Wesker n’aimait guère parler du passé et Roy n’était pas du genre à insister. L’ingénieur avait certes la manie de vouloir cerner les gens, chercher à comprendre leur fonctionnement comme s’ils étaient des machines à étudier. Mais il ne s’intéressait pas vraiment à eux – ou plutôt, il s’y intéressait à sa manière, d’une façon différente du commun des mortels.

— Reçu cinq sur cinq, Wesker. Le passé prend déjà suffisamment de place dans nos souvenirs. Au moins, vous êtes à votre place aujourd’hui.

Roy accepta ensuite le couteau que lui tendait l’ancien militaire. Un cadeau, ça ne se refusait pas par les temps qui courraient. Surtout que Wesker paraissait avoir à cœur la survie de son groupe, d’autres avaient une générosité plus… intéressée.
Un signe de tête reconnaissant fut néanmoins la seule marque de gratitude qu’il adressa à son donateur.

— La chance, c’est un mythe qu’on invoque lorsque les choses se déroulent comme on le souhaite. Et pour l’instant, j’ai plutôt l’impression d’avoir un suppositoire entre les fesses, commenta l’ingénieur en se positionnant à califourchon sur la deuxième éolienne. Et pour la postérité, je ne raffole pas de ces trucs-là, crut-il judicieux de préciser.

Alors qu’il ouvrait la trappe de maintenance, Roy prit le temps de répondre à son protecteur sur les options qui s’offraient à eux.

— C’est une simple mission de reconnaissance, Wesker. On est justement venus pour éviter à la cavalerie de se pointer avec la grosse logistique et repartir bredouille. J’ai d’autres sites à inspecter puisque…

L’ingénieur s’interrompit alors que l’intérieur de l’engin se dévoilait enfin. Il semblait avoir oublié ses deux équipiers et le reste du monde.
Un regard en arrière lui confirma que cette éolienne avait subi les mêmes détériorations que la première, sans doute au moment du séisme.

— Vous savez quoi, Wesker ? Vous avez carrément raison. À part quelques cadavres ambulants au loin, je ne vois aucune menace et c’est une foutue bonne raison de ne pas rentrer les mains vides.

L’ingénieur descendit de l’éolienne et se planta face au sergent Massey.

— Massey, vos supérieurs vous ont informé de l’objectif secondaire de cette mission, n’est-ce pas ?

Le sergent opina de la tête, peu loquace.

— Les filtres à eau ?

— Exactement. (Roy tourna la tête vers Samuel, puis pointa du doigt un bâtiment lointain.) Vous voyez cet entrepôt en tôles ? Il fait partie de l’usine de traitement des eaux. On devrait y trouver des filtres pour purifier l’eau de Bainbridge Island. On n’aura peut-être pas chaud cet hiver, mais au moins on crèvera pas de dysenterie le cul à l’air.

L’ingénieur se dirigea alors vers l’éolienne la plus éloignée, installée sur un léger surplomb et donc susceptible d’avoir mieux résisté aux violentes secousses.

— Je vérifie celle-là pour être sûr de ne rien rater. Ensuite on ira tous ensemble chercher ces filtres, si vous êtes d’attaque.

Les derniers espoirs de Roy furent balayés en inspectant la dernière éolienne. L’expédition faisait chou blanc ! L’ingénieur pourrait certes revenir les démonter, extraire des composants et en réparer quelques autres, mais il serait beaucoup plus pratique – et efficace – de trouver d’autres éoliennes en bon état. On se trouvait quand même à Seattle, pas au fin fond du Wyoming !

Roy rangea soigneusement son bric-à-brac dans son sac, fixa ses tournevis les plus longs à sa ceinture d’électricien. D’une main, il tenait le couteau que lui avait donné Wesker et de l’autre, une petite lampe à large projecteur.
La possibilité de se faire surprendre par un ou plusieurs rôdeurs en explorant l’entrepôt ne lui échappait pas. C’est pourquoi Roy se maintenait à un niveau de stress suffisant pour maintenir ses sens en alerte, sans toutefois concéder à la peur le contrôle de ses mouvements.
D’ailleurs, c’étaient les deux militaires qui s’exposaient aux risques les plus importants : Roy restait sur leurs talons, jetant régulièrement des regards en arrière pour contrôler l’absence de menace.

Un seul cadavre ambulant croisa leur marche prudente, mais résolue, vers le grand bâtiment. Tueur efficace, le sergent Massey terrassa l’ancien employé  d’un geste silencieux et précis.
Roy opina de la tête à l’avertissement de Wesker. Il anticipait déjà leur retraite au moment où celui-ci ouvrirait la porte de l’entrepôt, libérant peut-être une nuée de rôdeurs qui avaient la fâcheuse manie de s’agglutiner dans les pires endroits.
Il n’en fut rien cette fois, malgré la puanteur qui les happa tel un nuage d’immondices.
Les relents infects irritèrent la gorge et les poumons de Roy, ravagés par le tabac. Les veines du cou dilatées, il dut se courber et lutter contre une terrible envie de tousser, bruit qui risquait d’attirer tous les rôdeurs du coin.

— Ça m’étonnerait que des survivants se cachent ici, murmura Massey, même les favelas de Rio sont moins insalubres que ce trou à merde.

Roy avisa que le sergent parlait avec un léger accent d’Amérique du Sud. Peut-être connaissait-il réellement la tristement célèbre mégapole brésilienne. À vrai dire, l’ingénieur s’en fichait.
Le fumeur invétéré cracha par terre, puis rejoignit ses deux compagnons qui hésitaient devant une porte cadenassée.

— Ce n’est pas moi qui décide, les gars, mais nous savons tous ce qu’on risque de trouver derrière cette porte : des gueules affamées qui vont se croire à Noël, avec trois grosses dindes bien juteuses pour se gaver.

L’ingénieur centra le faisceau de sa lampe sur le cadenas rongé par l’humidité.

— Si vous choisissez de péter ce cadenas à nos risques et périls, j’ai dans mon sac une massette qui fera le boulot.

Roy braqua ensuite sa lampe vers une deuxième porte, plus étroite, qui menait vers l’intérieur de l’entrepôt.
Elle n’avait pas de chaînes, mais qui nul ne pouvait savoir si la mort ou des filtres à eau les attendaient derrière.
Peut-être les deux.