The Walking Dead RPG

Toute vérité n’était pas bonne à entendre. Ray venait de le comprendre. Je le fixai sans mot dire, avant d’hocher la tête en signe d’assentiment. Mieux valait qu’il s’évite des tourments supplémentaires après ce qu’il avait dû lui-même subir pour s’extirper de sa condition. « Tu as réussi à t’en sortir, ce qui prouve que c’est possible. Ton abnégation saura en inspirer d’autres, sois-en sûr. » Je lui offris un sourire encourageant avant de clore le sujet. D’autres me préoccupaient bien plus, comme la guerre qui faisait rage hors de ces murs.

Ray était devenu bien docile, à accepter sans détour de se joindre à l’effort de guerre à Glenwood. « Je croyais que tu sauvais des vies plutôt que d’en prendre. » C’était bien ce qu’il m’avait asséné, après la douche glacée qu’il s’était littéralement pris. J’avais bien noté le mépris qu’il pouvait éprouver pour les soldats qui assuraient pourtant qu’il soit en sécurité, comme bien d’autres. « Tu n’es pas fait pour ça, tu aurais dû refuser. » Ou au moins tenter de le faire. Si nous venions tous les deux à mourir, Lynn serait complètement esseulée.

J’hochai lentement la tête sans rien dire, quand il me confirma que la question ne se poserait plus une fois qu’il serait promu en tant que médecin. « Si on gagne la guerre, oui. » La perdre rebattrait les cartes, même pour le second district. Des derniers échos que j’avais reçu du front, ce n’était pas vraiment encourageant.

Mes traits se crispèrent un peu ensuite. Je baissai la tête sur mes mains croisées. « Le problème, quand on part… C’est qu’on ne sait jamais comment les choses vont se passer en notre absence. Je ne vais pas te mentir, Ray. J’ai passé les premières années à créer ce nouvel Eden avec les autres militaires, inspiré par la parole de l’Adonaï, et à étendre notre territoire… Et les suivantes à tenter de conserver ce que nous avons si chèrement acquis. Nous avons accueilli de nombreux réfugiés qui ont mis à mal notre idéologie. Nous les avons soignés, nourris, hébergés. Et maintenant qu’ils n’ont plus à se soucier de leur survie à l’extérieur, alors que nous continuons de mourir sur le front pour garantir leur sécurité… Ils nous crachent au visage. Ils réclament davantage de droits, de pouvoirs. Ils mettent à mal notre système. La répréhension doit se faire toujours plus forte, et les règles plus strictes. Je n’ai pas revu Glenwood depuis bientôt trois ans, car j’ai constamment été appelé pour calmer des émeutes et forcer les dissidents à rentrer dans le rang, que ce soit à George ou ici même. Peut-être qu’on ne rentrera de Glenwood que pour voir la situation empirer ici. »

“Je sais.” articule-t-il dans une moue navrée. Vrai que Ray n’a rien à faire sur un champ de bataille, pas plus qu’il n’a envie de s’y rendre. Mais il a le maigre espoir de ne pas tout à fait être un poids pour ses alliés. Et il aurait aimé que River, lui aussi, y croit. Ce qu’il lui dit là, c’est tellement loin de le rassurer…

Et le kiné se demande à quoi ressemblerait leur monde s’ils venaient à perdre cette guerre. Ce ne sont pas que les idées religieuses et autoritaires qu’elle emporterait, mais également tout ce confort de vie et leurs espoirs de progrès. Ray n’a aucune envie de retourner dehors, avec un flingue à la main et à manger un jour sur deux. Il n’y survivrait pas.

Il relève les yeux vers son mentor lorsque celui-ci reprend plus longuement la parole. Le discours est assez pessimiste ; et Ray comprend les appréhensions de River. “Ils sont ingrats.” Souffle-t-il quant aux personnes qui se rebellent contre le pouvoir qui les a sauvés. Lui-même, à vrai dire, se trouvait dans cette position paradoxale il y a quelques mois. “Je me suis aussi senti… oppressé, pendant un temps, avant de comprendre.” Fait-il plus timidement, comme un aveu. “Je…” il hésite et détourne le regard. Le jeune homme a beaucoup à se reprocher, et il aimerait vraiment se décharger de cette culpabilité. Mais elle aurait de lourdes conséquences, autant pour lui que pour celles et ceux qui ont été ses amis. Il se résout à souffler une généralité, “On a grandi dans une société trop individualiste. Je crois que certaines personnes ne réalisent pas que ce n’est plus compatible avec notre monde d’aujourd’hui. Ils pensent à leur propre intérêt avant celui du groupe.” Quitte à déstabiliser la vie de milliers de personnes pour une minorité d’insatisfaits. Il soupire, “Je suis du même avis que toi, tu sais. J’espère que ça n’escaladera pas…” Mais vu la tournure que semble prendre l’histoire, rien n’est moins incertain.

“Mais on ne part pas si longtemps. Enfin, j’espère.” Fait-il en relevant un regard interrogatif vers River. “Tu penses qu’il risque d’y avoir un nouvel attentat en notre absence ?” Cette perspective l’angoisse, bien sûr. Il craint pour la sécurité de Lynn et de Julian avant tout. Et ça l’écoeure de pouvoir mettre des visages connus sur cette menace.

Je le fixai longuement, sans mot dire. C’était normal d’être inquiet quand on partait pour la première fois en guerre, et sans doute que je ne venais pas de l’aider à relativiser. L’entraînement intensif sur ces prochains jours, avant le grand départ, arriverait à mieux le conforter que tous les encouragements que je pourrais lui faire. Je comptais bien prendre ce temps pour lui.

Par contre, je ne pensais pas qu’il se soucierait déjà de ce qu’il pouvait laisser derrière lui. Il m’ôta les mots de la bouche en jugeant tous ces rebelles particulièrement ingrats. Je lui offris un mince sourire quand Ray me fit part de ses doutes, désormais envolés. Le système en place avait réussi à faire des miracles avec lui, mais c’était aussi et surtout parce que ça venait de lui.

« Oui ? » Mon nouveau gendre semblait sur le point de dire quelque chose, mais il se ravisa bien vite. J’hochai lentement la tête en signe d’assentiment. « C’est vrai que l’individualisme y est pour beaucoup. Mais si nous voulons que l’humanité renaisse de ses cendres après ces terribles épreuves, nous devons suivre la parole dictée par l’Adonaï. C’est ce qui nous conduira au salut. » Quant à une potentielle escalade de violence… « C’est possible qu’on reste là-bas deux mois, six mois, un an… mais souvent, c’est entrecoupé. On est remplacé par des troupes fraîches. Fais en sorte de te rendre suffisamment indispensable pour qu’on ne te renvoie pas sur le champ de bataille. »

Du reste, je ne pouvais – et ne voulais – pas lui mentir. « Ray, la guerre fragilise le pouvoir mis en place. Quand les soldats sont partis mener une guerre hors de ces murs, les rebelles en profitent bien souvent pour agir. Alors ils vont tenter leur chance, c’est quasiment certain. Le plus grave serait que nous devions nous battre sur plusieurs fronts, parce qu’on serait obligé de céder à Glenwood pour revenir pacifier notre QG. Et si nous perdons des avant-postes, le risque est de revivre une famine comme lorsque Georges est tombé. Rien n’est sans conséquences. »

C’est possible qu’on reste là-bas deux mois, six mois, un an…
L’information se fraie un chemin dans l’esprit du kiné et lui fout un sacré coup de froid. Il n’a pas du tout envie de partir aussi longtemps. Certainement pas un an. Son regard s'arrondit un peu d’inquiétude face à River, et le conseil percute bien. Ray acquiesce : il tâchera de se rendre indispensable.

Il réfrène un soupir quand son beau-père lui confirme que les rebelles profiteront probablement de l’instabilité de la ville en leur absence. Sa gorge se serre, coupable. Ray détient probablement assez d’informations pour empêcher tout cela. “Qu’est-ce que…” il regarde autour de lui pour s’assurer qu’ils soient bien hors de portée des oreilles curieuses. “Qu’est-ce qu’il faudrait pour les empêcher de nuire ?” Leur donner une porte de sortie ? Céder à certaines de leurs revendications ? Pourvu que le plan ne soit pas d’envoyer un à un ses anciens amis au piloris… "On n'a rien, sur eux ?" Tente-t-il un peu plus directement ; même s'il s'en veut de manquer de transparence.

J’avais du mal à comprendre la question de Ray, et encore moins il voulait en venir. Que faudrait-il pour empêcher les rebelles de nuire au régime en place ? « Les arrêter. » Evidemment, non ? Ce n’était certainement pas ce qu’il voulait dire par là. Il précisa un peu sa pensée. J’hochai lentement la tête en réponse. « Pas grand-chose, non. Nous en avons arrêté certains, mais c’est impossible de démonter tout le réseau sans trouver leurs planques, leurs réserves, et surtout leurs leaders. Certains fournissent des contraceptifs, d’autres des bombes, ou encore du poison. S’ils ont moins de moyens d’agir, ils se contenteront de faire quelques graffitis sur une église, comme cette fille qu’Ashe a mordue au mollet. » Ma chienne releva la tête en entendant son nom prononcé, avec un sourire tout canin. « J’ai failli lui mettre la main dessus. » Je secouai la tête négativement. « On a quelques pistes, mais rien de concret. Les descentes étaient une bonne idée à la base, mais elles ont conduit aussi à des fausses accusations du voisinage. » Aucune solution ne me paraissait idéale. « On aurait surtout besoin de quelqu’un pour nous renseigner à l’intérieur même. » Je le fixai plus longuement, alors que l’idée germait doucement dans mon esprit. « Tu sais que tu ferais le candidat idéal ? » Avec sa thérapie de conversion, il pouvait aisément passer pour une victime du système auprès d’eux, et leur faire croire ce qu’il voulait. « Ce ne serait peut-être pas moins dangereux que d’aller à Glenwood, mais ce serait une façon aussi de te rendre indispensable ici, et de te propulser plus rapidement au sommet également. » Il avait encore le temps d’y réfléchir.

Un petit rictus nerveux lui crispe les lèvres à la solution trop brute de River. Tous les arrêter ne ferait que déplacer le problème, non ? Pire encore, certains pourraient être érigés en martyres… Mais la stratégie autoritaire semble bien ancrée dans l’esprit du militaire, autant que dans ceux des généraux, et Ray n’est pas en position de les remettre en question.

“Hm.” Il se doute de l’identité de cette fille mordue au mollet. Ray ne la porte pas spécialement dans son coeur, mais il ne se voit pas envoyer Elliot en prison, surtout pour quelques graffitis. Comme Mei-Lin, Arthur, Mason ou les autres ; malgré toute l’amertume qu’il ressent pour ceux qui l'ont abandonné à son sort, il ne souhaite ni leur souffrance, ni leur mort.

Ça le met dans une sale position, et River n’a aucune idée qu’il est en train de lui enfoncer le nez en plein dans ses contradictions.

“Ah ?” Lui, une taupe ? Il sent les sueurs froides perler dans sa nuque, espère qu’elles se fondent naturellement avec celles de l’entraînement. Alors que River développe son idée, le regard du kiné dévie brièvement vers Ashe, ressentant avec une désagréable précision toute l’horreur qui lui tomberait dessus s’il venait à trahir ce qu’il cache.

“Je ne sais pas si j'ai envie de m'en mêler autant. J'ai... déjà beaucoup à faire, et puis je ne suis pas un très bon acteur.” Un léger rictus navré en retrouvant les yeux de son beau-père. En vérité, sa réintégration dans la rébellion serait surtout difficile parce qu’il leur a clairement fait comprendre qu’il n’était plus des leurs. Mais ça, il ne peut pas le raconter à River… L'hésitation se lit sur ses traits, et il finit par souffler, "Tu penses réellement qu'ils suspendraient mon enrôlement à la guerre ?" Quelques mensonges pour éviter les balles et les rôdeurs... c'est tentant, bien évidemment.

« Je comprends. » J’hochai lentement la tête, sans mot dire. J’étais certainement un peu déçu aussi. Ray m’avait donné l’impression plus tôt de vouloir s’investir un peu plus dans cette lutte pour défendre ce havre de paix que nous chérissions tous les deux, mais il n’était pas encore prêt. Il se cachait derrière des prétextes pour ne pas avoir à se mouiller. Ce n’était pas plus mal au fond. Après sa thérapie, mieux valait peut-être qu’il continue de faire profil bas et se contente de faire strictement ce qu’on attendait de lui, sans prise de risques.

Je lui tendis la bouteille d’eau avant de me relever, faisant signe à Ashe qui se redressa dans le même geste. Mon regard revint se poser sur mon gendre, chez qui l’idée avait pourtant commencé à germer lentement. « C’est trop tard pour cette fois, mais si tu ne veux pas y retourner… c’est une solution provisoire intéressante en attendant d’obtenir ton diplôme de médecin. » Il n’aura à le faire qu’un temps. Selon les informations qu’il pourrait glaner, il était parfaitement possible qu’on lui accorde une dérogation. « En tout cas, tu pourras compter sur moi, peu importe ton choix. » Je lui offris un sourire encourageant. « Tu m’accompagnes au stand de tir ? » Ce n’était pas vraiment une question. Nous n’avions que trois jours pour se préparer, ce qui laissait affreusement peu de temps pour lui. Chaque minute comptait.