The Walking Dead RPG

Comme à son habitude, aucune expression ne perturbait les traits de June pendant que son invité, enfin assise, se confiait plus en détail. Elle sirotait simplement son thé, l’étincellement de son regard symbolisait l’intention qu’elle prêtait aux mots de Zelda. Ceux-ci étaient enregistrés, évalués, mesurés. La toile était tissée et quelque part, l’adolescente s’y était déjà fait prendre.

- Le traitement a pour but de t’aider à mieux gérer ton comportement et à te permettre de te sentir mieux en société, car la gamine pouvait dire ce qu’elle voulait : elle ne devait pas être plus heureuse quand l’essentiel de ses relations aux autres se résumaient à des conflits, il faut laisser du temps au traitement pour faire une vraie différence, mais je t’assure que tu pourras toujours te confier à moi. Si on sent que ça ne va pas dans le bon sens, je parlerai à Zi pour ajuster la méthode.

Sur cette dernière affirmation, sa voix s’était faite réellement plus humaine, plus accessible. Au fond, ce n’était toujours pas faux : l’avocate avait besoin d’une Zelda fonctionnelle. Pour cela, il fallait que son encadrement psychiatrique soit le plus performant possible et que les résultats soient au rendez-vous. Quant à sa « chance », la quadragénaire fit exprès de faire trainer le suspens. Encore une fois, ce n’était pas à une enfant de lui imposer son rythme. June avala donc une grande rasade de thé, puis expliqua :

- Avec la ferme, Kitsap et les autres alliances qu’on est amenés à nouer… les risques de trahisons, de complots ou de maladresses sont multipliés, c’était un fait naturel, il n’y avait aucune accusation là, j’ai besoin de quelqu’un de vraiment fidèle, mais qu’on ne soupçonnerait pas, pour être mes yeux et mes oreilles partout sur le terrain.

Et à l’heure actuelle, l’adolescente était la candidate parfaite. Tombée en disgrâce, personne ne la penserait chargée d’une mission si importante. Elle n’était plus qu’une jeune femme violente, malade voire ingérable, pour beaucoup de gens. La rouquine avait de très bons éléments parmi ses responsables, tous ayant largement prouvés leur fidélité, mais tous étant également des suspects parfaits si la présence d’un « espion » devait être soupçonnée.

- Je veux savoir tout ce qui se passe, tous les noms, toutes les décisions, tout ce qui peut nous affecter de près ou de loin, résuma-t-elle, mais évidemment, il y a des points à respecter, June posa sa tasse et joignit ses doigts devant elle, d’abord, la discrétion, Zelda, elle appuya fortement ce terme, parce que ça n’avait jamais été le fort de la concernée, personne ne doit connaître le rôle que je t’ai confié, d’ailleurs, ce soir, je t’ai simplement fait venir pour parler de ton traitement, ses dires furent appuyés d’un regard entendu, ensuite, ton comportement. Que ce soit avec les membres de Fort Ward qu’avec nos alliés, si j’entends parler de la moindre tension injustifiée dont tu aurais été la source, le deal est caduque, il y eu un blanc, puis elle précisa : cela veut dire que cet accord n’aura jamais existé.

Et si cela devait arriver, en cas de litige, ce serait sa voix contre celle de l’avocate. La voix d’une adolescente arrogante, insolente, menteuse et schizoïde, contre celle du leader de Fort Ward. Difficile de se demander qui était en désavantage.

- Mais si tu es efficaces, alors tu pourras avoir d’autres responsabilités en temps voulus.

Des si, des si et encore des si...

Tout est toujours sujet à conditions, avec June. Et l'offre que cette dernière vient de lui faire est loin d'être à la hauteur de ce qu'elle espérait. L'australienne tapote nerveusement l'extrémité de l'accoudoir. Si tu n'entends pas parler de moi... Si je me montre efficace... Tout ceci dépend entièrement de l'appréciation de la rouquine. Un seul faux pas pourrait coûter des semaines d'efforts à l'australienne, et elle le sait. C'est le genre d'accord qui fait rêver les naïfs.

Et naïve, Zelda, elle ne l'est plus.

Je n'suis pas intéressée ! Parce qu'elle n'a plus envie de croire en des chimères. Et parce que sa loyauté n'a jamais vraiment chancelé malgré sa disgrâce. Surtout que c'que tu m'demandes, je l'fais déjà ! Zelda lui transmet les informations qu'elle glane depuis le jour où elle l'a convoquée pour la première fois dans son bureau, et lui a demandé d'être son espionne. L'adolescente a toujours suivi cette mission. Et la rouquine ne devrait pas oublier que déjà à l'époque, elle n'avait pas hésité à trahir jusqu'à Clayton. Ou les gens du Ranch, même, auparavant.

L'adolescente se penche sur le canapé et hausse les épaules. C'est dans ce genre d'instant qu'elle se rend compte du chemin parcouru. L'ennui c'est qu'elle ne sait même pas si elle peut mettre tout ça sur le compte de son caractère qui s'affermit ou sur celui des médicaments que Zi lui prescrit. Peu importe. Elle n'a pas l'intention d'acheter du vent. Et si j'devenais plutôt ta femme de main ? ose-t-elle finalement demander. En se forçant à soutenir le regard d'émeraude de sa mentor. Tu sais très bien que j'te suis loyale. Et c'que j'vaux. Alors ouais, j'veux faire le sale boulot ! Et June aurait tort de croire qu'il s'agit d'un simple caprice, ou d'une requête irréfléchie. Elle sait très bien ce que c'est, de

Sans vraiment s'en rendre compte, par mimétisme, Zelda se saisit de la tasse que lui a servie la rouquine et la porte à ses lèvres. Je suis la candidate idéale. Tu l'as dit toi-même; personne me soupçonnerait... Et j'te garantis que mes mains n'tremblent plus, maintenant, quand j'dois appuyer sur la détente ! Elle doit le savoir, si elle continue à lire les rapports de mission. Elle a tué Jaimie simplement parce qu'elle craignait qu'il livre des informations à l'ennemi. Que pense-t-elle qu'elle serait capable de faire à quelqu'un qui représente une quelconque menace pour Fort Ward, et sa tête pensante?

Mais l'australienne n'a pas dans l'idée d'argumenter plus que de raison. Elle estime que sa demande est légitime, et étayée. Ou alors tu peux refuser, estimer que je suis toujours cette petite idiote qui gâche son potentiel et m'ignorer pendant une autre année... Un masque d'indifférence se dessine sur le visage de l'adolescente. L'armée lui plaît et le temps passe vite. L'attente ne ressemble plus vraiment à punition. Surtout maintenant qu'elle s'est transformée en habitude. C'est ça, mon offre... indique-t-elle simplement, du bout des lèvres, se détournant de la défiance.

Tu savais que Zi estime que j'ai un grand manque effectif ? poursuit-elle dans la foulée, désireuse d'énoncer un dernier fait avant que la rouquine refuse son offre. Elle a pas tout à fait fort... Mais j'ai surtout besoin d'un symbole ! C'est une conviction intime, quelque chose qui l'a d'ailleurs aidée à tenir au fil du temps. Et c'est toi, ce symbole ! Ou plutôt, la place qu'elle occupe. À défaut de pouvoir l'aimer comme une mère, Zelda a appris à l'idolâtrer pour ce qu'elle représentait. Elle voit aujourd'hui plus loin que June, tout comme June voit plus loin qu'elle. N'est-ce pas ce qu'elle désirait ? Laisse-moi t'aider... Vraiment l'aider. Pas comme elle le souhaiterait mais comme l'australienne se sent le plus apte à le faire. Mais pour ça faudrait-il qu'il y a ait de la confiance..

Un étrange sourire fendit le visage de June. Une expression indéchiffrable, face à l’audace de l’adolescente qui osait demander plus/ C’était bien la première fois que Zelda tenait tête, qu’elle se montrait sérieusement ambitieuse, qu’elle ne pliait pas. Dans un certain sens, c’était plaisant, car cela signifiait qu’elle avait assimilé les leçons qui lui avaient été données. De l’autre, il lui fallait analyser s’il s’agissait de conviction ou d’insolence. Il n’y avait qu’une réponse qui représentait une bonne nouvelle.

- Qu’est-ce qui te fait croire que j’aurais besoin d’une « femme de main » ? Rétorqua-t-elle.

Son sourire s’effaça, l’avocate s’enfonça dans le dossier pour évaluer le comportement de son invité. Jusqu’à maintenant, la quadragénaire avait toujours refusé l’idée d’une garde rapprochée. Denis avait sécurisé sa maison, c’était bien suffisant. Quant au fait de se salir les mains, elle était capable de le faire elle-même – et tenait à accomplir sa part, lorsqu’elle était requise. On ne l’accuserait pas de se cacher derrière d’autres pour faire certaines basses besognes, et surtout pas derrière une enfant.

- Admettons. Que je puisse avoir besoin d’un genre de service plus… létal, ironisa-t-elle, en résonnance aux propositions de Zelda, les conditions seront les mêmes, tu devras être disciplinée. Jusqu’où serais-tu prête à aller ?

A ce propos, June n’était pas sans idée. A l’époque à laquelle ils vivaient, il y avait toujours quelqu’un à tuer ou à espionner, quelque part, pour en tirer un avantage. Et ce n’était pas faux non plus qu’un assassin avec le visage d’un enfant serait un atout que peu saurait voir venir. En vérité, la jeune femme avait son capté son intérêt par son audace, même s’il faudrait évidemment encadrer ce potentiel investissement. Moralement, il y avait un paradoxe à demander que Zelda soit suivie pour remédier à ses comportements violents, mais exiger d’elle qu’elle devienne une hit girl.

- Et puisque tu parles de ton manque affectif justement : qu’en est-il de ta mère ? Elle n’avait pas rebondit sur la confidence, elle n’avait jamais abondé dans le sens des déclarations adoratives de l’adolescente, je pensais que tu voulais la revoir pour la ramener avec toi, et non seulement tu reviens sans elle, mais en plus, tu veux tuer des gens en mon nom, c’était complètement le jour et la nuit, il fallait en convenir, je n’ai pas eu l’impression qu’elle appréciait tes nouvelles compétences pourtant, euphémisa l’avocate.

La vraie question, c'est plutôt pourquoi tu t'priverais d'en avoir une...

Zelda n'a pas envie de tomber dans le piège de la rhétorique et d'expliquer à June ce qu'elle sait pertinemment. Les choses ont pas mal évolué ces derniers temps et les alliances se multiplient. Le patchwork de survivants à Kitsap le prouve d'ailleurs aisément. Maintenant on fait la guerre à l'échelle d'un État, et avec des gens à qui ça m'étonnerait beaucoup qu'tu fasses confiance. L'australienne lâche un léger ricanement puis hausse les épaules. Il y aura forcément des pions qu'tu voudras plus voir sur ton échiquier à un moment où à un autre... Des gens qui ne se feront pas acheter par des promesses ou de beaux sourires.

Et l'australienne se dit qu'elle a sans doute vu juste dès que June s'aventure dans le jeu des hypothèses. Quelque peu surprise de ne pas avoir essuyé un refus d'entrée de jeu, elle se redresse sur son siège tout en écoutant la rouquine lui indiquer qu'elle devrait quoi qu'il en soit faire preuve de discipline. Et lui demander jusqu'à où elle serait prête à aller. Aussi loin que tu m'demanderais d'aller... répond-t-elle en haussant les épaules. Ce n'est pas à elle de fixer les limites. Elle s'accorde pourtant un instant de réflexion supplémentaire avant de finalement hocher la tête pour confirmer ses propos. Ouais, elle s'est quelque peu délestée de son sens moral et il y a peu de choses qu'elle refuserait de faire pour défendre la vision incarnée par Fort Ward. Pour ainsi dire rien.

Pourtant la rouquine conserve le mystère et préfère maintenant s'attarder sur la relation de l'australienne avec sa mère. Comme il fallait s'en douter, June a gardé un oeil sur la situation. Zelda lâche un petit soupir et se laisse tomber en arrière dans le canapé. Disons que les choses n'se sont pas passées exactement comme je l'espérais... tente-t-elle d'éluder. Sans succès, puisqu'elle sent le poids du regard de l'avocate. On a besoin de temps pour s'apprivoiser, c'est tout. On a toutes les deux changé et... il faut qu'on s'accepte mutuellement. Les histoires de famille sont toujours complexe. Et spécialement dans ce contexte.

L'adolescente estime qu'elle en assez dit, en tout cas. Et elle suppose d'ailleurs que la question de la Boss ne se limitait pas purement à l'aspect affectif de sa relation avec Lara. Mes compétences et mon avenir n'regardent que moi ! Même si ça fait mal, elle estime qu'elle a l'âge de s'émanciper de la femme qui l'a expulsée de Fort Nisqually. Et qui entend visiblement se consacrer aux siens plutôt qu'à sa propre fille. Et puis quelque part elle un peu piquée au vif, Zelda, a l'idée que son interlocutrice puisse croire qu'elle n'a pas coupé le cordon ombilical. Je n'suis plus une gamine qui craint les ordres de sa mère mais une survivante qui obéis à ceux qu'tu lui donnes ! Car c'est bien ce qui l'inquiète, non ? Que la réapparition de sa génitrice vienne compromette sa loyauté ?

Zelda finit par se pencher en avant, comme pour mieux observer la femme qui lui fait face. June l'aura fait souffrir, c'est certain. Elle l'a privée d'un doigt et plus encore, lui a tourné le dos pendant une longue année. Mais Lara, en quelques instants, s'est montrée bien plus cruelle encore. Alors ouais, le choix est malgré tout plutôt vite fait... Je croyais qu'mon traitement n'était qu'un prétexte pour justifier ma présence ? se sent-elle finalement obligée de relever. Est-ce qu'elle compte vraiment lui poser des questions dont Zi a déjà consigné les réponses ? Alors ? insiste-t-elle dans la foulée, bien décidée à obtenir une réponse claire à son ambitieuse requête mais aussi à s'écarter de ce qui relève de son intimité. Tu m'la donnes, cette chance ? Ou tu préfères qu'on continue d'parler de c'que tu as fait de moi, et de c'que la psy en dit ? Car après tout ce qui lui a valut cette place dans le bureau de Zi, c'est surtout son désir de voir briller une once de fierté dans le regard de June.

- Je suis sincèrement ravie de l’entendre, dit-elle de la déclaration de la jeune femme, lui affirmait que sa loyauté lui était plus acquise qu’à sa mère.

Et certes, June voyait tout le potentiel de Zelda. Elle l’avait eue sous les yeux depuis le début, elle l’avait vue dans les rapports de mission. Cette adolescente avait été formatée, forgée dans la violence et des horreurs qu’elle n’aurait probablement jamais dû voir ni faire. S’il y avait un doute qui taraudait l’avocate, c’était… combien de temps avant qu’elle ne soit hors de contrôle ? L’adolescente devait – et pouvait – être utilisée, mais elle devait surtout être encadrée.

- Tu peux te considérer comme spécialement à mon service, répondit-elle à l’ultime question de son invité qui s’impatientait, mais tu n’en sauras pas plus pour l’instant.

Ce qui était par ailleurs normal. Si Zelda voulait être une exécutante, une main létale, alors qu’elle devrait apprendre les règles du jeu. Et dans celle-ci, il n’était jamais question de dévoiler le fond du sujet à ses employés – encore moins quand ils n’étaient qu’à l’étape de réflexion. Et toute la frustration du monde de la part de la jeune femme ne changerait rien : ce ne serait pas aujourd’hui que la rouquine se ferait amadouer ou forcer la main par une enfant.

- Je te tiendrai informée, soit prête à bouger dès que je te le demande. Est-ce que c’est un problème ?

Autrement dit, qu’elle sache que quel que soient ses plans, personnels comme communautaires, ils étaient forcément moins importants que ce que June lui demanderait. Ils seraient largement moins secrets. Mais quoi qu’elle en pense et quoiqu’elle en dise, Zelda serait en période d’essai, avant de mériter un CDI de confiance. Et d’ailleurs, l’avocate avait une petite mise en garde à lui faire.

- Je constate ce que j’ai fais de toi, elle avait volontairement repris les mots de la concernée, et je suis fière de voir ce que tu as appris. Toutefois… il faut que tu restes vigilantes : Icare a voulu voler trop près du soleil, et on sait tous ce qui lui est arrivé.

Dans cette métaphore, la rouquine pouvait être le soleil, ou le dieu qui l’avait condamné,… comment savoir.

Tant mieux ! Parce que c'est la seule fois qu'tu l'entendras...

Zelda ne pensait pas devoir faire un choix. Elle s'imaginait un monde dans lequel Lara et June auraient pu cohabiter pour elle, où elle n'aurait pas eu besoin de se décider. Un monde dans lequel sa mère serait venue vivre à Fort Ward. Mais les circonstances sont bien différentes de ce que l'adolescente espérait. Et la stabilité qu'elle espérait enfin obtenir n'était qu'une autre chimère. Alors oui, c'est la seule fois que la Boss l'entendra dire qu'elle mérite davantage sa loyauté que cette femme qui a préféré rester à Fort Nisqually et l'en expulser, par-dessus le marché. Parce que si ces mots sont justes il la renvoient aussi à ses propres déceptions.

L'australienne observe un coin de la pièce d'un air quelque peu absent. Pas parce qu'elle craint plus que d'ordinaire de soutenir le regard de June, mais parce qu'elle n'a pas envie que celle-ci puisse lire les doutes qui l'assaillent. Zelda fait de son mieux pour les balayer. Et ne pas opposer les deux femmes de sa vie dans ses pensées.

Elle a fort heureusement des raisons de se réjouir. Parce que June n'est pas ingrate et semble vouloir récompenser sa loyauté en retour. Zelda tente de modérer son air surpris lorsque son interlocutrice lui annonce qu'elle peut se considérer comme spécialement à son service. Sa joie se heurte toutefois à la frustration de ne pas pouvoir espérer d'informations supplémentaires sur ce poste. Mais insister alors qu'elle vient d'obtenir gain de cause ne la mènera pas plus loin. Elle doit apprendre à se contenter de ce qu'elle a.

Non ! confirme-t-elle quand June lui annonce qu'elle devra se tenir à sa disposition, et lui demande si ça lui pose un problème. Appelle, et je rappliquerai dans la seconde ! Peu importe l'heure ou la météo, elle compte bien mettre le pied à cet étrier qu'elle a exigé, et que la rouquine consent à lui tendre. L'australienne a d'ailleurs hâte d'accomplir sa première mission. Ne serait-ce que parce que les mots n'ont jamais une bien grande valeur et qu'elle veut prouver à l'avocate fédérale qu'elle est digne de ses ambitions à travers ses actes. Je n'te décevrai pas ! assure-t-elle néanmoins, à crédit, avant de pouvoir joindre le geste à la parole. Elle y veillera !

Viens enfin l'instant où June lui annonce qu'elle est fière de voir tout ce qu'elle a appris. Ces mots touchent l'adolescente en pleine coeur. Et c'est la première fois depuis le début de la conversation qu'elle semble vraiment déstabilisée. Si elle savait depuis combien de temps elle attend une forme de reconnaissance de sa part... Pourtant le compliment est assorti d'une mise en garde et d'un parallèle sur Icare.

Zelda masque un peu son trouble et hoche la tête. Par réflexe. Parce qu'elle déteste avouer qu'elle possède de nombreuses carences scolaires. Ouais, on sait bien c'qu'il lui est arrivé... L'adolescente pince un peu les lèvres et tente un instant de jouer le jeu. Avant de se rappeler que son interlocutrice la comprend bien mieux qu'elle se comprend elle-même. Mais du coup... Il lui est arrivé quoi, déjà ? Elle plisse les sourcils d'un air soucieux. Elle sait que cet Icare est un grec. Ou un mec de l'Antiquité, en tout cas. Mais qu'est-ce qu'il a déjà fait exactement, celui-là ?

Quoi qu'il en soit une explication ne serait qu'anecdotique. Ce qui les intéresse toutes les deux semble être le futur. Et le passé semble appartenir à une autre humanité. À des gens qui n'ont jamais vu les morts se relever pour combattre les vivants. Tu l'pressentais, pas vrai ? demande-t-elle après quelques instants de silence et de réflexion. Elle pose la question par habitude mais dans le fond elle a déjà une idée de la réponse. Qu'ça n'allait pas bien s'passer entre ma mère et moi ! Elle s'est demandée pourquoi June l'a laissée partir à Fort Nisqually. Elle a tout d'abord cru que c'était une manière de se faire pardonner ou de lui témoigner son affection. Mais la rouquine ne s'intéresse que fort peu aux attentes de ses administrés s'ils ne vont pas dans le sens de ses propres intérêts. C'était un test, tout ça ? Voulait-elle questionner sa loyauté envers elle, ou Fort Ward ? Si c'est le cas alors elle ne parvient pas réellement à s'en offusquer. Elle aurait sans doute agi de même si les rôles avaient été échangés...

- Pour s’échapper d’un labyrinthe impossible, Icare a fabriqué des ailes avec de la cire et des plumes, pour s’enfuir par les airs, résuma patiemment June, assez peu surprise que l’adolescente ignore cette histoire, il n’a pas su rester raisonnable, il a tenu a voler de plus en plus haut. Mais à trop s’approcher du soleil, ses ailes de cire ont fondu, il est tombé et il s’est tué.

C’était la version écourtée et rapide, mais Zelda n’aurait probablement ni la patience, ni l’attention, ni l’intérêt nécessaire pour l’histoire intégrale. Par ailleurs, l’avocate ne la connaissait pas si bien que ça : comme tout le monde, elle avait retenu la symbolique centrale. La quadragénaire prit son inspiration, et expliqua à son invité :

- La métaphore veut rappeler que même si on a des compétences, même si on a de grandes ambitions, il faut rester réaliste et ne pas chercher à aller au-delà de ce qu’on peut raisonnablement accomplir.

Autrement, la déchéance était violente. June était certaine que sa cadette devrait retenir cette leçon – mais elle était aussi certaine qu’elle s’appliquerait à ne s’en souvenir qu’à moitié. La conversation avait de toute façon dévié de nouveau sur la mère de Zelda. Preuve en était que cette dernière avait beau jouer la façade de celle qui n’était pas affectée par la situation inattendue avec sa génitrice, le sujet la travaillait toujours…

- Je te connais, Zelda, répondit finalement la rouquine, et je te rappelle que mon ancien métier consistait en partie à savoir cerner les gens, alors je n’ai pas mis longtemps à dresser le profil de ta mère, celui d’une femme aimante, dévouée, maternelle… tout son contraire, au final, je me doutais que vous ne seriez plus compatibles, conclut-elle d’un ton didactique, sans l’ombre d’une compassion pour la peine de l’adolescente, mais si tu n’avais pas fait l’expérience par toi-même, tu ne m’aurais pas crue. N’est-ce pas ?

Question rhétorique. June savait très bien que si elle avait empêché la jeune femme de voir sa génitrice, sur des arguments pourtant parfaitement rationnels, ça serait devenu une affaire d’état. Il n’y avait rien de plus imperméable au bon sens que l’esprit d’un adolescent.

- As-tu des choses à m’apprendre que je dois savoir alors ? Embraya-t-elle, faisant référence à des informations glanées sur d’autres lieux sous leur contrôle.