Sujet: Re: Filles de l'hiver Lun 14 Mar 2022 - 23:49
Si elle ne se mettait pas à rire à l’instar de Ruby, elle ne put s’empêcher de sourire à l’entendre. Et, peut-être un peu, de se sentir rassurée quant à sa place dans le groupe. Elle ne les avait pas vraiment rejoints de son plein gré, et eux ne l’avaient accueillie que pour qu’elle paye ses dettes. C’était donc, d’une certaine manière, réconfortant qu’il semble que ça ait dépassé tout cela, et qu’elle puisse plaisanter aussi naturellement avec la cheffe de leur groupe. Et, plus encore qu’elle semble accorder de la valeur à son opinion. Ça, la Canadienne ne l’avait pas du tout vu venir – surtout alors qu’elle se demandait ce qui les avait motivés à accepter Alaska en leur sein, sachant que son seul contact était Alice. Au fond, plus encore que la teneur de sa conversation avec Ruby, ce fait à lui seul prouvait qu’elle avait dépassé ce stade de dette et qu’elle avait réellement sa place avec eux.
Peut-être devrait-elle le regretter, alors qu’elle faisait actuellement face à un miroir d’elle-même, quand le reste de l’équipage avait voulu aller de base en base, à la recherche de leurs proches. D’informations, aussi minimes soient-elles. De la preuve de leur survie ou de leur mort. Elle grimaça malgré elle, alors que la déception prenait place sur le visage de Ruby, de même que l’inquiétude. « Tu ne peux pas affirmer ça. Je ne le peux pas moi-même. On est restés sur la côte, peut-être qu’ils se sont réfugiés plus à l’écart… au cas où. Peut-être qu’ils se sont suffisamment planqués, pour ne pas être à la merci d’autres survivants. » En tout cas, c’était une des nombreuses choses qu’elle s’était répétées, jour après jour, dans sa tête. Pour avancer. Avant d’essayer de se convaincre que, s’ils étaient morts, il avait eu au moins une mort rapide. Mais elle ne voulait pas, ne pouvait pas dire, se confier à ce sujet. Parce que Ruby pouvait espérer davantage. Ou ne pas digérer tout ça.
Elle baissa la tête à sa question, honteuse et aussi attristée. Même si elle regarda malgré elle Ruby à nouveau. « Parce que… Parce que j’ai eu peur qu’aucun n’ait survécu. Non, pire encore. Qu’ils aient été transformés, et que j’ai dû les achever. J’ai été lâche, mais c’était trop dur… Et… Je ne sais pas. Peut-être que j’ai besoin de ça. Que j’ai besoin de savoir. » Pour arrêter de s’accrocher à l’espoir idiot qu’ils soient en vie. « Qu’est-ce… Si tu retrouvais ta famille, tu leur dirais quoi ? » Et, est-ce que, l’une comme l’autre, elles ne seraient pas cruellement déçues ?
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CASIER DE SURVIVANT
Sujet: Re: Filles de l'hiver Lun 21 Mar 2022 - 12:01
Les informations d’Alice n’étaient bien entendu pas de premières fraîcheurs mais… Il y avait peu de chances qu’ils reviennent sur notre île natale s’ils avaient décidé de la quitter. Et ce serait encore plus compliqué de remonter ensuite la piste jusqu’à eux.
Mon cœur battait subitement plus vite, comme si je réalisais subitement qu’il avait pu s’en passer des choses en six ans d’épidémie là-bas. « Mais ça tiendrait du miracle qu’ils soient encore là-bas, en vie. » C’était peut-être plus facile de ne pas savoir. On pouvait s’imaginer ce qui nous convenait le mieux d’entendre, en niant la vérité aussi longtemps que possible.
Je relevai le regard vers Alice, quelque peu incertaine. La navigatrice avait eu l’opportunité de s’approcher de l’île, et même d’y accoster, mais c’était la peur qui avait été plus forte. Nous étions toujours en quête de vérité, mais les S.T.A.R.S étaient bien placés pour savoir que toute vérité n’était pas bonne à entendre. « Et maintenant, tu te sens prête ? » Peut-être qu’il lui avait fallu que les chances soient si minces que cet espoir fou se taise pour de bon. « On n’a plus grand-chose à en espérer alors... » Je marquai un silence un peu triste. « J’imagine qu’on s’est déjà faite une raison, toutes les deux. On ne pourrait avoir qu’une bonne surprise, tu ne crois pas ? » Je tentais de lui sourire en réponse, sans être réellement convaincue par ce que j’avançais. « Enfin, on risque plus sûrement de ne trouver aucune piste. S’ils sont morts, il ne doit plus rien en rester à l’heure actuelle. » Plus rien d’autres que poussières.
Je baissai le regard, subitement plus silencieuse. Je terminais le tri des pièces de rechange avant de me faire un petit panier avec celles qui étaient en assez bon état pour servir de nouveau. L’ultime question d’Alice me figea complètement sur place. J’écarquillai les yeux en la fixant, surprise. « Je n’y ai pas réfléchi. Et toi ? » Je marquai un temps d'arrêt. Ce serait si surprenant de les revoir, en chair et en os, que je ne m'étais même pas posée la question plus tôt. Si je retrouvais mes parents, ou encore mes deux frères… Que pourrais-je bien leur dire exactement ? « Que… Que je les aime, je crois. Et qu’ils m’ont tellement manqué. » La réponse était d’une rare évidence. C'était presque bateau à dire, et pourtant, ma voix se brisa un peu sur ses mots. « Je suis partie du Goldstream parce que j’en avais assez de vivre dans un lieu reculé de tout. J’avais des rêves plein la tête... qui me paraissent bien ridicules désormais. Je n’aurais pas dû les laisser. Tout aurait été si différent. » Je poussai un soupir en fourrant toutes mes trouvailles dans mon sac, prête à décamper du magasin. « Mais c’est trop tard pour les regrets. » Je me retournai vers Alice en atteignant la porte. « On ira ensemble ? J’aurais peut-être plus le courage de le faire si tu es avec moi. En tout cas, je me sentirais moins seule dans cette épreuve. »
Elle cligna les yeux, malgré elle, en entendant Ruby. « Peut-être mais… Est-ce que ça ne tient pas du miracle, de la chance insolente, d’un concours de circonstances qui se sont plus ou moins bien enchaînées, que qui que ce soit ait pu survivre ? Peut-être en ont-ils bénéficié aussi. Peut-être ont-ils été extrêmement prudents. Peut-être ont-ils trouvé le bon lieu où survivre. » Ou peut-être était-ce totalement l’inverse. Elle s’était convaincue de leur mort, en tout cas. « Même si, pour être honnête, je ne pense pas y croire. » Elle le savait, au fond d’elle-même, mais elle ne pouvait pas cultiver l’espoir de Ruby, si ?
Est-ce qu’elle se sentait vraiment prête ? Est-ce qu’elle pourrait seulement l’être un jour ? Elle mit un certain temps à répondre, les yeux fixés sur Ruby mais sans vraiment la regarder. Elle se revoyait dire au revoir à ses parents, et promettre de les appeler. Ça lui semblait tellement définitif, maintenant… « Plus que je ne l’ai jamais été. Et pas du tout en même temps. Mais… Je n’aurai peut-être pas à affronter ça toute seule, au final, si je le dois. » Parce que même si elle se demandait parfait quelle était sa place, dans ce groupe étrange, elle en avait une, non ? Et ils l’épauleraient.Elle ne put s’empêcher de sourire légèrement, un sourire manquant d’entrain, mais présent. « Sûrement oui. Une bonne surprise qui serait tellement inattendue. » Ou une mauvaise surprise, s’ils étaient là mais seulement l’image de ce qu’ils avaient été. Mais elle n’avait pas besoin de l’évoquer à voix haute – Ruby y pensait forcément sans qu’elle ne le lui dise. « On pourrait continuer de croire qu’ils ont une vie rêvée, dans ce cas. » Elle avait souvent fantasmé une vie paisible et agréable à sa famille, tout en sachant à quel point c’était absurde.
Ruby y avait-elle pensé ? La navigatrice ne le lui demanda pas, prenant quand même Ruby au dépourvu sans le vouloir. « J’ai imaginé mille scénarios, en réalité… Mais surtout que je fondais en larmes et que j’étais incapable de dire un mot, ce qui les aurait vraiment surpris. » Elle était surprise que l’ingénieure n’y ait pas réfléchi, même inconsciemment, tant ça lui avait été naturel à elle. « Je crois que je leur dirai que j’ai dû prendre un coup sur la tête et qu’il faut que je les pince pour être sûre que je rêve pas… Avant de leur dire que j’aurai jamais pensé qu’ils me manqueraient autant, aussi. » Parce qu’elle avait beau les trouver envahissants parfois, surtout quand ils se réunissaient tous les dix, sans compter ses neveux et nièces, il ne se passait pas un moment sans qu’elle ne ressente leur absence, même avant tout ça.
«Tu es partie pour vivre ta vie et faire ce que tu aimais, et c’est ce qu’ils souhaitaient pour toi non ? Personne n’aurait pu prévoir ce qui allait se passer. Tu… Quand est-ce que tu les avais vus pour la dernière fois ? » Imitant Ruby en rangeant tout ce qu’elle avait pu trouver d’exploitable, elle se figea à son tour, posant sa main sur un comptoir proche à sa question. « Je… Ça me ferait.. » Plaisir ? Non, ce n’était pas le mot. Pas vraiment. « Oui. Ça me donnera la force de le faire, à moi aussi. D’avoir quelqu’un qui peut comprendre… » Et peut-être que ça l’aiderait à prendre des décisions qui s’imposent, s’ils étaient là, s’ils étaient transformés, s’ils étaient reconnaissables.
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CASIER DE SURVIVANT
Sujet: Re: Filles de l'hiver Jeu 21 Avr 2022 - 20:03
Peut-être. Alice émettait quantité de suppositions, concernant le sort des nôtres, sans vraiment oser croire à aucune d’entre elles. Elle n’avait jamais eu l’envie auparavant de les confirmer ou les infirmer, pour savoir ce qu’il en était vraiment. L’incertitude avait du bon. On pouvait se contenter de détourner le regard, s’imaginer que tout allait bien. C’était faux. Ils avaient sans doute vécu les mêmes atrocités que nous sur le continent, et peut-être qu’ils erraient maintenant quelque part… sous une autre forme. C’était même le scénario le plus probable. Des maisons vides de vie, voilà tout ce qui risquait de nous attendre. Est-ce qu’ils avaient pu mieux s’en sortir, en étant sur une île ? J’avais un doute. L’île de Vancouver était particulièrement étendue, ce qui la rendait difficile à tenir.
J’avais l’impression qu’Alice m’accompagnerait là-bas, si j’étais prête moi-même à m’y rendre. Sinon, elle n’en ferait rien. Je n’étais pas certaine de vouloir prendre cette responsabilité pour elle, selon qu’elle risquait de trouver sur place. Elle était à la fois pleine d’espoir en l’avenir et complètement désabusé.
Parler de nos proches perdus me faisait plus de mal que de bien. Penser à ce que nous pourrions leur dire, s’ils étaient encore en vie, ne faisait que retourner le couteau dans la plaie. J’avais la gorge serrée en écoutant Alice m’exposer à son tour ce qu’elle ressentait, comme un miroir déformé de mes propres pensées. « Je les ai vus pour la dernière fois aux vacances d’été, quelques mois avant le début de l’épidémie. Je me souviens avoir été si heureuse de repartir. Mes frères me prenaient tellement la tête. Et, jusqu’à l’aéroport, ma mère était pénible à vouloir s’assurer que je n’avais rien oublié. » Une certaine culpabilité m’accabla subitement, à me replonger dans ces derniers souvenirs d’un autre temps, d’une autre existence. Je soufflai d’une voix faible, chargée par l’émotion : « Ils me manquent terriblement. » Je me retournais vers Alice, les yeux embués de larmes naissantes. Je parviens malgré tout à lui sourire. « C’est une promesse, alors. Nous irons ensemble à Victoria. » Et advienne que pourra.
Je rangeais les dernières pièces en bon état dans mon sac à dos. Je fis une dernière fois le tour pour être certaine de ne rien avoir oublié, attendant qu’Alice finisse de son côté. On avait de quoi faire pour un moment, avec tout ça. Je pouvais même espérer construire d’autres drones à partir d’un assemblage de ces pièces. « Ca fera l’affaire. On devrait rentrer. » Surtout qu’un rôdeur avait bien fini par frapper à la porte. On lui avait bien répondu qu’on n’ouvrait pas aux inconnus, il avait insisté davantage, jusqu’à ce que nous le délogions de là. C’était toujours moins pire d’en abattre un dans l’encadrement de la porte plutôt que de devoir le décoincer dans les pièges plus tard. Je confiais à Alice, une fois de retour à la maison, que j’étais plutôt heureuse de ne plus être la seule canadienne maintenant. J’avais la sensation qu’elle se sentait enfin chez elle, et que nous n’aurions plus à craindre de coups fourrés de sa part. Elle et moi partagions un passé et un futur commun, ce qui changeait toute la donne.