La pigiste était désormais persuadée d’une chose : May était une migraine. Elle te prenait la tête et elle cognait, elle cognait, elle cognait, jusqu’à ce que tu capitules et prenne des putains de cachets. En l’occurrence, elle lui avait plus que casser les ovaires fait comprendre qu’il faudrait parler sérieuse à Lance un jour et Victoria avait atteint le moment où il fallait que ça cesse. En guise de paracétamol, elle allait donc chercher son mec-ex – difficile à dire pour l’instant.

Les confrontations avec Cendrillon, c’était simple. La trentenaire se contentait de tout lui balancer à la gueule, comme ça venait et sans aucune retenue. Si on devait théoriser ça, on dirait que c’était parce que comme c’était quelque chose comme sa « meilleure » amie, donc elle ne mettait pas de filtre. En vérité, c’était sans doute parce qu’elle était une connasse – même au fond. Mais avec Starbuck c’était… différent. Sans doute parce que c’était le seul qui avait jamais réussi à lui rabattre le caquet. A croire qu’il était immunisé à ses charges verbales. Bref, l’homme parfaitement frustrant quoi. Mais y’a « parfait » dedans, alors…

- Hey.

Elle venait de le trouver. Devant la porte du garage de la maison qu’il occupait, le pilote était en train d’astiquer sa régulière. Vraisemblablement la seule qu’il ne plaquerait jamais pour une blonde. Victoria était comme à son habitude, cheveux de jais lâchés, jean rafistolé et tee-shirt sombre qui tranchait avec sa peau laiteuse. Nonchalante, elle s’approcha en exagérant une moue admirative, comme si elle voyait le bolide pour la première fois

- C’par ici l’tournage du prochain Fast & Furious ? Et j’parle pas d’un porno, précisa-t-elle avec impertinence.

Briser la glace avec une vanne de merde, check. Ça n’était toutefois pas encore un progrès et il en faudrait plus pour rafistoler ce qu’ils avaient perdu. Enfin, c’était ce qu’elle se disait en tout cas. C’était vraiment chiant de ressentir des trucs pour quelqu’un au fond… ça compliquait tout. S’ils se contentaient de baiser avant, ils seraient sans doute déjà en train de s’envoyer en l’air sur le capot de Wally. Enfin bon, en attendant, il lui fallait une accroche pour qu’il comprenne qu’elle souhaitait parler.

- Euh… j’plus d’café, t’m’en offres un ?

Victoria suivait les déplacements de Starbuck des yeux sans rien dire. C’était bizarre. Pas d’allusions cochonnes, pas de métaphore poilante, pas de punchline bien placée. A peine une référence sur l’acteur de Fast & Furious qu’elle mit quelques secondes à replacer. Putain ce qu’ils avaient l’air con. Deux étudiants de fac qui ne savaient déjà plus comment s’aborder. Du bout des doigts d’abord, elle attrapa la tasse-bouchon pleine d’un café tiède mais ne le porta pas à ses lèvres. Lance lançait le sujet de May, la pigiste l’écarta d’un souffle du nez :

- Laissez tomber Cendrillon, elle arborait un demi-sourire tout de même, comme si la passivité de son ex/copain – difficile à dire – la ragaillardissait, on sait qu’c’est pas ouf t’façon.

Pouvait-il en être autrement ? Leur séparation ne s’était pas faite dans ses termes excellents et Victoria avait refusé de leur dire « au revoir ». Seul le pilote y avait eu droit, mais ça c’était parce qu’il squattait son lit, le veinard. A ce propos, elle but un peu de café, plus pour s’hydrater la gorge que par véritable envie, en lâcha un peu comme s’il reprenait sereinement une discussion interrompue des mois auparavant.

- J’me suis tapée personne au fait d’puis. J’sais qu’genre j’t’avais dit qu’j’attendrais pas – et j’lai pas fait – mais v’là. Comme ça t’sais, si jamais ç’peut t’aider à…

Sa phrase se suspendit à ce moment car elle ne savait pas comment la terminer. L’aider à… quoi ? A reprendre où ils en étaient ? A ne plus se demander si sa meuf avait connu quelqu’un d’autre ? Encore faudrait-il qu’il se le demande déjà, mais elle n’était pas dans sa tête. Heureusement ou malheureusement, telle était la question. Victoria poussa finalement un soupir, décidée à arracher le pansement d’un coup. Ses yeux olive n’arrivaient pas à le trouver pourtant, ils flânaient quelque part sur la carrosserie de la voiture.

- ’coute, on s’est dit des choses la… enfin avant, qu’ils s’aimaient en gros, c’était ce qu’elle voulait évoquer, mais on est pas obligés d’y r’penser. On peut juste… t’vois, faire comme si on avait rien dit, s’tu préfères, elle ne savait pas encore ce qu’elle préférait – ou ne voulait pas l’admettre, on peut juste r’commencer à baiser sans s'prendre la tête ou faire comme si on s’connait pas ou être d’bons collègues qui ramènent d’quoi bouffer, ou autre chose, whatever ; elle haussa les épaules pour masquer le fait qu’elle frissonnait derrière un leurre de nonchalance, ou être des potes qui chambrent May ensemble.

Grosso modo, sa liste exhaustive s’arrêtait là. Il y avait bien une dernière chose qu’elle pourrait dire mais elle se pinça les lèvres pour ne pas l’ajouter : elle les avait prévenus que partir avec Zack était une idée de merde.

Le sourire amusée qu’elle arborait ne fut rapidement plus qu’une façade. Quelque chose clochait sérieusement. Elle avait la sensation de voir une version éteinte de Starbuck, à croire qu’il était physiquement rentré mais que l’homme qu’il était avant ce faux départ était resté sur les routes. Victoria n’eut même pas le cœur à lui faire la morale ou à lancer une nouvelle boutade vaseuse. Elle se mordit l’intérieur de ses lèvres et poussa un long soupir. Le nez dans la tasse, elle se brûla la gorge d’une longue lampée de café et alla s’appuyer cul sur le capot de la voiture.

- Tu sais qu’c’est pas d’ta faute, pas vrai ? Dit-elle finalement, parce qu’pour un gars qu’était prêt à s’tirer à l’anglaise pendant l’attaque d’Renton… t’as l’air vach’ment concerné maint’nant.

Elle ne se montrait pas agressive, son objective n’était pas de le pousser dans ses retranchements. Étrangement, Lance était la seule personne avec laquelle la pigiste n’éprouvait pas le besoin de se montrer acerbe ou moqueuse. Peut-être qu’à force de défier sa grande gueule, il lui avait aussi fait comprendre qu’ils pouvaient s’exprimer différemment. Elle n’avait plus rien à lui prouver sur son caractère et inversement. C’était peut-être ça le meilleur… de savoir qu’avec lui, elle pouvait tomber l’armure.

- Tu t’tortures pour rien. May t’en veut pas, ou pas trop ? Allez savoir, c’est elle qui m’a tanné l’cul pour qu’j’vienne te parler.

Cendrillon devait blâmer la seule personne qu’elle pouvait encore, c’était ce que se disait Victoria. Le monde qu’elle s’était reconstitué s’était effondré d’un seul coup. Une nouvelle excellente bonne raison de ne pas s’attacher aux gens ou aux lieux : ils étaient éphémères. Mais quitte à ce que son présent ne soit qu’une étape temporaire avant la prochaine, la trentenaire était bien contente de la passer sur cette île. Elle était exactement là où elle espérait arriver en intégrant l’équipe de Zack. Elle marqua un silence et leva ses yeux vert marron-vert sur le pilote. Une nouvelle moue pensive déforma sa bouche pensive avant qu’elle ne lâche :

- J’aime pas t’voir comme ça. Ça t’f’rait aller mieux qu’on monte dans ta piaule ?

… oui, elle était incorrigible en fin de compte.

- T’es sûr ? Répondit-elle du tac-o-tac à sa répartie, j’pensais qu’j’étais réputée pour quasiment tout c’qui cont’nait l’mot « sexe » dans le nom.

Un large sourire fendait son visage. A l’approche de Lance, elle mordilla même lascivement sa lèvre inférieure, parfaitement consciente de ce qui allait arriver. Ça lui avait manqué. Ses mains assurées sur ses hanches, ses baisers inquisiteurs, sa manière de maîtriser son tempérament indomptable sans vraiment la dominer. Elle aimait ce faux rapport de force, cette fausse opposition – car au fond, ils voulaient la même chose. Victoria rendit langoureusement son baiser à Starbuck, non sans s’agripper d’une main à son cou pour l’empêcher de s’éloigner. L’autre ne perdait pas de temps : elle glissait de son torse à sa ceinture. La boucle ne lui résisterait pas longtemps.

- J’suis sûre qu’le faire sur l’capot d’ta caisse est dans l’top 3 d’tes life goals, provoqua la pigiste dans un murmure suave en s’écarta à contrecœur, mais la porte d’ton garage est ouverte sur la rue. Ç’m’embêt’rait d’me faire surprendre par la gosse d’Clayton.

Même si l’ado avait probablement déjà surpris son père en train de culbuter l’autre cochonne d’Amelia, mais ça, ça ne la regardait pas. La trentenaire étira le cou pour atteindre l’oreille de son amant et lui glisser des promesses salaces. Ça parlait de douche, de boules, de THE LANCE, de bouche, de pompe – pas à vélo – et même d’union interdit par la loi dans certains pays conservateurs. Bref, c’était du contenu sale dans un jolie paquet cadeau de mots bien choisis et de timbre aguicheur.

Victoria conclut en repoussant légèrement le pilote, juste assez pour pouvoir se soustraite à sa haute silhouette et s’écarter de quelques pas – non sans avoir effleurer son paquet au passage. Elle était prête pour mettre à exécution son plan pour lui rendre définitivement la joie de vivre, la suite ne tenait donc qu’à lui. De toute façon, ils n’étaient pas vraiment doués pour les longues discussions idéologiques. Chaque fois qu’ils avaient essayé de débattre de la situation American Dream/Fort Ward et de ses conséquences individuelles, ça s’était fini en dispute ou en culbute. Preuve qu’on tenait là quelque chose de prophétique : ça rimait. On ne luttait pas contre le destin.