais pas y croire puisqu'elle refermait les yeux, de plus en plus affaiblie par cette sordide histoire. Jusqu'à maintenant, je n'avais que rarement ressenti de la tristesse ou de la culpabilité quand mon arme avait fait des victimes ou que mes mains avaient tués et pourtant, cette fois, ce soir, cette heure... C'était comme si le monde s'écroulait sur mes épaules. Dans un geste désespéré, je ramenais la militaire jusqu'à moi, je la serrai dans mes bras et laissais mon âme s'écouler contre sa chevelure rougie par son sang. Je n'arrivais pas à me résoudre... Je ne pouvais pas lui faire ça, je ne pouvais pas lui couper le fil de la vie... Et pourtant ça devait être la solution logique, abréger ses souffrances mais comment ? Comment réussir à commettre un si grand crime ?
L'amertume envahissait ma bouche, mes larmes redoublèrent alors que je serrais un peu plus la femme contre ma poitrine, mon visage s'enfonçant un peu plus dans sa chevelure pour qu'elle ne se sente pas seule pour son dernier voyage. "Pardon... Pardon... Je suis désolé..." lui soufflais-je à l'oreille constamment, renouvelant mes mots d'excuse, à en perdre le souffle, le ventre se tordant dans tous les sens, la gorge douloureuse. Je voulais la ramener chez elle, auprès des siens, la voir sourire en coin, entendre ses paroles. Je ne la connaissais à peine et pourtant j'avais l'impression qu'on venait de me voler une soeur, une amie, une confidente, qu'on venait de me voler une partie de mon coeur...
Le dernier souffle de Nova se fait dans le creux de tes bras. Vidée de son sang, elle s'affaiblit, se fait soudainement si froide. Ses derniers mots sont pour toi, comme la promesse qu'elle t'a fait en apparaissant dans cette pièce. Je peux encaisser. Tu ne la relâches pas malgré la mort qui la consume. Si marqué, tu n'entends même pas Luke revenir au bout de plusieurs longues minutes. C'est lui qui te trouve dans cet état, et une grimace dépitée cerne son visage.
Il semble comprendre qu'il vient de merder, un peu, dans l'idée. Un soupir frustré plus tard, il dégaine son arme, et sans attendre, flanque une balle dans le crâne de la militaire pour s'assurer qu'elle ne reviendra pas. Jusqu'au bout, tu m'auras fait chier, marmonne-t-il, frustré. T'avais qu'un putain d'job à faire pour la sauver, et t'as réussi encore à te planter en beauté, bordel, tu sens la colère grimper en lui, l'agitation avec. Tu me le paieras, ça, seule certitude qu'il peut te confier.
Le monde venait de perdre une couleur, une saveur, un souffle. La nuit effaçait une étoile, une planète, un univers. Qu'on fige le temps, qu'on arrête les mers et rivières. Qu'on libère les pleurs, qu'on entende les suppliques. Elle n'était plus. Dans mes bras, la froide endormie reposait, presque paisible malgré la griffure du mal en sa chaire. Nulle croix de bois pour elle, nul tombeau, nul cercueil à remplir. Pas un dernier domaine où reposer, où la visiter. Son corps venait petit à petit peser lourd, sans doute son poids doublé par la chape de culpabilié avec laquelle je l'avais recouverte, son visage fermé, parsemé de mes larmes salées. Mes mains tenaient encore ses bras, bloquées contre ses blessures, pour tenter d'éviter qu'elle ne se vide de son sang, pour qu'elle me revienne et me dise qu'elle allait bien. Je ne jalousais pas sa liberté acquise, je pleurais juste les conditions de son obtention. Ne serait-elle pas plus heureuse, loin de ces guerres de clans, d'égos ? Ne serait-elle pas plus belle, loin de cette sauvagerie qui l'avait assassiné ? Ne serait-elle pas plus vivante, dans un monde apaisé de nos péchés ? Peut-être mais tout ce à quoi j'aspirais, c'était au bonheur d'entendre à nouveau sa voix, sentir son coeur battre, son souffle soulever sa poitrine. Elle n'était qu'une étrangère mais dans cette petite pièce sombre et ténébreuse, elle était devenue ma famille, ma vie, un être cher et aimé.
Comment ? Comment pouvais-je accepter une fin si violente alors que le début avait été si rapide et l'histoire si brève ? Nova était cette petite fleur dans un milieu aride, cette étincelle dans la noir, cette once d'espoir quand la porte de la prison se fermait. Je ne la connaissais pas et pourtant, cette pièce témoignait de notre lien, de notre détresse, de cette colère contre notre bourreau. Bourreau dont les pas résonnaient sur le sol, dont la force ouvrait le passage vers une sortie inaccessible. Cet assassin, cette engence démoniaque qui n'en avait que faire du deuil, de la peine et de la rancoeur. Sans crier gare, sans plus d'humanité, l'individu mit définitivement fin aux jours de la militaire, me faisant sursauter, me sortant de ma torpeur quand la balle vint éclater le crâne de la disparue. Tremblant d'incompréhension et de rage, je relevais les yeux vers Luke. Il venait de réduire à néant mes faux espoirs, venait de marquer la fin d'un tout, la fin d'un recueillement, sans émotion, sans regret, sans compassion. Ses mots eurent l'effet d'une douche froide, d'un seau de glaçons me tombant durement sur la tête et le dos, sa voix avait l'effet d'un couteau qu'il me plantait à mille et une reprises dans les côtes, tournant et retournant la lame dans ma chaire pour être certain que je m'abaisserai à ses pieds pour les baisers. J'étais libre, pourtant. Et ça, même s'il semblait désormais en colère, il avait l'air de s'en foutre royalement. J'étais libre. J'étais libre de riposter, d'attaquer, de me venger...
Repoussant délicatement le corps inerte, je baissais la tête alors qu'il m'affligeait et me menaçait. Je le paierai, oui. Mais s'il n'avait plus personne à punir pour me blesser, oserait-il seulement me tuer ? Et s'il le faisait, c'était l'assurance de perdre son précieux chef. Cette fois, mon corps s'élançait de lui-même, se dirigeant vers Luke qui eut un mouvement de recul tardif, me permettant de lui tomber dessus. Dans un hurlement de haine, je relevais mon bras pour venir l'abaisser sur son visage mais le coup ne parvint jamais jusqu'à lui, me touchant même au niveau de mon flanc aux os brisés. Cette fois, un gémissement s'étirpa de ma gorge, me forçant à me rouler sur le côté pour canaliser la douleur, tout en cherchant la force de me relever pour venir riposter. Si mon attaque parvint jusqu'à lui, je ne le savais pas mais la sienne, en tout cas, me stoppait. Je finissais écrasé sur le dos, haletant, transpirant, épuisé par cette interminable session de torture, physique et psychologique. Pas besoin de parler, de rouspéter, d'insulter, ma voix ne pouvait plus transmettre mes pensées. Mon visage se tournait vers le corps inerte et ma main glissa jusqu'à celle de la morte. Sa froideur me rappelait à la réalité. Elle avait donné sa vie pour Takeo. Elle avait encaissé pour lui, pour que cette ordure de Sinner ne puisse jamais apercevoir son visage ou toucher un de ses cheveux.
Je n'avais plus envie de me battre. Je n'aspirais pourtant pas à la paix. Le répit. Le répit était tout ce don j'avais besoin, pour l'instant. J'avais besoin de m'évader, de souffler, de mourir intérieurement pour revenir. Pas comme un phoenix revenant à la vie mais comme un fantôme suivant le damné qui l'a invoqué. L'heure n'était plus à la bagarre, elle était à la réflexion. A l'agonie morale. Je comprenais alors que cette bête infernale, combattant de Lucifer, n'avait rien à prouver quant à ses capacités. Il savait comment briser. Je comprenais cette emprise qu'il avait sur ma femme, sur ses cauchemars, son corps. Je comprenais comment il avait pu me l'enlever et combien il me serait difficile de réparer chaque fissure qu'il lui avait causé. Un léger sourire naquit sur mes lèvres lorsque je pensais à la japonaise, d'ailleurs, puis un rire. "Tu as perdu." laissais-je échapper dans un murmure. Malgré mes blessures, mes fractures mentales, mes difficultés, il ne m'avait pas modelé, il ne m'avait pas légumisé. J'étais encore maître de moi. Pour combien de temps ? Ca n'avait pas d'importance puisque je résistais et je comptais bien le faire jusqu'à la fin de mes jours. Il avait perdu pas sur le plan physique, c'était vrai, pas encore du moins mais il fallait avouer que sa défaite était délicieuse, tel un bonbon aux roses fondant sur la langue. Il avait perdu parce qu'il ignorait tout de la force des Fuckers. Il avait perdu parce qu'il pensait encore pouvoir dominer Tori et combien même c'était vrai, ne fallait-il pas se méfier de l'eau qui dort ? Tori était un chaton mais les autres... Ils étaient ces tigres et ces lions qui rugissaient et attaquaient. Oui, il avait perdu... D'une façon ou d'une autre, il finirait au sol et je comptais bien être celui qui lui arracherait le coeur, à la fin...