Comme à son habitude Mal venait de mordre la main tendue vers elle. C'était plus fort qu'elle, elle n'arrivait pas à faire confiance. Elle ne pouvait pas imaginer que quelqu'un puisse l'aimer ou l'apprécier sans vouloir en retour quelque chose qu'elle ne saurait donner ou pire, sans vouloir la trahir à un moment ou à un autre.
A moins qu'elle soit déjà en plein transfert ? Juste en train de projeter toutes les émotions négatives qu'elle avait dû encaisser jusque là sans pouvoir en parler à personne, en se jetant à la figure de celle qui précisément était là pour l'aider et dont c'était le métier ?
La femme ne bougeait pas et son regard neutre désamorçait la situation avant même qu'elle se mette à parler.
Mal écoutait boudeuse, à nouveau calée dans son siège.
En fait, la psy était comme tout le monde et avait adapté sa nouvelle vie de survivante à l'apocalypse avec ce qu'elle savait faire, y compris en tuant elle aussi. Alors pourquoi disait-elle ne pas savoir se battre ? Quand on tue, c'est qu'on s'est battu, non ?
Mais peu importe, la jeune fille ne la regardait plus. Quelque chose s'était cassé dans sa tête et Billie n'en était pas forcément responsable. C'était juste que tout devenait brumeux, illusoire, vain.
Les étiquettes nous enferment, coupa-elle,
elles nous emprisonnent surtout quand des gens en ont collé des fausses sur votre front. Avec les étiquettes il n'y a plus que deux solution: tu es ou tu n'es pas. Aucune autre alternative. Genre si je suis maigre et petite alors je ne suis pas forte, tu as des gros bras, alors tu es fort. Personne envisage qu'il puisse exister autre chose.Avec son pauvre vocabulaire et de façon maladroite, Mal tentait d'expliquer le problème de la pensée binaire avec laquelle la majorité des gens raisonnaient. Et elle soulevait également le sentiment d'injustice éprouvé quand on se sentait mal « étiqueté ».
La psy lui apportait une réponse: c'était à elle de savoir ce qu'elle valait mais malheureusement les préjugés avaient la peau dure et il était difficile voire impossible de se réhabiliter aux yeux de qui avait posé un jugement sur une personne quelle qu'elle soit, c'était du moins ce que pensait la jeune fille.
J'ai été prise dans des pièges et je n'ai pas réussi pas à en sortir. Conclut-elle sans pouvoir donner plus d'explications.
Billie avoua ne pas comprendre ce que vivait Mal et elle lui tint gré de cette honnêteté d'autant plus qu'elle-même ne comprenait pas non plus.
C'est pas que je ne veux pas en parler, c'est juste que je ne suis pas une balance, enchérit-elle.
Vous avez beau me dire que vous êtes une pro, je ne vous connais pas suffisamment pour vous confier certaines choses.
Et je suis calme.Elle l'était en effet. La psychologue avait-elle prononcé certains mots justes ? Sans doute.
Juste que je vous répète un truc: dès que j'en aurais l'occasion je descendrais Bill; ça, ça me fera du bien !Car il était beaucoup plus facile de focaliser sa haine sur un inconnu qu'elle n'avait jamais vu, à qui elle n'avait jamais parlé plutôt que déballer son linge sale avec des personnes aimées qui n'avaient pas été très clean.
Elle ne savait plus quoi dire à présent mais ne savait pas si elle pouvait partir. Combien de temps durait une séance ? Elle n'en avait aucune idée.