Octobre 2018 - No Man's Land

« Okay … le baladeur est là, le couteau, une gourde, de quoi grignoter sur le chemin … J’oublies rien ? » Sans doute un truc important mais comment j’saurais moi ? La gamine haussa les épaules, fourrant dans une poche de son manteau les écouteurs du baladeur qui fonctionnait plus. Elle s’était mis en tête d’aller au No Man’s Land pour peut-être y trouver quelqu’un en mesure de le réparer ou alors un nouveau, mais la vie sans musique c’était vraiment trop triste. Enfin c’était surtout trop, carrément trop, flippant, surtout le soir, quand elle était toute seule dans son appartement. T’es toujours toute seule Lily, enfin toute seule avec moi, et les râles de Norbert dehors. Justement, c’était les râles de Norbert et des autres le problème, pour ça qu’elle prenait la route ce matin-là dès que le soleil fut levé pour trouver de l’aide.

Les morts étaient pas en nombre dans les rues mais la gamine se déplaça tout de même rapidement et prudemment. Elle connaissait bien le chemin, savait quelles rues et ruelles éviter, et lesquelles prendre pour contourner chaque obstacle. Ouais, Lily était pas douée pour grand-chose mais ici, elle était dégourdie pour survivre. La preuve, elle était pas encore morte. Pourtant c’est pas passé loin plusieurs fois. Haussant une épaule en approchant de l’entrepôt qui abritait tous les survivants, plus ou moins solitaires, du coin, Lily se fit plus calme et plus angoissée en même temps.

A chaque fois c’était pareil, elle flippait à l’idée de croiser autant de gens, c’était comme ça depuis que Nelson avait disparu et qu’elle était livrée à elle-même. La compagnie des autres survivants ça lui collait les miquettes, format géant. Resserrant autour d’elle les pans de son manteau, enfouissant un peu plus le nez dans son écharpe, Lily alla saluer les réguliers de l’endroit, notamment Mandy. Elle lui avait rarement parlé, la seule fois finalement c’était en compagnie d’Olivia. Avec son aide surtout sinon elle t’aurait bouffée toute crue. Ouais c’était pas faux … « Tu veux quoi cette fois ? » « Bonjour … Mandy. Je … Euh je cherche quelqu’un pour réparer un truc, genre euh … un mécanicien ou quelqu’un comme ça ? » Mandy la dévisagea, elle avait pas l’air du genre à se trimballer avec une bécane ou une voiture, mais si la gamine disait vouloir un mécano, elle avait un nom à l’esprit.

D’un signe du menton, elle lui indiqua une femme plus loin, une blonde, le genre cheveux très clairs, presque blancs ou argentés, c’était joli. Lily remercia timidement Mandy qu’ajouta pas un mot. La gamine avança vers l’inconnue, fouinant dans son sac pour en sortir son baladeur CD qu’elle garda entre ses mains. « Salut … Mandy m’a dit que peut-être tu pourrais m’aider avec ça … » Sans trop oser la regarder, Lily tendit l’appareil. « Je crois que les CDs tournent plus alors bah ça sert à rien et … bref … j’ai de quoi manger en échange et je peux trouver des bricoles si t’as besoin … »

« Oh … » Donc Mandy lui avait donné de mauvaises informations … Ou alors t’aurais plus être plus claire mais bon, si t’étais futée ça se saurait hein. Pffff qu’elle se taise celle-ci, Lily était futée quand elle le voulait et là, cet endroit lui fichait trop la trouille pour qu’elle réfléchisse correctement. Une gamine seule dans cet endroit, c’était … flippant, ouais. Mais du coup elle avait l’air bien idiote là à demander à une vraie mécanicienne qui s’y connaissait donc en mécanique comme dans la mécanique des voitures, des motos et autres moyens de transports, de réparer un pauvre baladeur CD. C’était quoi du coup qu’il lui fallait, c’était qui ? Le SAV d’un Wallmart peut-être ? « La ferme … » pesta-t-elle pour elle-même avant de détourner le regard, espérant que l’inconnue la prendrait pas pour une folle ou pire qu’elle croit pas qu’elle lui parlait mal.

Heureusement, sans doute, la blonde lui assura être bricoleuse, de se débrouiller, éveillant une étincelle d’espoir dans le regard clair de l’adolescente. « Euh j’ai … euh … » Oui c’est clair ça t’as raison. Secouant la tête, Lily rouvrit son sac à dos pour montrer ce qu’elle avait en échange. C’est-à-dire, pas grand-chose. « Un peu de nourriture, les fruits je les ai cueillis sur la route et les poissons séchés je les ai fait moi-même mais … enfin ils sont pas très bons mais ça nourrit. Les fruits et les poissons. » Elle avait jamais été malade, enfin si une fois ou deux, mais les températures étant redescendues, c’était plus facile de faire sécher son poisson. « J’ai aussi des sachets de nouilles instantanées et quelques bouteilles d’eau. Enfin deux. »

C’était que la moitié de ses réserves, mais Lily était prête à sacrifier tout ça contre quelques heures de musique pour oublier les bruits de ce monde ou pire, le silence de ce monde. « J’me débrouille plutôt bien pour aller fouiner à droite à gauche, donc j’peux aussi aller te récupérer un truc si t’as besoin de quelque chose en particulier. » Et de ça, elle était pas peu fière. Pêcher, se faufiler dans des coins où personne parvenait à se glisser, et en ressortir vivante surtout, Lily savait faire. Elle savait se démerder finalement, mais pas réparer un baladeur, c’était bête mais c’était comme ça.

« Lily. » ajouta-t-elle finalement en tendant sa main à l’inconnue, espérant qu’elle resterait justement pas une inconnue. Si elles faisaient affaire, ça serait toujours plus cool de connaître son nom. Et si elle venait à y passer, alors il y aurait quelqu’un d’autre pour se rappeler de Lily, gamine de Chicago, survivant seule près d’Alki Point. Ou pas. Ouais, ou pas, parce que j’pense que tout le monde pense à sa tronche plutôt qu’à celle des autres, aussi mignonne soit ta bouille ma pauvre Lily.

Silencieuse, Lily observait la blonde qui fouinait dans son sac. Elle avait quand même l’air de s’y connaître, parce que de son côté la gamine aurait pas eu l’idée de démonter l’appareil, ou du moins pas les outils pour. En fait elle savait pas de quoi ça pouvait venir le souci, et c’était juste chiant, parce que ce monde sans musique, c’était super flippant. Un sachet de nouilles contre son aide, parfait. En réponse à la question de sa sauveuse officielle de l’ennui, Lily hocha timidement la tête. J’suis pas certaine qu’elle ait vu ta réponse vu qu’elle bosse sur ton baladeur, tu pourrais parler nounouille. « Ca m’va. » Pas la peine de lui hurler dessus dans sa tête, Lily était pas bête, juste pas à l’aise avec les autres survivants.

Récupérant le sachet de nouilles déshydratées, la brunette le déposa dans le sac de la dénommée Salem. Sal donc, c’était original. « C’est comme la ville avec les sorcières et tout … c’est amusant. » En fait non ça l’était carrément pas, mais à la gamine, ça lui évoquait un truc un peu mystique, alors elle aimait bien ça. C’était aussi le nom d’un chat noir dans une série sur les sorcières, finalement c’était sans doute plus ça qui la faisait sourire que la ville, parce que les procès contre les sorcières avaient sans doute rien de drôle à l’époque.

« J’me débrouille, oui. » Son regard clair suivit la barre chocolatée, ses billes allant de son baladeur désormais en morceaux à la friandise. « J’dois pouvoir trouver ça, y’a ce magasin dans lequel j’ai l’habitude d’aller. Il y a quelques monstres alors j’fais attention mais généralement ils bougent pas trop, ils aiment bien le rayon des vêtements de sport je crois, je sais pas pourquoi mais ça me facilite la tâche. » J’suis sûre que ça intéresse Salem au plus haut point c’que tu lui racontes sur ces fichues créatures décharnées. Continue donc, avec un peu de chance, elle arrêtera de réparer ton baladeur parce que tu l’auras saoulée de paroles. Fallait savoir, elle parlait pas c’était un problème, elle parlait c’était un problème aussi.

Roulant des épaules comme pour se détendre, ou bien faire tomber la petite conscience mesquine qui jongler entre ses deux épaules, Lily reprit. « Tu traines souvent par ici ? » De sa main, elle désigna le hangar. Elle l’aimait pas cet endroit mais fallait bien reconnaître que c’était pratique. Parfois, la petite voix dans son crâne lui soufflait que peut-être elle devrait y rester plus souvent, y sympathiser davantage, bref, qu’elle devrait arrêter de survivre seule. Mais ça l’enchantait pas, les gens ils restaient pas, ils disparaissaient, ils mourraient, bref, les gens ils étaient pas comme les saisons. Les saisons elles étaient immuables, elles revenaient toujours. Tant qu’elle était toute seule, personne lui manquerait plus jamais en dehors de ceux déjà partis.

« Ça colle bien ? T’es une sorcière ? » Lily gloussa en portant ses doigts à ses lèvres comme pour se taire et éviter de sortir des idioties plus grosses qu’elle. Ça ferait pas de grosses conneries remarque vu ton gabarit. Silencieuse, enfin après avoir raconté qu’elle connaissait un magasin pour lui trouver ce qu’elle voulait à Salem, Lily l’observait, occupée à cette réparation. Ça c’était une personne débrouillarde, plus qu’elle. Quoique finalement peut-être qu’avec un peu de concentration et de curiosité, Lily saurait réparer des trucs et des machins et des bidules. Ça part bien en tout cas … La gamine en roula des yeux avant de hausser les sourcils à la question de la mécanicienne.

Il lui fallut une fraction de seconde pour déchiffrer avant d’éclater de rire, s’attirant quelques regards mécontents de la part de quelques survivants qui appréciaient visiblement leur calme. « Désolée … » souffla-t-elle si bas que la plupart l’entendirent sans doute pas, plus par réflexe, avec cette manie de rentrer à nouveau sa tête dans ses épaules comme pour disparaître et s’éviter les ennuis. « Je suppose … finalement on sait pas, ils aiment peut-être le foot ou d’autres sports, s’il faut ils adorent le base-ball … » A nouveau amusée, Lily pouffa de rire avant de retrouver son sérieux.

Salem avait l’air d’avoir ses marques ici, elle connaissait assez bien le No Man’s Land là où la gamine y venait le moins possible, juste en cas d’extrême nécessité, parce que la plupart du temps elle se débrouillait pour survivre sans l’aide de personne depuis la disparition de Nelson. Elle s’était trouvé un toit à poser sur sa tête, ou plutôt elle avait pu caler sa tête sous un toit plutôt en bon état, elle avait sécurisé du mieux possible son petit appartement sur Alki Point. Mais elle comprenait que certains trouvent cette sécurité ici après tout. Ouais c’est quand même flippant le genre squat.

La mécanicienne se releva finalement, visiblement satisfaite de son diagnostic. « J’te suis. » souffla-t-elle en écoutant les explications, hochant la tête comme si elle comprenait quoique ce soit. « Tu as ce qu’il faut pour … faire de la soudure façon tiers-monde ? » Lily, tu sais que c’est pas un vrai mode de soudure hein ? Juste une façon de parler … « Oui j’suis pas folle quand même … » La gamine se tut net, secouant doucement la tête. Elle était pas folle, mais elle allait clairement passer pour une folle à parler toute seule comme ça.