Arpentant le Discovery Park, le trentenaire avait prévenu Ansel qu'il ferait tour de surveillance avant d'aller chercher des vivres en ville. Il était parti relativement tôt et n'avait comme souvent croisé que quelques putrides. Le temps redevenait peu à peu un peu plus clément, lui permettant de ne plus mettre son gros manteau d'hiver et d'être enfin dispensé de son bonnet, et autant dire que l'ancien hommes d'affaires avait tendance à sortir relativement régulièrement, ne serait-ce que pour des broutilles. Retrouver Gabriel et obtenir vengeance ne l'avait en rien aidé à supporter sa phobie de l'eau et ce besoin presque viscéral de s'en éloigner était toujours aussi présent. Alors il était parti ce matin là, sac quasiment vide sur le dos, ses trois armes toujours sur lui, ne se détendant que lorsqu'il s'était enfin suffisamment éloigné du phare et de ces foutus clapotis que produisaient les vagues.

Il avançait donc tranquillement, attentif à tout ce qu'il se passait autour. Ses mains glissées dans ses poches, la gauche tenant son poing américain et la droite n'étant pas tant loin de son couteau et son Desert Eagle, il ne s'était pas fixé de point précis où se rendre. Qu'est-ce que ça changerait de toute façon ? La ville devenait de plus en plus morte et il était plus que délicat de supposer qu'il y avait encore des vivres dans tel ou tel endroit. La dernière fois où il avait trouvé un réel trésor était quand il était retourné dans son immeuble avec Rafael, les appartements autour du sien regorgeaient de nombreux vivres ; pour une fois, tous les richards qui l'entouraient auparavant avaient eu une quelconque utilité. Il doutait cependant de pouvoir retrouver prochainement autant de choses, la chance ne souriait pas tous les jours, surtout pas dans ce nouveau monde.

Après deux bonnes heures de marche, le trentenaire arrivait en plein cœur de la ville, éliminant sur son chemin les putréfiés qui se faisaient un peu plus nombreux. Il évita de justesse une horde aperçue au loin en se contentant de la contourner ; l'avantage de ne pas avoir de destination précise, changer de chemin n'avait rien de handicapant. Après une dizaine de minutes encore et ayant bien pris soin de contourner la horde, le blond s'arrêta dans une rue, devant une boutique qui semblait barricadée. Peut-être qu'il y avait encore quelque chose là-dedans ? Ou quelqu'un qui avait quelque chose ? Prudemment, il s'avança vers la porte et l'ouvrit, ne retenant pas un grognement d'agacement en entendant tinter la petite cloche au dessus ; quelques secondes à peine avant qu'il ne la stabilise, suffisamment grand pour la bloquer avec sa main. Qu'est-ce qu'ils avaient tous à foutre des sonnettes ou des carillons au dessus des portes d'entrées ? Il aurait pu simplement la décrocher mais jugea plus prudent de la laisser, au cas où quelqu'un d'autre s'amènerait ; quoi que s'il y avait déjà une personne à l'intérieur, il était royalement repéré.

Et il y avait en effet quelqu'un, mais cet être ne représentait pas un grand danger. Agitant ses bras putréfiés vers le trentenaire, le putride se retrouva rapidement au sol, la lame de son couteau de chasse dans le crâne. Et puis le silence. Bien, il pouvait enfin se mettre à chercher Dieu savait quoi. Zack fureta alors dans les rayonnages pendant de longues minutes, se promenant plus qu'autre chose mais l'intention y était, sans doute. Il dégota deux cahiers vierges qu'il glissa dans son sac pour Kyle, des piles pour son lecteur cd resté à la station et un paquet de chewing-gum. Rien de bien glorieux mais c'était toujours mieux que rien, sans doute.

S'il avait espérer pouvoir rester au calme, il s'était cependant bien leurré. Des râles se firent rapidement entendre à l'extérieur et, d'un petit coup d’œil à travers les lattes en bois qui recouvraient pratiquement toutes les fenêtres, le blond jugea plus prudent de rester à l'intérieur le temps que ces visiteurs s'en aillent. Ils ne remarqueraient pas sa présence ; l'avantage aussi d'être seul et silencieux. Retournant un peu plus en arrière de la boutique, l'ancien homme d'affaires fronça les sourcils en entendant un bruit assourdissant un peu plus au dessus. Quelqu'un qui fuyait ? Cela expliquerait la présence soudaine de ces putréfiés dans le coin. Il s'était arrêté net, sa main gauche reglissée dans sa poche autour de son arme, et la droite tenant la crosse de son Desert Eagle. Tendant l'oreille, il perçut des pas pressés dans les escaliers avant que la porte donnant sans-doute sur les-dits escaliers ne s'ouvre, laissant apparaître une jeune femme apparemment paniquée.

Plissant les yeux pour y voir un peu mieux dans la semi-obscurité de la boutique, Zack ne tarda pas à reconnaître la femme et autant dire que même s'il n'y croyait qu'à moitié, l'agacement se mêlait déjà à l'étonnement. L'entendant parler, il s'avança un peu, sortant ainsi de la pénombre dans laquelle il s'était calé auparavant. « Ashley ! Ça fait un bail, comment vas-tu ? » Un sourire avait étiré ses lèvres bien que ce ne soit qu'une façade, il avait néanmoins parlé d'une voix calme et relativement faible afin d'éviter que les morts à l'extérieur ne l'entendent. Pourquoi cette idiote était-elle encore en vie ? Comment avait-elle fait pour survivre aussi longtemps ? Sans doute qu'elle avait trouvé les bonnes poires pour la prendre sous leurs ailes.

La surprise était perceptible autant dans le regard de la jeune femme que dans son ton. Bien sûr, recroiser un visage d’une vie qui n’avait absolument rien à voir avec celle-ci avait toujours quelque chose de perturbant, rassurant et à la fois angoissant. La plus grande partie de l’espèce humaine avait été décimée et seuls quelques chanceux avaient encore l’opportunité de fouler cette terre ; chanceux ? Tout dépendait du point de vue. Dans un monde qui n’avait plus rien à offrir, le terme de ‘’chance’’ sonnait presque comme une blague. Et à chaque fois qu’un visage connu était retrouvé, les mêmes questions venaient à se poser : après tout ce temps, tout ce vécu, la personne a-t-elle changé ? Est-elle une menace ou une aubaine ? Tant d’inquiétudes qui laissent les concernés dans un sentiment un peu étrange de pseudo-joie mêlée à la méfiance. Le blond avait-il changé ? Pas tant que cela au final, il était toujours ce même connard égoïste dénué d’empathie, manipulateur et franchement condescendant mais ça, la brune n’avait pas besoin de le savoir. Souriant légèrement à sa réponse, il haussa les épaules. « Les temps sont difficiles pour tout le monde j’imagine » avait-il rétorqué d’une voix relativement faible afin d’éviter de se faire entendre par les putrides non loin. Certes, il ne répondait pas directement à la question qu’elle lui avait retourné, supposant simplement le fait que, comme tout le monde, il avait connu des hauts et des bas ; quoi que ces derniers temps, il connaissait pas mal de hauts, mais inutile de lui dire qu’il avait retrouvé son compagnon, sa meilleure amie, et descendu son ennemi. Mieux valait garder ces faits pour l’instant, ne pas en dire trop jusqu’à ce qu’elle pose elle-même ces questions.

Faisant quelques pas dans la boutique, le trentenaire s’arrête en entendant les mots de sa cadette, posant son regard sur elle avant de le reporter sur la porte, affichant une moue peu assurée. « Il va sans doute falloir que nous trouvions de quoi la bloquer un peu mieux, au cas où. » Est-ce qu’il s’en inquiétait réellement ? Pas tant que cela à dire vrai, le trop plein de confiance jouant sans doute pour beaucoup, mais une chose était certaine : si la situation se dégradait au point que les putréfiés n’entrent, il n’hésiterait pas une seconde à jeter la brune dans la foule et se tirer fissa. Hors de question de crever ici, ni même de crever tout court. Se remettant à avancer dans le but de trouver de quoi bloquer la porte, le trentenaire lâcha à son tour la pression autour de ses armes et se planta à côté d’une étagère, la toisant avant que la brune ne le sorte de ses réflexions. Reportant son attention sur elle, l’ancien homme d’affaires lui adresse à nouveau un petit sourire franchement sympathique. « Moi non plus mais pour être honnête, je suis rassuré d’être tombé sur toi et pas sur une dingue. » Si la supériorité flottait toujours un peu dans sa voix, son ton étant relativement engageant. La laisser croire qu’il était soulagé d’être tombé sur elle, que retrouver un visage connu lui faisait du bien et qu’il avait changé en mieux ; chose relativement aisé après plus d’un an sans nouvelles. Mais Zack n’oubliait pas, il se rappelait aisément de leur dernière discussion, de ce costume qu’elle lui avait foutu en l’air en dégueulant son trop-plein d’alcool ; il ne l’aimait pas, et ce n’était certainement pas maintenant que ça allait changer.

Tapotant légèrement sur l’étagère, le blond poursuit d’une voix tout aussi basse. « On devrait caler ça devant la porte, au moins le temps de trouver mieux. » S’ils se débrouillaient bien, le bruit serait moindre, mais le trentenaire n’était pas certain qu’Ashley soit réellement d’une grande aide pour bouger le meuble ; déjà qu’elle n’était pas bien fortiche auparavant, l’apocalypse l’avait encore un peu plus amaigrie. Il cala néanmoins ses mains de chaque côté et commença à le faire basculer. Tout en faisant cela, Zack reprit sur un ton de discussion. « Qu’est-ce que tu fais ici toute seule ? Tu… Hope n’est pas avec toi ? » Une rapide regard inquiet vers elle afin de lui montrer qu’il était autant intéressé par la réponse que soucieux de savoir si la jeune femme avait pu sauver l’un des siens. La réalité ? Il s’en contre carrait royalement. « Je suis désolé si c’est un sujet sensible… c’est juste qu’il y a eu tellement de pertes » avait-il ajouté avant qu’elle ne réponde, secouant la tête en soupirant légèrement, grimaçant sous le poids de l’étagère qui pesait plus qu’il ne s’y était attendu. Jusqu’alors son ton s’était fait réellement posé, concerné et à l’écoute, tout pour instaurer une certaine confiance tout en sachant toutefois que si la jeune femme se décidait à son tour à poser des questions, il devrait donner des réponses ; vraies ou non, ça n’avait pas trop d’importance.

Ashley qui mettait la main à la pâte pour déplacer cette étagère ? Bien, au moins elle avait apparemment compris qu'il venait un moment où elle ne pouvait plus simplement vivre au crochet des autres ; quoi que bouger un meuble ne prouvait pas qu'elle avait changé ni qu'elle était une survivante hors pair, c'était juste la moindre des choses à faire dans ce cas. Alors non, il n'allait certainement pas lui dire de se ménager ni la féliciter, si les putrides étaient tous agglutinés là, c'était bien parce-qu'elle les avait attirés, qu'elle essaie de réparer un minimum les dégâts était simplement normal. Bien sûr, Zack aurait pu lui reprocher ce fait dès son arrivée, mais l'étonnement de la voir en vie avait été prédominant. Et maintenant ? Maintenant il avait simplement envie de la laisser croire qu'il pouvait être ce type sympa et réellement soucieux de ses semblables. Jusqu'à ce qu'il juge que ce soit suffisant et qu'il se montre sous son vrai jour.

Arquant un sourcil légèrement amusé à sa réponse concernant le ''shopping'', il hocha la tête à la suite de ses mots avant de stopper la descente du meuble. Hope n'était plus avec elle ? Mensonge ou vérité ? Qu'importait. Elle pouvait bien lui faire croire ce qu'elle voulait après tout, comme il lui faisait précisément croire ce qu'il voulait lui. Pinçant les lèvres, il capta son regard, jouant sur cette réelle compréhension lisible dans ses yeux clairs. « Je suis désolé, sincèrement. » Reprenant son mouvement, l'étagère fut enfin déposée à l'horizontale au sol avant qu'ils ne se mettent tous deux à la porter jusqu'à la porte, prenant grand soin de ne pas la faire traîner trop afin de ne pas provoquer plus de boucan que nécessaire. Il s'était contenté de hocher la tête quand elle repris la parole, peu convaincu toutefois qu'elle prenne un air aussi détaché alors qu'ils avaient tout juste parlé de sa fille mais sans doute que tout le monde ne gérait pas les pertes comme lui. Lui qui avait toujours considéré un quelconque attachement comme une faiblesse, il en avait parfaitement vu les dégâts quand il avait cru Stew mort et peinait même encore à parler de ces proches qu'il avait perdu sans ressentir une profonde peine. Les sentiments inconditionnels qu'il portait encore aujourd'hui aux siens étaient sa seule faiblesse -ça et l'eau, accessoirement- mais il prenait bien soin de ne pas laisser entrevoir ces faits à quiconque, même aux concernés qui n'étaient assurément pas suffisamment idiots pour ne pas en avoir conscience.

Se frottant les mains pour y ôter la poussière accumulée, le trentenaire soupira doucement avant de se passer une main lasse dans les cheveux. Ashley reprit la parole, lui arrachant un léger sourire sans joie. « Merci. » Son ton avait été empreint de cette petite peine qui n'était sans doute pas tant feinte. Il avait perdu ses parents, sa sœur et son beau-frère, Mona, alors oui, il avait perdu ''quelqu'un'', mais il avait aussi retrouvé deux des personnes les plus importantes de sa vie et autant dire qu'ils étaient l'ancre dans la réalité dont il avait besoin pour ne pas complètement perdre pied. Se remettant à faire quelques pas dans la boutique, le blond se remit à chercher ce qu'il pouvait trouver dans les étagère, s'en retournant derrière le comptoir avant de dégoter un sachet de pistaches et une barre en chocolat. Se relevant aux mots de sa cadette, il haussa les épaules. « Si on reste suffisamment calmes peut-être... en attendant on va devoir rester là un peu. » Tout en parlant il s'était approché de la brune jusqu'à lui tendre la barre chocolatée ; sympathique ? Bof. S'il avait pu la manger devant son pif sans doute qu'il l'aurait fait, mais il préférait éviter l'indigestion et autres joyeusetés dues à son allergie alors autant lui donner l'impression qu'il faisait réellement cela par sympathie.

Il l'avait perçue, cette nervosité dans le ton d'Ashley, sûr qu'elle n'était pas rassurée de se retrouver bloquée là. Craignait-elle uniquement les putréfiés ou lui également ? Ça n'avait pas tant d'importance, elle se rendrait compte suffisamment tôt qu'il était autant à craindre que ces déglingués, si ce n'était plus. Refaisant quelques pas en arrière, Zack se hissa sur le comptoir afin de s'y asseoir, laissant balancer ses jambes dans le vide tout en ouvrant le sachet de salés. Reportant alors son attention sur la jeune femme qui était toujours immobile en face, il soupira doucement. « Tu peux te détendre, je sais qu'on ne s'est pas quittés en très bons termes, mais de l'eau a coulé sous les ponts comme on dit. » Réellement ? Non. L'ancien homme d'affaires n'oubliait pas, ne pardonnait pas, et ce qu'avait fait Ashley lui était clairement resté en travers de la gorge. Réagissait-il comme un enfant capricieux ? Sans doute, mais pourquoi s'encombrer de prendre des pincettes avec ceux qui n'étaient rien ? Il le ferait cependant, jusqu'à ce qu'il juge le moment opportun pour lui montrer que non, il n'avait pas oublié et que oui, il était toujours ce même sombre connard dont elle avait entrevu le fond quelques années auparavant.